26-07-2015

[Ex] 37 - Le don de la Manne

Exode 16:11-36 par : le père Alain Dumont
Voici que YHWH fait descendre un pain du ciel. Mais qu'est-ce que ce pain ?
Duration:21 minutes 46 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
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Bonjour,

Comme promis, nous terminons aujourd’hui la lecture du ch. 16 du livre de l’Exode, tellement essentiel, vous l’aurez compris qu’on est vraiment obligés de scruter patiemment les premiers versets pour déceler au mieux les fondements qu’ils posent. Et voilà qu’à partir du v. 13, le récit ne va plus traiter que d’un sujet principal : la MANNE.

Ceci dit, avant ça, on nous raconte un épisode de cailles qui pleuvent du ciel, selon ce que Moïse avait promis de la part de HaShèM au v. 8. En l’occurrence, ce prodige est le fruit du passage providentiel des oiseaux migrateurs qui remontent, à cette saison, vers le Nord de la Méditerranée. C’est paraît-il connu : chaque année, avant d’entreprendre la longue traversée de la mer, des milliers d’oiseaux s’échouent de fatigue dans le désert. Donc ok, on a de la viande. Ceci dit, le miracle est expédié en ½ verset, comme en passant. Pourquoi ? Parce qu’en définitive, ça n’est pas important ! Ce qui importe, c’est la MANNE ! Parce que ce qui importe, redisons-le, ce n’est pas d’avoir de quoi manger, puisqu’avec les troupeaux, il y a de quoi nourrir tout le monde, ne serait-ce qu’avec le lait dont les nomades font grande consommation. La vraie question, en réalité, reste fondamentalement celle-ci : AVEC QUOI VA-T-ON MANGER CES CAILLES ? Autrement dit, qu’est-ce qui va marquer CHARNELLEMENT l’identité du peuple des Fils d’Israël AU DÉSERT ? Encore une fois, c’est une question essentielle ! Et voilà qu’au matin, nous dit la seconde moitié du v. 13, paraît sur le sol une substance étrange, inconnue du peuple jusque-là, la fameuse MANNE.

Alors arrêtons-nous sur cette MANNE, qui occupe les deux derniers tiers de notre chapitre. Ici, on nous dit qu’il s’agit d’une substance granuleuse. Le Targum, qui nous livre comment la tradition juive méditait ce passage à l’époque de Jésus, est un peu plus prolixe : « 13b. Le matin, il y eut une chute de rosée, congelée, préparée comme des tables tout autour du camp. 14. Les nuées montèrent et firent descendre la manne par-dessus la chute de rosée ; et elle était comme une couche mince sur la surface du désert, mince comme le givre qui est sur la terre. 15a. Les Fils d’Israël virent cela, ils furent étonnés et ils se disaient les uns aux autres : qu’est-ce cela ? » On est ici dans le même contexte que le Livre de la Sagesse qui écrit à propos de la Manne : « Tu as distribué à ton peuple une nourriture des anges ; Tu lui as procuré du ciel, sans effort de sa part, un pain tout préparé, ayant la capacité de toute saveur et adapté à tous les goûts. » (Sg 16,20-21) Voilà : toute une tradition juive parle précisément de la MANNE comme du « pain des anges », relayée par la tradition chrétienne qui parle à son tour du pain des anges, à propos de l’Eucharistie. C’est d’ailleurs le titre d’une des hymnes liturgiques écrites par saint Thomas d’Aquin : PANIS ANGELICUS. Que dit cette tradition juive ? Elle enseigne que la MANNE a été créée par Dieu au soir du sixième jour de la Création, car tout comme pour le bâton de Moïse, DIEU ne crée rien de nouveau en dehors des 6 jours de la Création. Si quelque chose d’inhabituel paraît dans l’histoire, c’est que cette chose a été tenue en réserve depuis la fondation du monde. Alors maintenant, vous allez me demander : à quoi ça sert de parler ici du pain des anges ? Et puis depuis quand les anges mangent-ils ? Alors oui, ça du sens de s’attarder sur la MANNE comme le pain des anges, et oui, d’une certaine manière, on peut dire que les anges mangent… Par exemple, est-ce qu’on ne dit pas d’une lecture ou d’une conversation qu’elle nourrit l’esprit ? Eh bien pour les anges, il faut imaginer un même genre de nourriture spirituelle. Et si, à un moment donné, il faut que cette nourriture spirituelle soit envoyée sur terre, ça ne peut être qu’en revêtant une dimension CHARNELLE, dans la mesure où, pour l’homme, c’est par le CHARNEL qu’advient le spirituel. Un chrétien devrait le comprendre mieux que quiconque, puisque notre foi enseigne que, précisément, le Verbe du Père s’est fait CHAIR pour se donner à nous comme LA VRAIE NOURRITURE, DIRA Jésus au ch. 6 de l’évangile selon saint Jean ; et Lui-même se désignera comme le PAIN DU CIEL. En DIEU, le Verbe est entièrement spirituel ; mais en Christ Jésus, ce même Verbe ne peut être entièrement spirituel que s’Il est entièrement CHARNEL : c’est tout le sens de la phrase du prologue de saint Jean : « Et le Verbe s’est fait CHAIR » (Jn 1,14). C’est la même dynamique que pour la MANNE : la MANNE est un pain entièrement spirituel, créé par ELoHîM pour nourrir les anges, c’est-à-dire pour signifier aux anges qu’ils tiennent leur existence d’ELoHîM ; les anges n’existent pas par eux-mêmes ; ils ne sont pas à eux-mêmes la source de leur propre existence. Et donc, si on a bien compris la dynamique de cette tradition, si ce pain est communiqué aux hommes, il prend une forme CHARNELLE, mais il reste ce pain qui apprend aux hommes à se recevoir de DIEU ; à recevoir leur existence de HaShèM qui en est la SOURCE. Ce pain confère à ceux qui le mangent la même force spirituelle que pour les anges, puisque ce pain, en définitive, ne communique rien de moins que la VIE DE HaShèM. Et pour la tradition chrétienne, le Christ va jusqu’au bout de cette logique, puisqu’en donnant sa CHAIR comme “pain des anges”, dira la tradition, il confère la VIE éternelle à ceux qui le mangent comme la VRAIE NOURRITURE, c’est-à-dire la nourriture de la VIE. Voilà. En tout cas, quoi qu’il en soit, Ex 16,13-36 est le point de départ de ces traditions, et vous percevez, j’espère, qu’on est loin ici d’un simple petit récit anecdotique !

Alors maintenant, posons-nous la question avec les Fils d’Israël au v. 15 : « Qu’est-ce que c’est ? », MaN Hou ?, en hébreu. L’explication la plus commune aujourd’hui veut qu’il s’agisse d’une sécrétion du tamaris, un arbre courant du désert dont la sève suinte à l’extérieur suite à une piqûre d’insecte. Les Bédouins, encore aujourd’hui, la récoltent pour la manger. Le phénomène est connu ailleurs, comme en Sicile ou en Calabre où on récolte la « manne du frêne » qui est un suc mielleux qui sort spontanément de l’arbre en été par grumeaux friables ; c’est un produit blanc qui acquiert la consistance de miel au contact de l'humidité de l'air et qui a un goût sucré légèrement âcre. Donc oui, la MANNE pourrait être quelque chose comme ça, sauf que ça n’a pas grand-chose à voir avec la rosée du matin, ni cette étendue givrée dont nous parle la ToRaH. Et puis le Tamaris, même s’il est relativement courant dans ce désert, n’est tout de même pas une essence forestière ! Ce sont quelques arbres disséminés par ci, par là… Alors de là à pouvoir nourrir 3000 personnes chaque jour, il y a de marge…

Alors je ne voudrais pas passer sous silence quelques expériences rapportées par des pasteurs américains en mission, qui ne manquent pas d’intérêt, même si ça choque un peu notre rationalisme à la française. En 2013, des étudiants en anthropologie sont venus étudier un site, à l’Ouest de la péninsule du Sinaï, à Serabit El –Khadem. Un matin, au lever du jour, un des étudiants marchait dans le désert, et voilà qu’au détour d’une colline, il voit le sol recouvert d’une sorte de croûte blanche et des gens accroupis pour la ramasser par paniers entiers. Et ce n’était pas une petite surface : il y en avait environ sur 27 hectares ! Interrogeant les villageois, il apprend que ce phénomène se produit depuis des années, et même depuis plusieurs générations, chaque matin que DIEU fait ! Et les villageois d’expliquer à cet étudiant qu’ils viennent récolter cette croûte floconneuse pour la manger en accompagnement, en le trempant dans les sauces. On a essayé d’en prendre pour faire des analyses, mais impossible : en quelques heures à peine, la substance pourrissait et grouillait d’asticots. Étrange, non ?

Autre épisode, 2003 : un pasteur de l'église adventiste a assisté en Angola à un phénomène non moins étrange : dans certaines régions reculées, une espèce de pluie blanche tombait effectivement du ciel, chaque matin, en petites quantités, laissant un tapis de flocons comestibles par les autochtones. Or on raconte qu’on 1939, dans cette région, une mission chrétienne avait été installée et s’était affrontée à de grosses difficultés et avait souffert de grandes privations dues à la guerre, mais aussi à une grande sécheresse qui frappait le pays. Or un matin, après la prière, voilà que la fille du directeur de la mission, âgée de 5 ans, revient à la maison les mains pleines de flocons blancs qu’elle mangeait. Et quand sa mère lui demande ce qu’elle mange, elle répond : « je mange la manne. » « Ah bon ? », lui dit sa mère. Et la fillette d’expliquer : « Des hommes en blanc, là dehors, m'ont dit que Dieu avait écouté nos prières. Ils ont dit que nous pouvons ramasser et manger ces trucs par terre. J'ai ramassé et j’ai goûté ; c'est bon et c'est ce que je mange. » On n’a pas retrouvé ces hommes, mais effectivement, la mémoire retient que pendant tout le reste de la sécheresse, les missionnaires ont récolté chaque matin des seaux entiers de cette manne. Et quand la pluie est revenue, la manne a cessé de tomber en abondance ; le phénomène perdure cependant, en petite quantité. Surprenant… Mais pourquoi pas ? En tout cas, on ne voit pas quelle utilité aurait eu l’un ou l’autre de ces témoignages à répandre une fausse rumeur. D’autre part, ça nous oblige à sortir de cette maladie de la raison qui voudrait tout faire entrer dans ses cases, faute de quoi elle décrète le mensonge… Et surtout, elle met un point d’honneur à désenchanter le monde. En tout cas ici, avec ces deux témoignages, s’ouvre la possibilité d’une autre voie, qui confirme le témoignage des Fils d’Israël. Rappelons-nous que les récits bibliques reposent toujours, sur une expérience qui a bouleversé et marqué l’histoire du peuple de manière indélébile. Et quoi qu’il se soit passé, ce genre d’histoire ne s’invente pas ; et même, si c’était le cas, elle ne serait pas inscrite dans la mémoire charnelle jusqu’à se perpétuer de génération en génération !

Enfin voilà. Toujours est-il qu’on nous donne au v. 15 l’étymologie populaire de ce produit : « MâN Hou ? Qu’est-ce que c’est ? » On ne connaît pas la véritable étymologie de ce mot. Mais quoi qu’il en soit, le verset précise : voilà le fameux « pain », le LéKhèM, le pain identitaire qui marque le peuple des Fils d’Israël au désert ! Ce avec quoi on mangera tout le reste. Donc le texte nous dit que le DIEU de Moïse est bien celui qui NOURRIT LE PEUPLE, et donc le DIEU qui est habilité à DONNER LA LOI, la ToRaH. C’est pourquoi, à cette manne, est associé un premier COMMANDEMENT : ne prendre que ce qui est nécessaire pour chaque jour. Et dès ce commandement, HaShèM va déchanter : le premier réflexe du peuple est de ne pas écouter, d’essayer de passer outre la prescription ! Vous voyez ? Comme les gamins : « Non tu n’en reprendras pas ! » Sauf que le gamin, c’est plus fort que lui, tend la main pour en reprendre… C’est le fameux « NAN ! » par lequel l’enfant de 2-3 ans tente d’affirmer son indépendance. Parce que dans le fond, le récit ne nous dit pas autre chose : HaShèM a affaire à un peuple encore au stade infantile.

Qu’à cela ne tienne : rebelote : un second commandement oblige à ne rien récolter le 7e jour, le jour du ShaBBaT. Ça c’est très important, parce que c’est la première fois que paraît le ShaBBaT, et c’est justement à propos du pain identitaire de la Manne. Le ShaBBaT n’a pas encore été institué en tant que tel, mais c’est comme pour les enfants : on n’attend pas qu’ils aient l’âge de raison pour leur faire vivre ce qu’on prendra le temps de leur expliquer, mais plus tard. Ici, c’est la même chose : lorsque viendra le moment d’expliciter le sens du ShaBBaT, l’habitude sera inscrite dans la CHAIR comme un réflexe. Et à travers cette première mention du ShaBBaT, on comprend que c’est déjà le réceptacle de la ToRaH qui est en train d’être façonné. Et voilà que HaShèM s’emporte, au v. 28 : « Jusques à quand refuserez-vous d’observer mes commandements ? » Là, on est un peu surpris, parce qu’il n’y a pas eu tant de commandements que ça jusqu’à présent. Mais en réalité, vous avez le préliminaire de ce que sera toute l’histoire des Fils d’Israël, jusqu’à l’Exil. On est bien content que HaShèM nous ait libérés ; on est content qu’il soit là, mais pourquoi, en plus, nous impose-t-Il ses commandements ? On n’en a pas envie ! Et voilà apparaître ce qu’on appelle le « péché ». Non pas une faute en soi, mais la désobéissance, l’opposition revendicatrice face au commandement de HaShèM, qui est pourtant un commandement de Vie. Or précisément, la Vie est comme la Manne : elle se reçoit de HaShèM chaque jour, accompagnée de ses règles et de son cadre… Pas plus que la Manne, on ne peut accaparer la vie pour la thésauriser, car dès l’instant où on se l’approprie, elle se désagrège… Et ça, ça horripile HaShèM !

La chose n’a pas changé avec l’événement de Jésus. Rappelons-nous à nouveau notre prière identitaire : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ! », notre « pain quotidien », disait l’ancienne formule. La dynamique est la même : le chrétien reçoit CHARNELLEMENT la Vie du Père, chaque jour, à travers le pain quotidien : entendons par là d’une part le repas que l’on prend — raison pour laquelle on bénit le repas —, et d’autre part l’Eucharistie qui est le PAIN DE LA VIE. Et quand Jean-Paul II parle d’une société contemporaine qui s’est structurée sur le péché, il dit simplement ce que dit le ch. 16 de l’Exode : cette société s’approprie le Salut ; elle pense pouvoir se sauver par elle-même en mettant son Salut dans l’accumulation des richesses, dans le primat à la consommation sans mesure, dans le contrôle de la vie… au mépris des commandements de Vie du Seigneur ; au mépris de la convocation liturgique quotidienne — ou au moins dominicale, mais la prière de l’Église, elle, est quotidienne à travers, entre autres, les Vêpres et les Laudes. Or ce mépris, nous dit le ch. 16 de l’Exode, prophétique, signe pour cette société sa propre désagrégation…

Enfin bref. Pour terminer, disons encore qu’avec le ch. 16, on est en quelque sorte dans ce qu’on pourrait appeler un « récit étalon ». Un récit fondateur. Raison pour laquelle HaShèM demande à Moïse et Aaron de mettre de côté une mesure, un ÔMeR, c’est-à-dire aux alentours de 3 litres et demi de Manne, on ne sait pas très bien, pour la déposer devant Lui ; de la même manière, si on veut, qu’il y a en France un kilogramme étalon conventionnel correspondant à la masse d’un litre d’eau et qui sert à unifier les transactions économiques du monde industriel. Eh bien cette mesure de MANNE servira effectivement, nous dit le v. 35, d’étalon conventionnel, identitaire, pour « toutes vos générations », dit le v. 33. C’est-à-dire que, même arrivés au terme du voyage, même installés en CaNa”âN, cet ÔMeR de Manne rappellera au peuple des Fils d’Israël qu’il ne reçoit son existence et sa Vie quotidienne, que des mains de HaShèM.

Voilà. Donc : le ch. 16 est vraiment capital, au sens où il se présente comme le récit étalon pour toute la suite. Et il y est question de « pain », donc avant tout d’un étalonnage CHARNEL pour toute l’épopée du désert, liée à la ToRaH à travers les premiers commandements qui y sont formulés. Encore quelques épisodes, et le peuple sera prêt à recevoir au mont Sinaï la pleine formulation de cette Loi, de cette Torah. Mais il fallait d’abord cette préparation fondatrice, charnellement initiatique, ou dit autrement : prophétique.

Je vous souhaite une bonne lecture de la fin de ce ch. 16. Nous verrons la suite la prochaine fois.

Je vous remercie.
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