11-05-2015

[Ex] 17 - Des chiffres et des lettres...

Exode 7:1-7 par : Père Alain Dumont
À travers un mot : “Oth”, qui veut dire “Signe” en hébreux, découvrez comment la Bible nous apprend à voir l'invisible. Et à travers un chiffre, “40”, découvrez comment l'hébreu nous aide à discerner les dimensions spirituelles inscrites dans notre monde. Tout cela à partir de quelques versets du ch 7 du Livre de l'Exode.
Duration:20 minutes 58 secondes
Transcription du texte de la vidéo :  
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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 Bonjour,

Nous avons ouvert lors de la dernière vidéo le ch. 7 du livre de l’Exode et nous en poursuivons donc la lecture dans cette vidéo à travers deux thèmes qui nous sont livrés dès les premiers versets : celui des SIGNES et celui de la symbolique des nombres, à travers l’âge de Moïse dont on nous dit qu’il a, à ce moment de l’histoire, quelque 80 ans. Dès les premiers versets du ch., le SEIGNEUR rappelle à Moïse qu’il sera « un dieu pour AaRôN », que AaRôN sera son prophète : de cela, on a déjà parlé à propos du v. 16 du ch. 4. HaShèM redit à Moïse qu’il endurcira le cœur de Pharaon : de cela aussi, on a déjà parlé à propos du v. 21 du même ch. 4.

Et voilà qu’au v. 3, HaShèM s’exprime ainsi en direction de Moïse : « Je multiplierai mes SIGNES et mes PRODIGES ». Les prodiges, MoPhTîM en hébreu, c’est ce que Pharaon connaît : c’est ce qu’il va exiger pour preuve de la puissance de HaShèM en face des prodiges des magiciens de l’Égypte. Prodiges contre prodiges : ce sera le jeu du plus fort. L’Antiquité est très friande de ce genre de sport. Il y aura même en Grèce toute une littérature qu’on appelle l’arétalogie, qui se spécialisera dans les récits grandiloquents racontant les prodiges des dieux et dont le but est d’amener les foules à craindre et à trembler face à une telle puissance !… Mais les « SIGNES », ‘OTh, en hébreu, c’est autre chose ! Et des chrétiens ne peuvent pas passer à côté de cette distinction qui sera reprise par saint Jean dans son évangile. Saint Jean ne parle en effet jamais de « prodiges » : il parle toujours de « SIGNES », preuve que Jean est vraiment enraciné dans la vraie tradition de l’A.T., plus que les autres évangiles. Alors posons-nous la question : qu’est-ce que le SIGNE ? Le Signe, c’est ce qu’il y a DERRIÈRE le prodige ; c’est ce qu’il faut DISCERNER, parce que les prodiges de HaShèM ne sont jamais là pour faire valoir des pouvoirs magiques, ce qui serait vraiment de la gloriole de bas étage. Le PRODIGE de HaShèM est manifesté pour DONNER À PENSER, dirait le philosophe Paul Ricœur. Il est là pour donner à réfléchir DANS LE SENS DE LA VIE et de la LIBERTÉ. Le SIGNE est là pour faire aller plus loin que les seules apparences, et laisser la vie ouvrir des portes que les idéologies, elles, se ferment du seul fait de leur aveuglement qui dénie toute vision au-delà d’elles-mêmes. D’où leur violence dès que se présente une dimension les dépasse. Elles promettent toujours « monts et merveilles », comme dit l’expression, mais redoutent que les foules se mettent à penser !

Eh bien, la Bible, elle travaille toujours dans le sens inverse : elle VEUT que nous réfléchissions. C’est la raison pour laquelle on remarque que, dans le Bible, les récits des prodiges sont toujours très courts, parfois à peine un petit verset, comme ça, en passant. Le but, dans la Bible, n’est JAMAIS le prodige en lui-même. Et néanmoins, les païens que nous sommes, nous restons drôlement attirés par les prodiges : vous et moi retombons inexorablement dans le piège, notamment à chaque fois par exemple que nous nous posons insidieusement la question : « Est-ce que ça s’est réellement passé ? ». Cette simple question montre qu’on s’attache au prodige. C’est plus fort que nous ! Souvent d’ailleurs pour mieux nier la réalité du prodige : « C’était ce qu’on croyait à l’époque, mais maintenant, on n’en est plus là… ». Ça a fait la fortune d’un Ernest Renan au XIXe siècle dans un livre qui a fait grand bruit sur La Vie de Jésus. Il croyait dénoncer l’imposture des évangiles en réduisant les prodiges à de petites magouilles méprisables. Mais justement : l’Évangile, et avant lui tout l’AT, n’est pas là pour nous raconter des prodiges ! Ce ne sont pas les prodiges qui sont à l’origine de la FOI, mais les SIGNES dont ils sont porteurs et qui sont des SIGNES de Vie dont tous les croyants peuvent vérifier la vraie puissance ! Tout est là : dans les SIGNES qui donnent à penser.

Alors, allons un peu plus loin, parce que vous allez voir que c’est vraiment intéressant. SIGNE, en hébreu, se dit ‘OTh. C’est un mot qui s’écrit avec un ALePh et un TèT, c’est-à-dire la première et la dernière lettre de l’alphabet, reliées par un VaV, qui, quand il est à l’intérieur d’un mot, permet la prononciation « O » ; mais s’il est au début d’un mot, alors il correspond à la conjonction « ET » .

Du coup, le mot ‘OTh, qui signifie SIGNE et qui comprend 3 lettres, peut aussi se lire comme trois lettres indépendantes, et du coup, le WaW se lit comme une conjonction, ce qui donne : « ALePh ET Tèt », ce que vous trouvez littéralement traduit en grec par l’expression : « Alpha ET Oméga », c’est-à-dire la première et la dernière lettre de l’alphabet. Et notamment dans la Bible, quand vous trouvez citées ainsi les deux bornes d’un ensemble, à travers à elles, c’est en fait tout l’ensemble que vous désignez. De la même manière qu’on dira que DIEU a créé LE CIEL ET LA TERRE, pour désigner toute la réalité comprise entre ces deux bornes. De la même manière, pour désigner l’humanité entière, Paul utilisera ce principe en disant : Juifs ET Grecs ; Eh bien ici, c’est le même principe, sauf qu’il va s’étendre au maximum : Aleph ET Tet désignent d’abord, bien sûr, toutes les lettres de l’alphabet comprises entre les deux, mais aussi les mots, et les paroles, et toute la réalité que cette parole est capable de porter et dont ces “lettres”, en quelque sorte, sont le SIGNE.

Avec le temps, l’Alpha et l’Oméga vont revêtir une dimension encore plus large, quasi universelle, et désigner le COMMENCEMENT et la FIN de toute l’Histoire du Salut. Et c’est dans ce mouvement que Jésus dira dans l’Apocalypse : « Je suis l’Alpha et l’Oméga » (Ap 1,8 ; 21,6 ; 22,13), ou dans le même sens : « Je suis le premier et le dernier » (Ap 1,17 ; 2,8 ; 22,13). C’est-à-dire que tout ce qui existe est compris en Lui, qui est le Verbe de DIEU ; depuis le commencement jusqu’à la fin, c’est-à-dire depuis la création — tout a été créé par Lui et pour Lui, dira saint Paul —, jusqu’au Salut Final, le fameux Jugement Dernier que le Père a remis entre ses mains. Cela vous explique aussi pourquoi Jésus se désigne en saint Jean comme le SIGNE du Père par excellence, par qui tout a été fait depuis la fondation du monde et par qui ce monde est finalement libéré du péché et de la mort. Vous voyez que cette vision de Jésus comme le SIGNE de DIEU s’enracine complètement dans l’Ancien Testament, à travers ce mot petit mot ‘Oth, le ALEPH et TET, qui peut passer complètement inaperçu mais qu’il faut apprendre à discerner derrière les prodiges. Et pour aller jusqu’au bout, discerner le SIGNE derrière le prodige, c’est évidemment discerner HaShèM, c’est-à-dire le Père Lui-même en action. On rejoint là encore la dynamique SACRAMENTELLE, c’est-à-dire qu’on nous montre ici que la manière dont le Père se dévoile, c’est toujours à travers des SIGNES visibles de sa présence invisible. Une présence évidemment agissante, puisque DIEU, comme un Père, s’engage dans l’Alliance en faveur de la liberté de ses fils.

Alors pour en revenir à Pharaon, celui-ci REFUSE de voir le SIGNE qui sous-tend les prodiges, et donc, ce faisant, il se détermine CONTRE HaShèM que dévoilent ces SIGNES : il dénie le DIEU SAUVEUR, le SEUL vrai DIEU. Il se fige sur place, refuse toute discussion et met en application aveugle les lois de mort dont il se proclame le gardien.

Voilà pour un premier point. Il y en a un second, soulevé un peu plus loin au v. 7 qui nous raconte que bien des années ont passé depuis la fuite de Moïse : il a maintenant 80 ans et AaRôN, lui, en a 83. À la fin de la Torah, en Dt 34,7, on nous dira que Moïse est mort à 120 ans. À partir de là, les rabbins enseignent que la vie de Moïse se divise en trois périodes égales : 40 ans en tant que Prince l’Égypte / 40 ans de fuite en terre de Madiân et 40 ans dans le désert à la tête du peuple des Fils d’Israël. C’est évidemment plus symbolique que formel, mais ça nous donne l’occasion de découvrir une nouvelle dimension de la langue hébraïque : la science des chiffres, ce qu’on appelle la Guématrie, qui est un décalque pur de l’hébreu Guématria. Je vous renvoie à la vidéo sur le sujet, dans la catégorie des Thèmes bibliques. Et donc, entre autres, en Guématrie, on s’intéresse au nombre 40, qui a une grande importance dans la Torah. Ici, suivez-moi bien, parce que le raisonnement est un peu serré.

40, c’est le nombre de l’expérience spirituelle d’une vie, d’une génération. De fait, qu’est-ce que vous voulez, il faut bien 40 années pour mûrir spirituellement. Dans ce sens, 40, c’est 5 x 8. Alors oui, 40, c’est aussi 4x10 ou 2x20, mais dans la Bible, ce qui est le plus significatif, c’est 5x8. Pourquoi? Parce que 5, c’est le chiffre de l’agir de DIEU (les 5 doigts de la main : on parle toujours de LA MAIN de DIEU au singulier, alors que 10, c’est le chiffre de l’agir de l’homme qui, lui a besoin de deux mains). Quant au chiffre 8 (40=5x8), il est compris comme la somme de 7+1. 7, c’est le chiffre de l’HISTOIRE qui touche à la fois le Temps — la semaine est rythmée sur 7 jours — et l’ESPACE, marqué par 7 dimension : Moi, devant, derrière, à gauche, à droite, dessous et dessus, ce qui fait 7 dimensions. Du coup, le chiffre 7 évoque l’histoire sous l’angle d’une belle association entre l’espace et le temps. Si maintenant on en revient au chiffre 8, donc 7+1, le chiffre 1, lui, est bien entendu le chiffre de DIEU : le DIEU d’Israël est le DIEU UN. Comprenez alors que 8, c’est le moment où l’histoire des hommes (7) accueille DIEU (+1) qui mène cette histoire à son accomplissement final ; dans ce moment tant attendu où DIEU vient comme épouser la Création pour la faire entrer dans une éternité de VIE et de LIBERTÉ. Autrement dit, 8, c’est le chiffre du Messie, le MaShia°H par qui cet accomplissement survient, raison pour laquelle, par exemple, Jésus ressuscitera un DIMANCHE, qui est traditionnellement non pas le premier, mais le 8e jour. Le jour où, en Jésus, l’humanité est définitivement sortie de l’esclavage de la mort et entrée dans la VIE éternelle de DIEU.

Alors maintenant, avec tout ça, revenons-en au nombre 40. 40, redisons-le, c’est 5 x 8. Donc c’est le nombre qui signifie l’accomplissement de l’histoire — 8 —, fruit de l’agir de DIEU  — 5 — en elle. C’est une manière de découvrir que 40 est le nombre qui révèle la dimension SPIRITUELLE de toute la Création. En nombre de jours, Moïse par exemple, passera 40 jours sur le Mont Sinaï avant de redescendre avec les tables de la Torah ; c’est donc un temps de maturation spirituelle pour un renouveau qui touche à la fois Moïse et tout son peuple.. Si Jésus, quant à lui, passe 40 jours au désert, c’est parce qu’à la clef, il y a une maturation spirituelle que nous reprenons à notre compte avec les 40 jours de carême. Si maintenant on passe en nombre d’années, 40 ans, donc le temps offert à une génération pour mûrir spirituellement avant un nouveau départ : par exemple, 40 années est le temps des Fils d’Israël au désert avant d’entrer en Terre de la Promesse. 40 jours, c’est le temps du déluge pour un nouveau commencement à l’époque de Noé. Et ici, 40 est le chiffre qui marque particulièrement Moïse, lui qui a vécu, comme disent les rabbins, trois grands changements après sa naissance : au bout de 40 ans, il fuit l’Égypte pour devenir berger dans le désert ; Puis 40 ans plus tard, il est convoqué par HaShèM pour libérer les Fils d’Israël ; et encore 40 ans plus tard, il passe radicalement dans le giron de HaShèM au moment de sa mort.

Donc vous voyez qu’en nous disant que Moïse a 80 ans au moment où il part pour délivrer son peuple de l’esclavage, on nous dit à demi-mot que commence pour lui la troisième grande étape spirituelle de son histoire, guidée par la MAIN puissante du SEIGNEUR. Voilà : la Torah, c’est aussi ça. Elle s’entend aussi à travers la symbolique des chiffres et des nombres qu’elle dévoile à travers cette langue prodigieuse et absolument unique en son genre qu’est l’hébreu.

Alors c’est vrai, la chronologie que nous proposons, basée sur les événements de l’historiographie égyptienne, octroie plutôt à Moïse une cinquantaine d’années au moment où il revient en Égypte pour faire sortir son peuple, ce qui n’est déjà pas si mal s’il faut ensuite qu’il traverse encore le désert pendant 40 ans, c’est-à-dire pendant encore le temps d’une autre génération. Mais quoi qu’il en soit, l’âge véritable, c’est l’âge SPIRITUEL ! De ce point de vue, Moïse a la sagesse d’un homme de 80 ans, ce qui fait de lui non point un vieillard mais un homme parmi les plus VIGOUREUX aux dires du Ps 90. On peut aussi entendre Job : « Aux cheveux blancs appartient la sagesse, et à la longueur des jours l’intelligence » (Job 12,12). Et Isaïe, qui explique que « Ceux qui attendent le Seigneur acquièrent de nouvelles forces, ils prennent l’essor rapide des aigles ! Ils courent et ne sont pas fatigués, ils marchent et ne s’épuisent point ! » (Is 40,31). Et Isaïe a raison : quand vous avez toute votre vie poursuivi la justice en vous laissant construire par DIEU, plus vous vieillissez, plus vous êtes jeunes de la jeunesse même de HaShèM !

Donc résumons, et la prochaine fois, promis, on avancera dans la lecture : en nous disant que Moïse a 80 ans, on ne nous dit pas qu’il est vieux, mais qu’il est Juste, au sens où désormais, toute sa vigueur ne peut venir que de HaShèM. Dès lors, tout est possible ! J’aime personnellement beaucoup cette phrase du philosophe Fabrice Hadjadj : « L’impossible, c’est ce qui n’est possible qu’avec DIEU ! » Ça résume assez bien la tension qui habite ces chapitres de l’Exode. Humainement parlant, l’épopée qui s’offre à Moïse est absolument inenvisageable, complètement folle ! Mais, comme le dira saint Paul : « Ce qui est le plus fou, voilà ce que le SEIGNEUR a choisi pour confondre les sages ! » Avec le Seigneur, avec la ÉMouNaH en hébreu, c’est-à-dire la FOI de celui qui sait discerner l’invisible, TOUT est possible. C’est ce que DIEU avait déjà dit à Abraham à propos de la naissance d’Isaac, alors qu’il avait déjà 99 ans ! Voyez : la Torah en est le témoignage le plus fort, et le plus poignant pour qui veut bien l’entendre et la recevoir ; qui nous apprend qu’il y a des tas de choses de notre vie qui peuvent paraître folles aux yeux du monde, mais qui sont tout à fait envisageables à ceux qui ont la FOI. C’est ce que reprendra Gabriel en s’adressant à Marie, et c’est encore la parole que Jésus adresse au Nom du Père à chacun de ceux qui croient en lui. Reste que cette foi se présente à nous comme une épreuve, mais pour mener où ? À la JOIE ! Et la Bible est là, du début à la fin, de l’Alpha à l’Oméga, comme un SIGNE donné à travers ces milliers de modèles non pas parfaits, certes, mais tous portés par la FOI qui leur a permis d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes. « Qui a des oreilles, comme dira Jésus, qu’il entende. » Pharaon refuse la FOI ; Moïse ne vit que par elle !

En tout cas, ce qui est sûr, c’est que, de la FOI, il va en falloir à Moïse, tant pour tenir tête à Pharaon que pour soutenir le moral des troupes ! Nous commencerons à voir cela la prochaine fois.

Je vous souhaite une bonne lecture de ces quelques versets qui nous donnent décidément bien à penser !

Je vous remercie.

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