03-03-2015

[Ex] 13 - Voir Moïse, c'est voir DIEU

Exode 4:1-18 par : Père Alain Dumont
Comment faire entendre à tout un peuple qu'on est vraiment l'envoyé de DIEU ?
Duration:18 minutes 43 secondes
Transcription du texte de la vidéo : 
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui le ch. 4 du Livre de l’Exode. Vous voyez que nous allons très lentement dans la lecture de ces chapitres, parce qu’ils sont essentiels. Quand on en sera à la construction de la Tente de la Rencontre, c’est-à-dire du Temple en toile qui accompagnera le peuple dans le désert, on ira plus rapidement. Mais pour l’instant, on prend le temps de lire à un rythme plus modeste, pour essayer d’écouter ce que Moïse, et donc DIEU derrière lui, veulent nous dire.

DIEU vient donc de révéler son Nom à Moïse ainsi que sa mission de faire sortir son peuple d’Égypte, ce qui laisse tout de même Moïse un peu dubitatif, et on le comprend. Une chose est d’avoir une révélation mystique, autre chose est de faire avaler à tout un peuple qu’on est l’envoyé de DIEU ! Jésus aura d’ailleurs la même difficulté ! Abraham, Isaac et Jacob, eux, avaient encore l’autorité paternelle suffisante pour se faire entendre de leur progéniture directe ; Joseph, lui, avait l’autorité politique… Alors d’accord, Moïse avait sans doute été le Grand Intendant du plus vénérable sanctuaire mémorial de l’Égypte, ce qui aurait dû pouvoir aider auprès des Ubrus qui le connaissent — rappelez-vous leur rencontre probable lors des révoltes des artisans de Deir el Medineh — mais tout de même…

Alors voilà que DIEU lui donne le signe du BÂTON, le fameux BÂTON DE Moïse dont on a déjà parlé à propos de son arrivée en terre de Madiân. On retrouve ce que nous avons dit autour du HÉKA, qui est non seulement le bâton en forme de houlette de berger de Pharaon — le bâton qui symbolise en Égypte la puissance divine que les dieux transmettent à Pharaon comme insigne de son pouvoir — mais aussi un bâton magique par lequel Pharaon agit en lien avec la puissance des dieux. Concernant le bâton de Moïse, vous vous souvenez comment la Torah Orale se dégage de toute dimension magique : le bâton de Moïse est le bâton créé aux commencements, et pour être plus précis : il s’agit du bâton qui a été taillé dans une des branches de l’Arbre de la Vie, au Milieu du Jardin d’Éden. Il s’agit donc d’un BÂTON DE DIEU ! Et on entrevoit alors au v. 3, que la bataille va s’engager bâton contre bâton : le bâton de DIEU contre le bâton de Pharaon. D’autant plus, nous dit-on, que ce bâton se transforme en serpent, c’est-à-dire en l’insigne par excellence apposée sur la couronne de Pharaon. Le serpent qui est symbole de sagesse. Il va donc s’agir en définitive d’une lutte entre la sagesse du DIEU des Hébreux et la sagesse de Pharaon ! Ce n’est pas rien, parce qu’on a là comme un ”remake“ du même combat qui a eu lieu originellement entre le serpent et Ève, dans le récit des commencements… Déjà à l’époque, la sagesse des nations, symbolisée par le serpent, venait s’affronter à la sagesse de DIEU dont Ève était la gardienne…

Le v. 6, quant à lui, nous raconte un autre signe : celui de la main infectée — plutôt que lépreuse. Aujourd’hui, la lèpre est une maladie très spécifique, mais à l’époque, le mot désignait toute infection cutanée ; donc il ne s’agit pas de la lèpre à strictement parler, mais d’une infection, au sens général du terme —. Là aussi, le signe est probant ! La main est symbole de l’agir. Pour parler de l’agir de DIEU, les Psaumes parlent souvent de « sa Main ». Donc la main de Moïse devenue infectée et blanche est signe de la fin de la puissance d’agir de Moïse. Quand elle redevient saine, cela signifie que ce pouvoir d’agir est restitué, mais ça signifie surtout que c’est DIEU qui est le maître de l’agir de l’homme. Non pas au sens où l’homme serait une marionnette, mais au sens où sans DIEU, l’homme ne peut rien espérer pouvoir faire indépendamment de la vie qu’il reçoit de DIEU. On reviendra plus sur le troisième signe qui anticipe le changement du Nil en sang.

Bon, ceci dit, c’est sûr que c’est amusant, tous ces tours de magie, mais Moïse n’est toujours pas convaincu. Et il a raison, parce que là encore, il y a épreuve. Pas sûr que jouer à la fée Carabosse devant Pharaon le déride tellement !!! Alors Moïse se positionne sur un autre terrain : celui de la PAROLE. La parole humaine. Et là, c’est plus sérieux. Est-ce que Moïse avait un défaut d’élocution ? Le Talmud pense qu’il était bègue. Sans forcément aller jusque-là, en tout cas, il n’était pas beau parleur ; il n’était pas séducteur comme ces faiseurs de prodiges qui vous ensorcellent autant par leur prestidigitation que par leurs sornettes. Du coup, on vous dit là quelque chose d’essentiel : quand DIEU envoie en mission, il ne choisit pas des illusionnistes ou des commerciaux. Le but n’est pas de vendre un produit, mais de laisser transparaître DIEU en soi. Et c’est exactement ce qu’on va vous dire, un peu plus loin, après le passage à travers la Mer : « Les fils d’Israël eurent foi en DIEU et en Moïse », comme si l’un et l’autre ne faisaient qu’un… rappelez-vous ce que nous avons dit sur la « sacramentalité », entre guillemets, de Moïse. Vous comprenez ? Si Moïse était un as de la parole, eh bien il aurait peut-être emporté le morceau devant Pharaon lorsqu’il avait eu à défendre la cause des Ubrus ; mais il n’aurait jamais pu être transparent de DIEU.

C’est d’ailleurs ce qui fait le trouble des trop bons prédicateurs à la mode anglo-saxonne : de grands Shows à l’américaine, des mises en scènes professionnelles, des foules conquises… Mais conquises par quoi ? Par la performance des moyens, comme si ensuite, chacun pouvait se dire : « Avec de tels outils, je ne peux pas perdre ! »…  « I am a winner ! » — Sous entendu : « le Bon DIEU peut me faire confiance, je me charge de ses affaires ! » Et là, la Torah crie : DANGER !

Même chose pour l’Évangile du Christ : saint Paul dira aux Corinthiens : « Frères, quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage humain ou de la sagesse. Parmi vous, je n'ai rien voulu connaître d'autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié. Et c'est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant, que je suis arrivé chez vous. Mon langage, ma proclamation de l'Évangile, n'avait rien à voir avec le langage d'une sagesse qui veut convaincre ; mais c'est l'Esprit et sa puissance qui se manifestaient pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » (1Co 2,1-5)

Voilà : tout est dit. Et là, saint Paul est le parfait miroir des difficultés de Moïse. En tout cas, quoi qu’il en soit, quand Moïse viendra auprès du peuple des Fils d’Israël, on peut être sûr que ce ne sera pas avec des effets de manches. Si Moïse avait dû passer à la télévision aujourd’hui, il aurait certainement été pris pour un imbécile ; sachant qu’aujourd’hui, n’importe quel imbécile peut passer pour intelligent à la télévision, du moment qu’il sait parler. Sauf que tout est dans l’apparence. Or la Torah ne relève pas de l’apparence !

Bref, il n’empêche : Moïse renchérit, et l’on nous dit que DIEU se met en colère ! Ça commence mal ! Sauf que là encore, on nous apprend que ce qui met DIEU en colère, c’est le manque de foi en soi, qui menace de contrarier le dessein de DIEU. Un manque de foi en soi qui se dévoile en réalité être un manque de foi en DIEU : on veut bien mettre ses talents à son service, comme ça, on a l’impression que DIEU a besoin de nous. Sauf que DIEU se sert justement de nos handicaps ! Et ça, on n’aime pas, puisque ça met justement en avant nos infirmités… Peut-être que Moïse a encore à apprendre pour devenir plus humble…

Toujours est-il que, devant l’inassurance de Moïse, voici paraître la figue de Aarôn qui sort à sa rencontre… On réfléchira sur les circonstances de cette rencontre un peu plus tard. Rappelons-nous simplement que si Amrâm, fils de Héby-Levy, le père de Aaron et de Moïse, était lui-même Grand-Prêtre égyptien du sanctuaire de Joseph-Aménophis, alors Aarôn est déjà, en tant que fils aîné, Grand-Prêtre du même Sanctuaire. À eux deux, dit le v. 15, ils seront chargés de parler au peuple, alors que seul Moïse parlera à Pharaon. Remarquez pourtant, au v. 16, cette petite phrase qui en dit très long : « Aarôn sera pour toi une bouche et toi, tu seras pour lui un dieu. » Que veut dire ici le Seigneur ? On pourrait se dire, comme beaucoup de rabbins, qu’il s’agit là d’une métaphore… Sauf qu’il y a sans doute moyen d’aller un peu plus loin. Si nous voulons comprendre la suite, il faut tenter de saisir à quel point, derrière Moïse, c’est encore une fois toujours DIEU qu’il faut voir.

Par exemple, la Torah dira : « Ainsi parle le Seigneur : je suis le Seigneur qui vous ai fait sortir de la terre d’Égypte ! », oui, mais au ch. 3, vous vous souvenez que DIEU disait à Moïse : « Va ! Je t’envoie vers Pharaon, fais sortir mon peuple, les Fils d’Israël ! » (Ex 3,10). Alors, qui fait sortir ? DIEU ? Moïse ? Et après la traversée de la Mer, le récit conclura : « Le peuple eut foi dans le Seigneur ET en Moïse » (Ex 14,31 ; 19,9). Alors ?

Cela signifie-t-il que Moïse soit un dieu ? Non bien sûr. En revanche, ça signifie bel et bien, redisons-le, que « voir Moïse », c’est « voir DIEU » au sens où Moïse, dans sa chair, est comme le sacrement de DIEU. Il est le signe visible, dans sa chair, d’une réalité invisible qui est le SEIGNEUR. Il est comme le sanctuaire où le Nom de DIEU et celui de Moïse se rejoignent, de sorte que la foi du peuple se porte vers l’un ET l’autre, et jamais l’un sans l’autre. Et encore une fois, il est vraiment important de comprendre ça : on nous dit, dès l’AT !, que DIEU ne peut être appréhendé en ce monde QUE sacramentellement, c’est-à-dire à travers la chair d’un homme que DIEU habite comme en son sanctuaire. Rappelez-vous saint Paul qui dira aux chrétiens : « Vous êtes le Temple de DIEU ! » (1Co 3,16) Et c’est là qu’on commence à comprendre que RIEN N’EST SACRAMENTEL SANS ÊTRE CHARNEL… La chair — non pas le corps ! Faites bien la différence ! Le corps, c’est ce qui articule les membres ; alors que la chair, c’est ce qui constitue l’unité historique, pour ainsi dire, de ce corps. Toucher un corps, par exemple, n’est jamais seulement toucher de la matière corporelle : c’est toujours s’inscrire dans l’histoire de ce corps. Et bien, l’histoire de ce corps ; ce qui fait qu’alors même que votre corps change, vous êtes le même de votre naissance à votre mort : voilà la chair. Et la chair est LE lieu sacramentel par excellence, et même le seul. Le sacramentel, c’est ce que le corps donne à voir, non pas avec les yeux, mais avec l’amour et avec la foi ; avec la ÉMouNaH en hébreu : la foi, ce n’est pas une conviction ! La FOI, c’est ce qui ME FAIT DISCERNER L’INVISIBLE A TRAVERS LE VISIBLE. Par exemple : derrière le Corps du Christ, il faut discerner la Chair du Christ ; lorsqu’on baptise, on ne plonge pas un corps dans l’eau, mais on marque la chair, c’est-à-dire l’histoire, la mémoire d’un être tout entier. Une chair qui n’attend qu’une seule chose : être habitée par l’Esprit de DIEU pour porter un fruit charnel qui demeure pour l’éternité.

Bref. Moïse est donc bien, charnellement, sacramentellement — et non pas comme un simple titre honorifique — un “dieu” pour Aarôn : Moïse est l’Élu à travers qui DIEU parle et DIEU agit en faveur du peuple. Il n’est pas DIEU en personne : jamais on ne divinisera Moïse. Mais en même temps, il faut voir en lui plus qu’un Grand Prêtre, puisqu’il est plus qu’Aaron ; il est aussi plus qu’un prophète à qui DIEU parle en songes et en visions. On nous dira plus tard que DIEU parlait à Moïse PaNîM “aL PaNîM : face sur face, « comme un ami parle à son ami » (Ex 33,11). Là, cette phrase est prodigieuse : Moïse est l’AMI de DIEU, et l’Ami de DIEU se reconnaît à ce que, lorsqu’on le voit, c’est DIEU que l’on voit. C’est là le grand mystère de l’amitié : il y a un lien entre les amis qui fait que, voir l’un, c’est voir l’autre, sans pour autant qu’il y ait fusion, ni confusion. Rien à voir avec de la camaraderie ou de la fraternité. L’amitié est chose rare, et elle est religieuse en son essence même. Le jour où l’on comprend ça, bien des choses s’éclairent dans l’existence… Et Jésus, si l’on en croit l’Évangile selon saint Jean, ne nous mène pas ailleurs… Parce qu’ultimement, si derrière Moïse il y a DIEU, alors derrière Moïse il y a Jésus !

Et le v. 17 nous reparle de ce décidément fameux « bâton » de Moïse ; ce bâton qui nous vient du plus premier des âges, taillé dans l’Arbre de Vie lui-même au commencement du monde. Ce bâton qui est le signe de l’autorité de Moïse, une autorité qu’il tient donc de DIEU face à Pharaon dont le bâton magique, le HéKa, confessera son imposture, incapable qu’il sera de contrer la sortie d’Égypte que le SEIGNEUR a désormais commanditée au profit de son peuple. Ce bâton qui disparaîtra avec Moïse, et qui ne réapparaîtra qu’avec celui dont Moïse est la figure : le Christ Jésus, et ce sera le bâton de la Croix. Nous y reviendrons en son temps.

Je ne vous en dis pas plus pour l’instant. Je vous laisse méditer ce déchiffrement sacramentel de la figure de Moïse qui est un lieu extrêmement élevé que nous découvre ainsi l’Écriture, dès ce passage de l’Exode.

Je vous remercie.
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