26-07-2015

[Ex] 35 - Qui nous donnera à manger ?

Exode 16:4-9 par : le père Alain Dumont
Où l'on découvre que la Manne est le préliminaire indispensable au don de la ToRaH par YHWH. On est loin d'une simple becquée quotidienne, du style : “Mange et tais-toi !” ! Le récit nous plonge au cœur de l'anthropologie la plus essentielle et nous éclaire sur les fondements de notre propre identité chrétienne.
Duration:19 minutes 40 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/qui-nous-donnera-a-manger.html)

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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous avons réfléchi lors de la dernière vidéo sur le sens de la question du peuple à Moïse, et vous vous rappelez qu’il ne s’agit là aucunement d’un caprice, mais d’une question proprement identitaire : « Qui va nous nourrir dorénavant, et donc qui nous donnera la Loi qui fera de nous un vrai peuple ? » Et HaShèM de répondre au v. 4 : « C’est moi qui vais lui donner son pain. Un pain qu’il devra sortir ramasser chaque jour. » Et Il poursuit : « Je veux l’ÉPROUVER pour voir s’il ira ou non selon ma ToRaH. » Pourquoi l’éprouver ? Mais pour qu’il grandisse CHARNELLEMENT, c’est-à-dire qu’il ne reste pas prisonnier des idées ! Pour entrer dans ce mouvement, il faut absolument que nous nous libérions de la phobie de l’épreuve, comme si l’épreuve n’était infligée que pour faire souffrir. Du coup, épreuve n’est synonyme de péril, et on fait de DIEU celui qui devrait nous faire “échapper aux épreuves”, alors que c’est tout le contraire ! La Torah est on ne peut plus claire : c’est bien DIEU QUI ÉPROUVE. Alors oui, l’épreuve est une mise en situation difficile, mais si souffrance il y a, c’est celle de l’effort de pas démissionner ; c’est la souffrance du CHOIX DE VIVRE, coûte que coûte. L’épreuve est ce moment où je suis convoqué à unir ma volonté à celle de HaShèM — à celle du Christ Jésus quand on est chrétien — pour franchir une étape de CROISSANCE, de MATURATION, qui me fera devenir toujours plus fort DU CÔTÉ DE LA VIE. Et bien, cette mobilisation libre et charnelle de la volonté en faveur de la Vie, voilà ce que HaShèM attend de nous à chaque épreuve qu’Il nous donne de traverser avec Lui, avec les armes de sa ToRaH : « Je veux l’éprouver pour voir s’il gardera ma ToRaH ! »

Donc, la Manne se révèle à la fois un PAIN et une ÉPREUVE, à double titre. D’une part parce que, nous dit-on, il faudra quotidiennement en ramasser la quantité suffisante pour la journée, sans jamais pouvoir thésauriser pour le lendemain. D’autre part parce que le 6e jour, il faudra cette fois thésauriser pour le lendemain, mais sans qu’on nous dise encore pourquoi au stade du v. 5. Mais quoi qu’il en soit, ce qui fait l’épreuve de la Manne, c’est avant tout, vous le voyez bien, son rapport immédiat à la ToRaH ! HaShèM ne se contente pas de dire : ”Voilà, c’est du pain, vous pouvez en prendre si vous voulez”. Non non : « Vous irez chaque jour ; vous n’en prendrez qu’une mesure par personne ; le 6e jour : deux mesures : pour le 6e et le 7e jour ». Entendons ici : « Je vous donne la Manne, MAIS avec la Manne, il y a les COMMANDEMENTS ! »

Vous voyez ? Encore une fois : Torah et nourriture sont liées. C’est bien celui qui nourrit qui est habilité à dire la Loi. Donc avant de donner sa Torah, il faut que HaShèM manifeste qu’Il sait nourrir, non pas au sens simplement de remplir les estomacs, mais au sens où cette nourriture participe de l’identité du peuple. Chaque famille peut manger ce qu’elle veut chaque jour, mais ce sera toujours accompagné du pain de la Manne. Vous voyez ? Quand il s’agit de façonner un peuple, le CHARNEL précède toujours la LOI. Quand on fait l’inverse, comme dans les idéologies totalitaires, au lieu de façonner un peuple, on programme sa désintégration et sa disparition.

Bref. Donc DIEU nourrit son peuple, mais pas avec n’importe quel pain : un pain, pour ainsi dire, qu’Il vient livrer Lui-même chaque jour. Cette Manne est un miracle quotidien, ce qui, quelque part, est tout bonnement INSUPPORTABLE. Encore, avoir un miracle dans une situation critique où pointe la mort, on se dit que c’est formidable. Mais quand le miracle intervient quotidiennement, c’est beaucoup moins drôle ! Pourquoi ? Eh bien d’abord parce qu’IL VOUS IMPOSE L’OMNIPRESENCE DE DIEU. Alors pour ceux qui ont une mentalité d’esclave, c’est assez confortable ; mais pour ceux qui revendiquent un esprit de liberté, c’est juste INTOLÉRABLE !

Encore que ce genre d’omniprésence est bonne pour un enfant, mais pour des adultes, la chose littéralement oppressante ! Sauf à dire que le peuple, à ce stade, est précisément en état d’enfance. Comme si la traversée de la Mer des Joncs était une sorte d’accouchement ; une sorte de rupture de la poche des eaux pour libérer le peuple de la matrice de l’Égypte. Et de fait : c’est bien en Égypte que le peuple a secrètement grandit, comme dans une matrice maternelle. Seulement voilà : la mère Égypte avait voulu le garder en son sein, de sorte que le peuple était tout simplement voué à la mort ! Alors DIEU décide de le faire naître contre le désir de l’Égypte. Le peuple des Fils d’Israël ne pouvait pas plus rester en Égypte qu’un fœtus ne peut rester dans la matrice maternelle. Y rester s’appelle mourir, et en sortir s’appelle vivre. Seulement il ne suffit pas d’accoucher d’un enfant — Rappelez-vous la proclamation solennelle de ADoNaÏ en 4,22 : « Mon fils premier-né, c’est Israël ! ». Donc il ne suffit pas d’accoucher d’un enfant, il faut encore l’élever. Et ça, ce sera le temps du désert. 40 ans, comme le dira la fin du ch. 16 que nous lisons. 40 ans, c’est-à-dire le temps d’une génération.

Alors voilà : ce qu’on est en train de nous raconter, ce sont donc les premiers moments d’un peuple qui vient de naître en passant à travers les eaux de la liberté, les eaux de la Mer des Joncs. Un peuple qu’il faut donc nourrir au jour le jour, comme un nouveau-né, avant qu’il soit capable de se nourrir par lui-même.

Et que faut-il pour se nourrir par soi ? Une Loi ! Pour se nourrir, il a fallu avant apprendre que la vie a ses lois. Non pas des lois qui m’empêchent de vivre, mais au contraire des Lois qui me permettent de choisir la vie ! Or à ce stade, ce peuple est incapable de faire ce choix, pourquoi ? Eh bien précisément parce qu’il n’a pas de Loi ! Donc c’est un peuple enfant qu’il faut nourrir au jour le jour, de sorte qu’il puisse reconnaître celui qui est habilité à lui donner sa Loi. Et comme tous les enfants, le cri est son seul recours. Il « murmure », nous dit-on, mais murmurer, ce n’est pas parler. Encore un indice de son état d’enfant. Et il murmure contre qui ? Contre Moïse et Aaron. Pourquoi ? Parce que ni l’un ni l’autre ne peuvent garantir la nourriture comme Pharaon la garantissait en lieu et place d’intermédiaire des dieux de l’Égypte. Pour le dire autrement : avant, tout dépendait de Pharaon ; aujourd’hui, rien ne dépend de Moïse… Alors ? Croyez-moi, il y a de quoi murmurer, quand on y pense.

Je vous dit tout cela pour que vous puissiez bien rentrer dans la chair du récit. Si on reste spectateur, on ne comprend pas ; on juge sans avoir pris la peine de rentrer dans la problématique… Alors que le récit nous appelle à autre chose qu’à être simplement des spectateurs. Il nous convoque nous aussi à entrer dans le jeu.

Alors DIEU prend les choses en main. À partir du v. 6. Moïse et Aaron s’adressent au peuple pour le prévenir du signe. Pour l’instant, c’est un appel à l’espérance. Rien n’est encore donné, mais la réponse aux murmures est là : « Espérez, et ce soir, vous verrez. » Et puis Moïse prévient : attention, ce n’est pas contre nous que vous murmurez quand vous vous révoltez : c’est contre ADoNaÏ Lui-même ! Vous voyez, il y a un rapport difficile à gérer entre le peuple et son DIEU. Qu’est-ce que vous voulez, avant, c’était Pharaon qui était le référent ; mais voilà qu’à partir de maintenant, c’est DIEU en direct. Donc le bouleversement est absolu, et on comprend le désarroi. C’est un bouleversement total de comportement religieux. Et on peut dire véritablement que le peuple entre dans un “temps de désert”, qui est toujours un temps de fondements.

Remarquez qu’au v. 9, le peuple est apostrophé en tant que communauté, le QaHaL, la convocation. C’est-à-dire que le signe est donné au peuple en tant que tel, quand il se rassemble autour du Seigneur. C’est une assemblée liturgique ! Et DIEU apparaît alors dans sa Gloire, c’est-à-dire dans la Nuée lumineuse. Non pas du côté de l’Égypte mais du côté du désert. Pourquoi ? Parce que le désert, c’est d’abord la direction opposée au retour. Désormais, si on veut voir les Signes de DIEU, il faut regarder vers l’avant, et non plus vers l’arrière. Il faut être un peuple de l’avenir, et non un peuple de la nostalgie. Rappelez-vous aux v. 3-4 : les Fils d’Israël étaient tentés de revenir sur leurs pas. Mais non : il faut regarder vers l’avant, même — et surtout si cet avant est un désert. Ensuite, le désert, ce n’est pas seulement un lieu aride. Le désert se dit ici, en hébreu = MiDBaR, de la racine DaBaR qui signifie « parler ». Il y a un autre terme : ShéMaMaH, qui dit le désert comme une terre de désolation, sans vie. Le MiDBaR, c’est le désert comme le lieu de la possible émergence d’une Parole, peut-être parce que dans le désert, le temps est comme suspendu, sans plus de repères pour le voir s’écouler ; mais aussi où la vie est suspendue : le désert met en face de la mort à chaque instant, et c’est lorsque menace la mort que toute parole renoue avec l’essentiel. Or c’est là que ADoNaÏ attend son peuple : au désert où une Parole essentielle pourra retentir, de la part du Seigneur comme de la part de son peuple.

Et donc, prendre le chemin du désert, c’est une vrai décision de la volonté, parce que le désert, spontanément, on n’a qu’une seule envie : c’est de le fuir ! Il n’a rien de la séduction des jardins du Nil ! Et donc la raison se dit : mais pourquoi est-ce qu’on a lâché ce paradis ? Et ADoNaÏ dit au contraire : « Non ! Je te convoque à  l’aventure de la liberté ! » La liberté, ce n’est pas la licence de faire ce qu’on veut. C’est la force de la volonté qui choisit de s’aventurer là où la raison, elle, est tentée de revenir vers le passé tout auréolé de bien-être, alors même que c’était un passé d’esclavage… vous savez : la raison n’a pas toujours raison… Or que nous dit la Torah ? « L’avenir semble être un désert ? Tant mieux ! C’est là où DIEU va pouvoir être entendu ; c’est là où les signes vont pouvoir devenir parlant. C’est là que tu vas découvrir ce que VIVRE veut dire. »

Alors on nous raconte d’abord l’épisode des cailles qui pleuvent du ciel. Le miracle est expédié en un verset. Pourquoi ? Parce que qui importe n’est jamais le miracle dans la Bible. En l’occurrence, ce miracle est le passage providentiel des oiseaux migrateurs qui remontent, à cette saison, vers le Nord. Avant d’entreprendre la grande traversée de la Méditerranée, des milliers d’oiseaux s’échouent de fatigue chaque année dans le désert. Donc ok, on a de la viande. Mais en définitive, cela importe peu ! Ce qui importe, c’est la manne ! C’est ce avec quoi on va manger cette viande, et qui va marquer l’identité du peuple au désert. Et voilà qu’au matin, paraît cette substance étrange, inconnue jusque là du peuple. On pense aujourd’hui qu’il s’agit d’une sécrétion du tamaris, dont la sève sort suite à une piqûre d’insecte. Pour en avoir mangé, c’est une sorte de pâte blanchâtre au goût de coton. Rien de bien glorieux, mais les bédouins, encore aujourd’hui, la récoltent pour la manger. Toujours est-il qu’on nous donne au v. 15 l’étymologie populaire de ce produit : « MâN Hou ? Qu’est-ce que c’est ? » On ne sait pas quelle est véritablement l’étymologie du mot.

Et le verset précise bien : voilà le fameux « pain », le LéKhèM, le pain identitaire qui marque le peuple des Fils d’Israël au désert ! Ce avec quoi vous mangerez tout le reste. Donc le texte nous dit que le DIEU de Moïse est bien celui qui nourrit le peuple, et donc qui est habilité à donner la Loi. C’est pourquoi, à cette manne, est associé un premier commandement : ne prendre que ce qui est nécessaire pour chaque jour. Et là, ce qui énerve déjà le Seigneur, c’est que malgré le commandement de ne rien en garder, le peuple tente malgré tout de passer outre. Vous voyez ? Comme les gamins : « Non tu n’en reprendra pas ! » Sauf que le gamin, c’est plus fort que lui, tend la main pour en reprendre… C’est le fameux « NAN ! » par lequel l’enfant de 3-4 ans tente d’affirmer son indépendance. Voilà, donc le texte nous dit que le Seigneur a affaire à un peuple encore au stade infantile. Mais bon ! On n’en est qu’au tout début !

Et puis rebelote : un autre commandement oblige à ne rien récolter le 7e jour, le jour du Shabbat. Ça c’est très important, parce que c’est la première fois que paraît le Shabbat, et c’est justement à propos du pain identitaire de la Manne. Le Shabbat n’a pas encore été institué en tant que tel, mais c’est comme pour les enfants : on n’attend pas qu’ils aient l’âge de raison pour leur faire vivre ce qu’on prendra le temps de leur expliquer, mais plus tard. Ici, c’est la même chose : lorsque viendra le moment d’expliciter le sens du Shabbat, l’habitude sera inscrite dans la chair comme un réflexe. Et à travers le Shabbat, c’est déjà le réceptacle de la Torah qui est en train d’être façonné. Et à nouveau, le Seigneur s’emporte : « Jusques à quand refuserez-vous d’observer mes commandements ? » Là, on est un peu surpris, parce qu’il n’y a pas eu tant de commandements que ça. Mais bon, vous avez néanmoins le résumé de ce que sera toute l’histoire des Fils d’Israël, jusqu’à l’Exil. On est bien content que DIEU nous ait libéré ; on est content qu’il soit là, mais pourquoi, en plus, nous impose-t-Il ses commandements ? On n’en a pas envie ! Et voilà apparaître ce qu’on appelle le « péché ». Non pas une faute en soi, mais la désobéissance au commandement du Seigneur, qui est pourtant un commandement de Vie. Seulement voilà : cette Vie a des règles ; elle a un cadre, et elle se présente ici avant comme une vie qui se reçoit de ADoNaÏ chaque jour… On ne peut pas se l’accaparer pour la thésauriser.

La chose n’a pas changé avec l’événement de Jésus : rappelez-vous notre prière identitaire : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ! » Vous entendez ? C’est la même dynamique. Et quand Jean-Paul II parle d’une société contemporaine qui s’est structurée sur le péché, il dit simplement ce que dit le ch. 16 de l’Exode : cette société pense que le Salut est dans l’amoncellement des richesses, loin des commandements de Vie du Seigneur.

Bref. Avec le ch. 16, on est dans ce qu’on pourrait appeler un « récit étalon ». Un récit fondateur. Raison pour laquelle le Seigneur demande à Moïse et Aaron de mettre de côté une mesure de Manne pour la déposer devant ADoNaÏ : c’est comme le kilogramme conservé au Bureau International des Poids et Mesures à Sèvres, si vous voulez. La mesure servira, nous dit le v. 35, d’étalon quotidien, identitaire, pour les 40 années à venir.

Voilà. Donc vous l’avez compris : le ch. 16 est le récit étalon pour toute la suite. Et il y est question de « pain », donc avant tout d’un étalonnage charnel pour toute l’épopée du désert, lié à la Loi à travers les commandements. Encore quelques épisodes, et le peuple sera prêt à recevoir la formulation de cette Loi, de cette Torah. Mais il fallait cette préparation fondatrice.

Je vous souhaite une bonne lecture ch. 16. Nous verrons la suite la prochaine fois.

Je vous remercie.
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