19-09-2015
[Ex] 42 - À la recherche du Mont HoReV
Le peuple arrive enfin à l'HoReV. Mais où se trouve ce Mont ? Est-ce le Mont Sinaï où se trouve le monastère Sainte Catherine ? Est-ce un autre lieu ? Mais alors lequel ?
Duration:20 minutes 17 secondes
À voir : Documentaire interview du professeur EMMANUEL ANATI expliquant ses hypothèses sur la localisation du Mont Sinaï : https://www.youtube.com/watch?v=dqMjezOo40g
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Transcription du texte de la vidéo :(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/a-la-recherche-du-mont-horev.html)Tous droits réservés.Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,
Avec le ch. 19, nous voilà au début de la dernière grande partie du livre de l’Exode, qui nous entraînera jusqu’au ch. 40. Alors on n’ira pas très loin dans la lecture aujourd’hui, parce que les premiers versets nous donnent l’occasion de partir en exploration archéologique, un peu comme on l’a déjà fait à propos de la Mer des Roseaux… C’est un de ces aspect passionnants de la Bible qui reste une aventure ouverte depuis 3000 ans ! C’est prodigieux ! Alors : le peuple quitte RéPhiDîM et prend la direction de la Montagne de HaShèM, dans le désert du Sinaï, nous dit-on. À partir de là, il n’en bougera plus jusqu’au ch. 40. Beaucoup de choses vont être vécues à cet endroit, les meilleures comme les pires, de sorte que quand le peuple reprendra la route vers la Terre de la Promesse, il sera tout autre.
Maintenant, il faut bien se poser la question : quel est cet endroit ? Essayons de sonder les quelques indices à notre disposition. Le 1er livre des Rois raconte qu’environ un siècle plus tard, Élie, fuyant la colère de Jézabel, descend depuis le Mont Carmel, au Nord Ouest d’Israël, jusqu’à BéeRShVa, aux portes du NéGèV ; puis entreprend une marche de 40 jours et 40 nuit jusqu’à l’HoReV. Si c’est le cas, alors le Mont Sinaï tel qu’on le situe aujourd’hui est effectivement atteignable en 40 jours de marche. La route est difficile, mais pour quelqu’un de déterminé, en suivant les routes qui mènent de puits en puits, pourquoi pas ?
En même temps, cet emplacement pose problème, parce qu’il ne relève pas d’une tradition continue. C’est au IIIe siècle que des moines se sont installés dans le désert pour vivre en solitude, et c’est seulement en 337 après J.-C. que la mère de l’empereur Constantin, Hélène, fait construire le monastère Sainte-Catherine autour d’un buisson qu’on lui présente comme le buisson ardent… et dans l’enfilade, on désigne le Mont qui se dresse là comme le Mont HoReV… Et c’est vrai que si vous montez au sommet, surtout si vous dormez sur place et que vous êtes debout juste avant le lever de soleil, vous avez un paysage digne d’Hollywood : c’est prestigieux ! Et c’est comme ça que, depuis 16 siècles, les pèlerins défilent et se succèdent sur le chemin qui mène au sommet, sans qu’on ait tellement tenu à mettre en cause cette localisation du Mont Sinaï. Bon. Ceci dit, aujourd’hui, cette localisation est relativement mise en cause, surtout du fait que l’itinéraire des Fils d’Israël a peu de chance d’être passé par une telle route qui l’aurait emmené au Sud de la Péninsule.
On a quelques autres sources qui nous parlent du Mont HoReV, comme saint Paul en Ga 4,25, qui le situe en Arabie… L’Arabie à l’époque de Paul, c’est ce qu’on appelle l’Arabie Pétrée, c’est-à-dire la province romaine qui comprend la Jordanie, le Nord-Ouest de l’Arabie Saoudite actuelle et toute la Péninsule du Sinaï. Donc impossible d’y trouver une indication précise. À la même époque, on a aussi Flavius Josèphe, le grand historien du monde antique à l’époque romaine, qui écrit que le Mont Sinaï s’élève entre l’Égypte et l’Arabie. C’est plutôt vaste ! Voilà, c’est tout. Quant à la tradition juive, le Talmud n’en fait pas état, et force est de constater que, depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui, les juifs ne cherchent pas à le localiser.
Ce n’est que très récemment que la question de la localisation du Mont a commencer à passionner les chercheurs. Dans les années 1980, Ron Wyatt, dont on a déjà parlé à propos des sites de la traversée de la Mer Rouge, localise le Mont HoReV à l’Est du Golfe d’Aqaba, au Djebel al-Lawz. Mais sa théorie pose plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions, donc elle est quasiment abandonnée aujourd’hui. D’autres ont cherché le mont HoReV dans le pays d’Édom, et un certain nombre d’archéologues le situeraient volontiers aux environs de Petra. D’autant que la vallée dans laquelle est sise la ville de Petra est appelée le Wadi Musa, en arabe, c’est-à-dire la vallée de Moïse. Ceci dit, ça peut simplement se référer au fait que pour entrer par l’Est du Jourdain, Moïse et les Fils d’Israël ont du emprunter cette route. Reste maintenant cette note du début du livre du Dt (Dt 1,2) : « Il y a onze jours par le chemin du mont SéïR, de l’HoReV à QaDéSh BaRNéa. » Or la ville de QaDéSh BaRNéa est précisément entre le désert de PaRâN et le désert de ÇîN. C’est dans cette région qu’on pense aujourd’hui qu’il faut chercher le site du Mont HoRèV avec le plus de vraisemblance. Dans cette ligne, il faudrait noter l’intuition du professeur Emmanuel Anati qui désigne le Mont HoReV comme étant le Mont du Safran, HaR KaRKôM en hébreu. Comme cette théorie est relayée par un certains nombre de chercheurs, notamment des chercheurs juifs, on va essayer d’en dire rapidement quelques mots. Trop rapidement ! Pour ceux qui veulent en apprendre un peu plus, je vous mets en documents un interview du professeur Anati en vidéo.
HaR KaRKôM, c’est d’abord un site archéologique impressionnant, avec des traces d’intenses activités humaines autour du Mont dès 4000 ans avant J.-C., jusqu’à la fin du IIIe millénaire. On y a découvert sur ce site plus de 40 000 gravures rupestres ; un site littéralement recouvert d'outils et d'ustensiles en silex associés à de nombreux restes d’habitats datant de différentes époques paléolithiques — des habitats plutôt ponctuels semble-t-il. Et en 1992, l'équipe de Emmanuel Anati a découvert un sanctuaire paléolithique singulier sur l’un des bords du vaste plateau du HaR KaRKôM, ainsi qu’une quarantaine de monolithes en silex dressés, évoquant un lieu particulièrement sacré. une plate-forme avec 12 stèles dressées — on verra qu’un peu plus tard, Moïse dresse douze stèle au pied du Mont HoReV —, et surtout, au sommet du Mont, on trouve les vestiges d’un sanctuaire, entouré de larges cercles en pierre de 20 mètres de diamètre, destinés à l’allumage de grands feux dont on a du mal à saisir l’utilisation.
Bref. L’ennui, c’est que tout ça remonte vraiment à loin dans le temps… Le site a été abandonné 2000 ans avant J.-C, sans doute à cause du climat devenu trop sec. Si l’Exode devait remonter à cette époque, ça fait de Moïse un contemporain d’Imhotep, ce qui est assez improbable. Sauf que le site reprend du service vers l’an 1000, et alors là, ça nous intéresse, parce qu’on rejoint la chronologie à laquelle on s’est attaché avec le prof. Davidovits ! D’après cette chronologie, les Fils d’Israël arrivent en CaNa”âN peu avant l’an 1000, et s’ils sont restés l’espace d’une génération dans le désert — 40 ans, dit la ToRaH —, pourquoi ne pas envisager que Moïse les ait conduits vers ce site du HaR KaRKôM qui ne pouvait pas ne pas être connu d’un homme qui avait déjà passé 40 ans de sa vie dans la région, après avoir fui l’Égypte et s’être réfugié en Madiân.
Voilà, alors tout ça reste bien entendu une hypothèse, mais il semble qu’il y ait matière à réfléchir. Et puis pour ne pas faire trop compliqué, on va s’en tenir à cette interprétation. De toute manière, savoir précisément où les événements se sont déroulés n’a qu’une importance très relative. Ce qui importe n’est pas où se sont déroulés les événements, mais comment la mémoire d’Israël y a enraciné les fondements de son Histoire à la lumière de la ToRaH de HaShèM.
Bien. Alors maintenant, attachons-nous à trois points qui touchent nos v. 1 et 2 : je ne sais pas si vous avez entendu, mais tout à coup, dans mon propos, j’ai parlé d’ISRAËL, et non plus seulement des FILS D’ISRAËL… Eh oui, parce que ces v. 1 et 2, qui ouvrent la seconde grande partie du livre de l’Exode, composent eux-mêmes cette articulation. À partir du v. 2, le nom d’ISRAËL va revenir de plus en plus souvent. On peut voir là l’idée d’une UNIFICATION identitaire DU PEUPLE, rapportée au nom du Patriarche Jacob. Rappelons-nous qu’au moment où Jacob reçoit son nouveau nom de la part de l’Ange de DIEU avec qui il s’est « roulé dans la poussière » toute la nuit, Jacob REVIENT lui-même DE SON PROPRE EXIL depuis le Mitanni où il avait trouvé refuge chez son oncle Labân. Or que vit le peuple avec la Sortie d’Egypte, sinon, un RETOUR D’EXIL ? Comme le Patriarche. Vous voyez ? C’est comme ça que l’histoire PREND SENS. Pour comprendre ce qu’on vit aujourd’hui, on s’appuie sur ce qu’ont vécu les anciens. Non qu’on revive la même chose — on n’est pas dans une répétition cyclique des événements —, mais on a conscience que ce qu’on vit aujourd’hui s’inscrit et ne se comprend que dans la lumière de ce qu’ont vécu les anciens. Dit autrement, il y a une solidarité essentielle entre les générations ; une solidarité qui constitue la MÉMOIRE VIVE de l’Histoire avec un grand H, c’est-à-dire de cette Trajectoire qu’ont initiée les pères et sur laquelle se greffent ceux qui se reconnaissent comme leurs fils. C’est ça, l’Histoire, et non pas simplement une sorte de journalisme des temps passés.
Bref. Autre remarque : la place du chiffre trois dans ces deux versets : le récit nous dit qu’on est le 3e mois de la sortie d’Égypte — le mois de SiVâN —, et que la Théophanie va se produire le 3e jour. Or le 3e jour est remarquable dans la Bible, dans la mesure où c’est souvent un 3e jour que DIEU se manifeste. En ce sens, ce n’est pas par hasard que Jésus ressuscite un troisième jour. Or où trouve-t-on le premier troisième jour décisif dans la Torah ? Dans le récit de la création. Que se passe-t-il le 3e jour de la création ? Le 3e jour, la terre apparaît par la limitation des eaux, suivie par la germination des végétaux qui marquent donc ce 3e jour du sceau de la FÉCONDITÉ. Du coup, désormais, tous les troisièmes jours que la Torah prendra soin de souligner devront éveiller notre attention sous l’angle de la FÉCONDITÉ. Et donc ici, en soulignant qu’on est le 3e jour du 3e mois, la ToRaH utilise volontairement ce code pour éveiller notre attention : HaShèM va se manifester à travers un événement de FÉCONDITÉ qui surgit au milieu du désert, le fameux MiDVaR dont on a déjà parlé. Le ch. 19 pose symboliquement que l’Alliance qui va être donnée est de l’ordre de la fécondité.
Maintenant, posons-nous la question : qu’ont devant eux les Fils d’Israël ? Le v. 2 nous dit qu’ils campent, non pas « devant » la montagne, comme on traduit souvent, mais : « en VIS-À-VIS de la montagne », en hébreux NéGèD HaHaR, de la même manière que DIEU dit, en Gn 2, que la femme est pour l’homme « son secours comme son vis-à-vis », KeNèGDo. C’est la même racine, NéGèD, VIS-À-VIS, qui exprime une RELATION. Donc le peuple n’est pas simplement « devant » la montagne, mais il est en VIS-A-VIS avec elle. Une montagne, qui plus est, qui est placée sous le sceau du 3e jour, c’est-à-dire de la FÉCONDITÉ. Donc quelque chose de l’ordre de la vie va jaillir de cette montagne ! Mais si la chose est possible, c’est précisément parce qu’une RELATION s’instaure entre cette montagne et les Fils d’Israël. Ils ne sont pas là en simples spectateurs : ce qui va se passer concerne l’ALLIANCE dans laquelle ils sont replongés grâce à Moïse ; une ALLIANCE qui remonte à Abraham, et dont ils vont devoir prendre le relai existentiel ! Vous voyez ? On est dans une histoire qui prend SENS, qui est une histoire de RELATION. On n’est vraiment pas ici dans un récit animiste, dans un rapport dominant des esprits sur les hommes menés par le bout du nez et dans le fond, prisonniers des divinités comme en Égypte. Ce serait être retombés de Caribe en Silla, et toute l’histoire de la libération serait avortée ! Quel gâchis ce serait !!! Et surtout quel mensonge insupportable ! Quelle TRAHISON de la part de HaShèM ! Non : on est vraiment dans une histoire de VIE ; une aventure où on assiste à la germination de la véritable LIBERTÉ dont nous vivons pleinement aujourd’hui, si nous voulons bien prendre au sérieux ce que nos anciens ont voulu nous transmettre.
Ajoutons à tout ça une dernière remarque, toujours dans le même sens : si on s’arrête sur la racine du mot HaR, la Montagne, on s’aperçoit que le verbe correspondant, HaRaH, signifie CONCEVOIR… Encore la fécondité !
Donc vraiment, ces deux versets nous donnent le cadre de la rencontre avec HaShèM : dans cette rencontre, quelque chose va être engendré, et c’est… la ToRaH ! La ToRaH qui est une TORAH DE VIE, une ToRaH dans laquelle se trouve toute la dynamique de la VIE. Et dans le fond, à l’autre extrémité de la Bible, qu’est-ce que la résurrection du Christ, le 3e jour, sinon l’accomplissement absolu de la VIE portée par cette ToRaH ? Et pour aller jusqu’au bout du mystère, lorsque HaShèM dira, au v. 12, que nul ne doit toucher la montagne, ça renvoie nécessairement un chrétien à l’autre moment crucial de cette Histoire avec un grand H : lorsque Jésus ressuscité dit à Marie-Madeleine : « Ne me touche pas ! ». Et le texte de l’Exode nous en livre la raison : le mystère de la Vie qui se manifeste sur cette Montagne comme celle, a fortiori, qui se manifeste en Jésus, ne peut être approché que… LITURGIQUEMENT, c’est-à-dire après une préparation, une sanctification. Voilà le sens de cette phrase de Jésus à Marie-Madeleine ; un sens qu’on peut entendre à la lumière du récit de l’Alliance dans le livre de l’Exode. C’est comme ça que fonctionne une lecture intelligente de la Bible : chaque événement ne parle pas seulement par lui-même : il s’éclaire à travers tous les événements qui s’y rattachent d’une manière ou d’une autre, et que les récit prennent soin, intentionnellement, de les faire se correspondre en glissant comme ça des indices textuels. S’il y a un code dans la Bible, il est là : dans l’art de décrypter ces indices et de s’émerveiller du sens qu’ils contiennent, mais qu’ils ne livrent qu’à ceux qui s’évertuent à les scruter ! Les rabbins et les pères de l’Église excellent dans cet art où les textes se combinent pour faire sens. C’est un deuxième niveau de lecture, plus profond, auquel conduit la fréquentation et l’étude de l’Écriture. Donc ici, simplement en 2 versets, s’ouvre un nouvel espace qu’on n’avait pas encore abordé jusqu’à présent : c’est de liturgie qu’il va être question pour se préparer à entrer dans le grand mystère de la Vie et de la Liberté à laquelle HaShèM veut ouvrir son peuple ; une ouverture qui le conduira, bien des générations plus tard, à s’ouvrir au mystère de la Vie et de la Liberté livrées en Christ.
Mais nous verrons ça la prochaine fois.
Je vous souhaite une bonne lecture de ces deux versets tellement riches.
Je vous remercie.
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