26-07-2015

[Ex] 34 - Le peuple a faim

Exode 16:1-4 par : le père Alain Dumont
Voilà plus de 40 jours que le peuple marche dans le désert. Un murmure monte à nouveau : les Fils d'Israël ont faim. Mais de quoi ont-ils faim véritablement ?
Duration:15 minutes 20 secondes
Transcription du texte de la vidéo :  
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous commençons aujourd’hui la lecture du ch. 16 du Livre de l’Exode. On nous a dit, à la fin du ch. 15, que les Fils d’Israël passent de MaRa, dans le désert de ShouR, à ÉLîM, à la porte du désert de ÇîN. Difficile de localiser exactement ces deux points, mais deux choses sont sûres ici : la première, c’est que Moïse ne prend pas la route de la côte qui conduit en terre Philistine, plus rapide pour rejoindre CaNa“âN, mais infiniment plus dangereuse, comme on l’a vu à propos au v. 17 du ch. 13. La seconde, c’est qu’en parlant du désert de ÇîN, il n’est pas possible que la route longe la rive Ouest du Golfe de Suez, comme le voudrait la tradition classique. Le désert de CîN est en effet au Sud-Est du Désert de ShouR. Donc la direction empruntée, après la traversée du Yam SouF, est nécessairement le Nord Est de la péninsule, comme le montre « La Bible par les Cartes » de Aharoni et Avi-Yonah.

Toujours au v. 1, on nous dit par ailleurs que lorsque le peuple atteint le désert de ÇîN, il marche depuis 1 mois ½ ! Comme quoi voyez, on lit les épisodes les uns après les autres avec l’impression qu’ils s’enfilent tous à la suite, mais il ne faut pas oublier qu’entre deux chapitres, il se passe toujours du temps ! D’ailleurs, avancer à environ 3 000 personnes (rappelez-vous ce qu’on a dit à propos d’Ex 12,37), avec en plus des troupeaux, ça ne peut pas être rapide ! Or voilà qu’à nouveau, nous dit-on, les Fils d’Israël « murmurent contre Moïse et Aaron », non plus cette fois à cause de la soif, mais à cause de la faim. Et on va ici se poser la même question : de quoi les Fils d’Israël ont-ils réellement faim ? Et les voilà qui commencent à regretter le temps de l’Égypte… Là, il faut la jouer un peu subtil pour comprendre.

D’abord, noter qu’il y a ici comme une contradiction : ils ont des troupeaux, mais ils viennent trouver Moïse en disant qu’ils vont mourir de faim… Étonnant, non ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Les voilà qui font mémoire de leur situation d’avant leur libération, à l’époque où l’Égypte, tout en les malmenant, les nourrissait pourtant de marmites de viande et de pain. Or l’Égypte, c’est Pharaon. Les Fils d’Israël sont donc en train de dire qu’avant, Pharaon les nourrissait. Ainsi, la question n’est pas : « Qu’est-ce que nous allons manger ? » mais : « QUI va nous donner à manger ? », et c’est en fait d’une importance première, ce qui montre qu’ils ont parfaitement raison de poser cette question !

Qu’est-ce qu’elle signifie ? Ça signifie que Pharaon les nourrissait, certes, non pas parce qu’il était généreux, mais, parce que, par le culte dont il était le Grand Prêtre et à travers lequel il maintenait l’harmonie de l’univers, selon la croyance égyptienne, il permettait la crue du Nil et toute la vie agricole qui lui était associée. Donc, selon cette croyance, c’était grâce à Pharaon et au lien qui l’unissaient aux dieux de l’Égypte que même les Hébreux pouvaient manger. Qu’est-ce que vous voulez : on ne passe pas plus de trois cents ans immergé dans une culture sans en être imprégné ! Ceux qui faisaient mémoire des Patriarches, c’étaient les Fils de Héby-Lévy à travers la tradition transmise par Joseph, mais tous n’avaient pas accès à ce sanctuaire. Donc oui, peut-être n’avait-on pas totalement perdu le souvenir des pères, mais leur dieu s’était certainement coulé dans la masse… Et pour un Hébreu, que Pharaon soit l’intermédiaire privilégié des dieux faisait partie de la culture commune. Ce que va proposer Moïse est un vrai bouleversement ! Pas si facile de laisser derrière soi la culture qui vous a vu naître et qui vous a soutenus, quand bien même c’était sous forme d’esclavage ! Donc la question se pose nécessairement : maintenant que Pharaon n’est plus le pourvoyeur ; maintenant qu’on n’est plus dans les bonnes grâces du Nil : « Grâce à QUI va venir la nourriture ? » Vous voyez ? La question n’est pas qu’ils avaient faim, mais c’est la question de L’AVENIR qui s’ouvre devant eux : « Avant, on était esclave, mais on savait qui nous nourrissait. Maintenant, on est libre, mais QUI va nous nourrir ? »

Autrement dit, en Égypte, on vit sous la loi de l’Égypte, mais au moins, l’Égypte nous nourrit. Dans le désert, on vit sous la Loi de HaShèM, le DIEU de Moïse, mais qu’est-ce qui nous prouve qu’Il va nous nourrir ? » C’est intéressant, parce qu’on trouve ici le principe UNIVERSEL qui anime le jeu politique : c’est celui qui nourrit qui est autorisé à poser la loi, et personne d’autre ! Pourquoi l’enfant obéit-il à ses parents ? Parce qu’ils le nourrissent. Pourquoi un clan obéit à son chef ? Parce qu’il le nourrit. Pourquoi un peuple obéit à son roi ? Parce qu’il le nourrit. Alors vous me direz : « Pas seulement ! » C’est entendu, mais nous sommes là dans les fondamentaux. Retirez ce fondement, et vous avez la révolution. Rappelez-vous la lettre de Fénelon à Louis XVI : « Sire, le peuple a faim ! La sédition s’allume de toutes parts ».

Bien. À tout ça, il faut ajouter que se nourrir ne consiste pas seulement à remplir le tube digestif : la nourriture, c’est le repas. Et le repas, c’est ce qui instaure charnellement les liens entre les convives, qu’il s’agisse de la famille, du clan ou du peuple, mais aussi les liens entre ce peuple ET SON DIEU. Et c’est bien la raison pour laquelle il n’est aucune culture qui, à la base, ne soit d’abord une culture du REPAS. Alors c’est sûr que quand on mange à sa faim tous les jours, on oublie ce fondement, on oublie la relation à DIEU qu’on en vient même à la négliger, quand ce n’est pas la mépriser. Mais on reste dans la même dynamique : on s’en remet à l’État qui nourrit ; ou aux grandes entreprises qui fournissent la malbouffe, comme dit Jean-Pierre Coffe, à moindre prix. Ceux qui nourrissent, voilà les vrais dirigeants, honnêtes ou malhonnêtes.

Donc, revenons à notre texte : quand on nous dit, au v. 2, que le peuple murmure contre Moïse et Aaron, le verbe est très fort : c’est le murmure de la RÉVOLTE. Ne pouvant plus compter sur Pharaon, le peuple cherche son leader. Alors vous me direz : « Pourtant, il y a eu les frappes en Égypte, et la traversée de la Mer des Roseaux. Que leur faut-il de plus ? » Oui, bien sûr, mais ces miracles étaient d’un instant. Ils ont été efficaces en leur temps, mais maintenant qu’on est dans le désert, ces prodiges ne nous servent plus à rien… En d’autres termes : « Ok, HaShèM est un DIEU libérateur et Moïse est son serviteur. Mais est-ce un DIEU NOURRICIER ? » D’une certaine manière, c’est la question de tout nouveau-né : Ok, tu m’as fait naître, mais est-ce que tu sauras me nourrir après ? Donc en fait, c’est proprement la question de la VIE. Et c’est bien pour ça que c’est une vraie question : c’est la question d’un peuple qui vient de naître.

Poursuivons la lecture : au v. 4, HaShèM promet la fameuse « Manne » ; « MâN Hou », « qu’est-ce que c’est que ça ? », comme diront les Fils d’Israël au v. 15. C’est le fameux « pain descendu du ciel ». Plus précisément, ce qu’on traduit par « pain », est ici l’hébreu LéKhèM, désigne en fait quelque chose de beaucoup plus large que le simple « pain » ; ou en tout cas, c’est le pain, mais en tant que NOURRITURE DE BASE qui signe l’appartenance à une culture. De la même manière, si vous voulez, que la nourriture est fondamentalement le RIZ en Asie, le MIL dans certains pays d’Afrique, la baguette en France ou la Pomme de Terre en Belgique. On ne mange pas que ça, il y a aussi bien sûr des légumes et de la viande, mais il n’empêche : aucun légume et aucune viande ne se mange sans ce pain, sans cette pomme de terre, ce riz ou ce mil qui disent chacun CHARNELLEMENT à quel peuple, à quelle culture on appartient.

Mais si on a bien compris ce qu’on vient de dire, une AUTRE RÉALITÉ est attachée à ce pain, et c’est… la LOI. Encore une fois : à qui est-ce que je vais obéir ? À celui qui me donne mon « PAIN », au sens de LéKhèM. C’est exactement ce que redit tout chrétien à chaque fois qu’il récite le Notre-Père : « Donne-nous aujourd’hui notre PAIN de ce jour ». Ça n’est pas une prière païenne qui demande un pain matériel ! C’est la prière fondamentale d’un peuple qui dit à DIEU qu’il accepte de se mettre sous sa LOI. En l’occurrence ICI, sous la LOI du Père, raison pour laquelle on dit juste avant « Que Ta volonté soit faite ». Sous entendu : « Si tu veux que ta volonté soit faite, alors donne-nous notre pain de ce jour, parce que nous ne pouvons obéir qu’à celui qui nous donne le pain qui nous façonne comme un peuple. » Alors quand saint Jean nous dit au ch. 6 de son évangile, que ce pain, ce LéKhèM, c’est le Christ en sa chair, là, on atteint un sommet absolument unique ! Parce que pour les chrétiens, le Pain qui le façonne comme peuple, c’est la CHAIR du Christ ; c’est-à-dire un pain — Jésus prend du pain et le rompt au cours du dernier repas avec les apôtres ; mais c’est un pain au sens large, au sens de LéKhèM, qui signifie NOURRITURE. Cette Nourriture dont tout homme a réellement FAIM, parce qu’elle le place sous la LOI, sous la ToRaH du Père qui, en définitive, est la ToRaH de la Miséricorde : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons-aussi à ceux qui nous ont offensés. » Une ToRaH de libération, puisqu’elle nous libère du joug du Mal : « Ne nous soumets pas, c’est-à-dire : « Ne nous maintiens pas soumis à la loi du mal : DÉLIVRE-NOUS ! Ce qui est exactement, en substance, « le cri d’alarme des Hébreux qui monte vers HaShèM du fond de son esclavage » en Égypte (Ex 2,23). En quelque sorte : « Ne nous maintiens pas soumis pas à la Loi de Pharaon ! »

Donc maintenant, vous voyez où la Bible veut en venir : la question, dans ces premiers versets du ch. 16 est absolument essentielle ! Elle revient à demander : « Qui sommes-nous ? Qui nous garantit le pain, en tant que Fils d’Israël, et donc à quelle LOI allons-nous obéir ? Cette question du peuple n’est en rien un caprice ! C’est pourquoi HaShèM répond au plus juste : votre « pain », ce sera la manne, et c’est Moi qui vous la donnerai CHAQUE JOUR. C’est ce « pain » qui va marquer charnellement votre identité au désert. » Et donc c’est ce pain qui sera le signe — encore le Signe, Oth — à partir duquel HaShèM, en tant qu’Il donne ce pain, va pouvoir LÉGITIMER SA LOI, sa ToRaH, au sein du peuple des Fils d’Israël. C’est ce que dit explicitement le v. 4 : « Le peuple ramassera le pain que je ferai pleuvoir chaque jour, car je veux l’éprouver pour voir s’il marchera ou non selon ma ToRaH. »

Voilà. Vous voyez ? L’enjeu est on ne peut plus important à ce stade : le peuple, tout sauvé qu’il est, a besoin de savoir QUI IL EST. Voilà sa vraie faim. Il a besoin de savoir à quel DIEU il va pouvoir obéir pour subsister dans le désert. Et la question est tellement prégnante qu’elle se reposera dramatiquement à propos du fameux Veau d’Or. Mais nous n’en sommes pas encore là.

Vous pouvez lire à présent le début du ch. 16. Nous verrons la suite la prochaine fois.

Je vous remercie.
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