31-03-2016

[Ex] 71 - Moïse brise les Tables de pierre

Exode 32:15-20 par : le père Alain Dumont
Moïse descend de la montagne et, voyant le taurillon et le peuple en liesse autour de lui, brise les Tables de pierre. Où l'on découvre que si Moïse n'avait pas fait cela, la montagne aurait englouti le peuple...
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous sommes au ch. 32 du livre de l’Exode, à partir du v. 15 : Moïse est en train de descendre du Mont Horeb. L’image est connue : il descend en tenant en main les Tables du Témoignage, nous dit-on — on a rencontré cette expression à propos de l’arche, au ch. 25. Alors la traduction par témoignage est un peu ambiguë, on a du mal en français à comprendre ce que ça signifie. En hébreu :LouH.oT Hâ“éDouT, signifie les Tables qui ATTESTENT la volonté de YHWH. Donc on pourrait traduire par TABLES D’ATTESTATION de la volonté de DIEU face à son peuple.

Ces tables, nous dit-on, sont écrites des DEUX CÔTÉS. Ça ne signifie pas qu’elles soient écrites recto verso, comme le comprennent certains rabbins, mais que la surface écrite de chaque table se positionne en regard de l’autre. “éVèR, en hébreu, c’est le côté, certes, mais c’est comme quand on parle des rives d’un fleuve : on passe d’un CÔTÉ à l’autre, d’une RIVE à l’autre. D’ailleurs, la racine “âVaR signifie PASSER, TRAVERSER. Eh bien, de la même manière qu’on ne peut pas séparer les deux rives d’un fleuve et qu’on passe de l’une à l’autre, on passe d’un côté à l’autre des deux Tables qui sont indissociables, qu’il faut tenir ensemble. On ne peut pas partir avec l’une des deux seulement. Et comme les rives contiennent l’eau du fleuve, les côtés des Tables de l’ATTESTATION contiennent les Paroles de YHWH.

Alors le v. 16, quant à lui, est assez étrange : c’est comme s’il voulait vraiment insister sur le fait que ce soit DIEU, ‘ÈLoHîM, et non YHWH, qui ait écrit ces tables. ‘ÈLoHîM, je vous rappelle, c’est le DIEU en tant que toutes les nations le connaissent. C’est le DIEU Créateur. YHWH, c’est le Nom d’‘ÈLoHîM, son « vrai » Nom, mais révélé uniquement à Moïse, et par lui à Israël. Donc insister sur le fait que ce soit ‘ÈLoHîM qui ait écrit, c’est laisser entendre que ces deux tables, tout en étant données à Israël, sont appelées à être reçues par TOUS ! Israël n’est pas une secte ! Les Tables qui lui sont confiées sont en fait destinées à toutes les nations, puisqu’elles contiennent la PAROLE LIBÉRATRICE de YHWH. C’est comme les FIGURES à l’intérieur du peuple. Pour que tout le peuple puisse se mettre en marche, il faut des FIGURES que YHWH choisit : c’est ce qu’on appelle l’ÉLECTION d’Abraham, Isaac, Jacob, Moïse etc. Et grâce à ces FIGURES qui INCARNENT l’attachement de YHWH à ses élus, tout le peuple de leurs descendants porte en sa chair cet attachement. Enlevez ces FIGURES, et tout s’évanouit. C’est le danger de ces valeurs désincarnées qu’on nous assène à longueur de temps dans l’Occident oublieux de DIEU. Or ce que YHWH met en place pour son peuple, il le met en place de la même manière pour les nations. Il appelle toutes les nations au Salut, mais pour ça, il choisit UN peuple, le plus petit d’entre tous, pour INCARNER cet appel ; pour être cette FIGURE parmi les nations qui leur manifeste ce qui se passe lorsqu’UN PEUPLE met sa foi en YHWH et leur donner le désir de se laisser libérer par Lui. Reste qu’en attendant, cette élection est d’abord portée par Israël, mais d’emblée, par cette très fine précision du Nom de DIEU, ‘ÈLoHîM, une ouverture est creusée !

Maintenant, que veut dire le v. 16 en insistant : « Les tables étaient une œuvre de ‘ÈLoHîM, et ce qui était écrit était un écrit de ‘ÈLoHîM, gravé sur les tables. » ? D’autant qu’à la fin du ch. 31, le récit avait déjà précisé : les deux tables de l’ATTESTATION étaient écrites du DOIGT même de DIEU. La tradition rabbinique orthodoxe entend ici qu’il s’agit des tables éternelles créées par DIEU le 6e jour de la Création, comme le bâton de Moïse, si vous vous en souvenez. (vidéo 8- Moïse en terre de Madiân) Ce principe veut que tout ce qui est un peu sensationnel dans l’histoire, comme encore la manne, ou l’arc-en-ciel qui paraît après le Déluge, n’a pas été créé par YHWH sur le moment : tout a été préparé dès la Création, la veille du 7e jour. Maintenant, la tradition juive libérale voit les choses autrement, de même que les chrétiens. Si on garde en mémoire le principe selon lequel YHWH et Moïse œuvrent de concert, au point encore une fois que croire en YHWH, c’est croire en Moïse et que croire en Moïse, c’est croire en YHWH, alors on peut tout à fait comprendre que lorsque YHWH façonne et écrit ces Tables, ce soit par Moïse ! Non pas sous l’emprise d’une dictée automatique, mais par illumination ! La chose est d’ailleurs valable pour tous les auteurs bibliques ! C’est très clairement formulé par un texte de Vatican II, dans la constitution Dei Verbum, au n. 11 : « Notre sainte Mère l’Église, de par la foi apostolique, tient pour sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint, ILS ONT DIEU POUR AUTEUR et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même. Pour composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il a eu recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, EN VRAIS AUTEURS, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. »Voilà. Le style n’est pas d’une légèreté à toute épreuve, mais bon. Au moins, il est clair. Ce qui veut dire que dans notre passage d’Ex 32,16, ‘ÈLoHîM est bien l’AUTEUR de ce qui est écrit sur les Tables en tant qu’il en est la SOURCE, mais cet AUTEUR passe par Moïse, à travers ses facultés propres, entièrement libre au point qu’on peut dire qu’il EST TOUT AUTANT, pour ce qui lui revient, L’AUTEUR de ce qui est écrit. Ça peut sembler compliqué, mais c’est plus important qu’il n’y paraît. Il y a déjà quelque chose de l’INCARNATION qui nous est dit là, dans la mesure où YHWH, à part peut-être les 6 premiers jours de la Création, n’intervient jamais dans l’histoire sans passer par la CHAIR de l’homme. Voilà l’intuition essentielle de la ToRaH, qui fait que tout ce qui est magique, sorcellerie ou miracles, c’est-à-dire tout qui passent par un autre biais que le concours de la CHAIR, est nécessairement suspect, parce que désincarné, justement.

Bref. Toujours est-il que le récit continue. Moïse a rejoint Josué, YeOShOua“ — Jésus, c’est le même nom — qui, lui, a su attendre. Et il entend un KOL Hâ“âM BeRé“oH, litt. : une voix du peuple dans le chahut. Alors immédiatement, en bon soldat, il pense : « Voix de guerre ! », comme un cri de ralliement ! Mais Moïse, qui sait, lui répond : « Non : c’est un KOL “aNNOT, une voix d’écho. la racine “aNaH signifie RÉPONDRE, mais aussi ÊTRE TOURMENTÉ. Donc c’est un écho funeste que Moïse entend au loin. Et alors qu’il arrive et qu’il voit les danses idolâtres, il se met à fulminer des narines ! Voilà : YHWH, Moïse, même combat ! Et là, ça va être taureau contre taureau : le taureau qui fulmine contre le taureau qui parade… et voilà que Moïse « jette les Tables et les brise au pied de la Montagne », dit le v. 19. En fait, littéralement, il ne les jette pas, mais les LANCE, ShaLaKh — sinon, on aurait le verbe ZâRaQ, qui signifie proprement JETER. Ce qui veut dire que le geste n’est pas colérique ! Moïse n’est pas en train de faire comme dans ces colères de couples où on s’envoie la vaisselle à la figure, c’est beaucoup plus subtil ! On l’a dit : ces Tables de Pierre ne sont pas seulement des inscriptions administratives comme on grave des valeurs sur le fronton d’une mairie. Ces Tables de Pierre sont le SCEAU DIVIN, éternel, de l’engagement de YHWH et de son peuple à vivre de concert sous la bannière de la sainteté. Tout cela avait été scellé dans le sang de l’Alliance dont le peuple avait été aspergé, au ch. 24, donc ça ne rigolait pas ! De ce fait, si Moïse avait présenté ces Tables de Pierre au moment même où le peuple est pris en flagrant délit de trahison de l’Alliance, en toute justice, le peuple aurait dû être anéanti… Or voici que ce sont les Tables de Pierre qui sont anéanties… Qu’est-ce que ça veut dire ? Il nous faut scruter le texte.

L’hébreu, TaH.aT, peut signifier SOUS, ou AU PIED DE : d’où les traductions habituelles : « Moïse jeta les tables et les brisa au pied de la montagne ». Mais TaH.aT signifie SOUS au sens de À LA PLACE DE, un peu comme on dit en français que quelqu’un travaille en SOUS MAIN, c’est-à-dire À LA PLACE d’un autre. Ce qui donne alors la traduction suivante : « Moïse lança les tables et les brisa À LA PLACE de la Montagne ! » Ce qui veut dire que plutôt que d’appliquer la stricte justice de l’Alliance, YHWH, à travers le geste de Moïse, préfère ABDIQUER. Il préfère briser ses propres tables plutôt que de briser la montagne et qu’elle s’abatte sur le peuple. Il fait abdiquer la Loi de justice, plutôt que de laisser cette justice agir en toute rigueur ! Et là, paraît pour la première fois l’image du DIEU HUMBLE et MISÉRICORDIEUX.

Or à cet instant, à nouveau, en germe, ce n’est rien de moins que la dynamique de la CROIX qui apparaît ! Comment ça ? Eh bien au sens où, plutôt que de condamner en toute justice le monde pécheur, Dieu Lui-même, en son Christ, préfère abdiquer, s’anéantir Lui-même, comme dit saint Paul en Ph 2 : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il lui a donné le Nom — YHWH — qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2,6-11) Eh bien : dès l’épisode du Taurillon d’Or, qui est l’épisode du péché originel d’Israël, pour ainsi dire, on a cette dynamique qui s’instaure : YHWH préfère, à cet instant, se vider de ses prérogatives plutôt que de les faire valoir au titre de sa divinité Toute Puissance, celle-là même qu’Il a manifestée face à Pharaon.

Sauf que cette abdication va faire surgir quelque chose de plus puissant encore que la justice pure, à savoir la MISÉRICORDE. À cet instant, devant l’ampleur du péché du peuple, YHWH, par Moïse, comme plus tard par son Christ, RETIENT SON ÉLAN de justice. Quelque part, Il sait que ça va trop vite. Comme pour Adam et Ève : trop vite, trop loin d’un seul coup ! On sent bien ici l’impatience de YHWH pour qu’advienne son dessein de Salut ! Oui, mais non… pas si vite ! Alors est-ce que ça veut dire pour autant qu’il faut laisser faire ? Jamais de la vie ! Mais pour l’heure, Moïse — et par lui YHWH — laisse volontairement de côté la promulgation de la ToRaH — puisque PROMULGATION FAIT LOI ! Sans promulgation, rien ne se passe et comme on dit aujourd’hui, la loi reste dans les cartons ! —. Il faut commencer par manifester l’inanité du taurillon idolâtre, de sorte que là, Israël se découvre PÉCHEUR. Découvre que l’idolâtrie N’EST PAS QU’EXTÉRIEURE. Elle ne concerne pas que les nations, les “autres”. L’idolâtrie couve aussi à L’INTÉRIEUR même du peuple élu. Et là, face à ce péché manifesté, Israël fait l’expérience de la MISÉRICORDE au sein de l’Alliance — Miséricorde dont Sodome et Gomorrhe n’avaient pas pu bénéficier, faute de compter en son sein au moins de 10 justes pour intercéder en sa faveur. Là, UN SEUL intercède — rappelons-nous Moïse sur la montagne, aux v. 7 à 10 — pour que survienne la MISÉRICORDE, une MISÉRICORDE qui se manifeste par un retrait de YHWH et de sa ToRaH, au moment même où la sanction aurait dû tomber en toute justice en réponse au péché du peuple.

Maintenant, ce retrait, cette abdication n’est pas un abandon du projet de YHWH ! C’est pour une surabondance, pour un bien encore plus immense qui interviendra dans la suite ; toujours selon le principe énuméré par Joseph : « Du mal, ‘ÈLoHîM a médité d’en faire un bien » C’est la conclusion même de toute la Genèse, au ch. 50, v.20. Et ce bien, ce bien qui surpasse le mal, le péché mortifère, ce sera le surgissement d’une VIE encore plus abondante, ce qui signera de manière ultime le mystère de la Passion suivie de la résurrection du Christ Jésus ! « Bienheureuse faute d’Adam qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur ! », chantons-nous lors de chaque Vigile pascale ! C’est un grand MYSTÈRE. J’espère en tout cas que vous voyez l’enjeu extraordinaire de cet épisode quand on accepte de scruter un peu profondément sa signification, plutôt que de le lire superficiellement, avec condescendance…

Et ça continue. Au v. 20, Moïse prend le taurillon, il le fulmine — là, on a encore le verbe de la colère, on est vraiment taureau contre taureau ! Pas de quartiers ! — Et on nous dit qu’il le pile jusqu’à le réduire en poussière… On en a déjà parlé, mais si la statue est entièrement en or, pour la réduire en poussière, il va falloir y mettre de la volonté ! D’autant qu’on nous dit que c’est Moïse tout seul qui le détruit ; il ne le fait même pas faire par des gars sachant manier le pilon !... De toute façon, de mémoire d’ancien chimiste que je suis, la poussière d’or, ça n’existe pas ! Vous pouvez éventuellement faire un tas de paillettes que vous aurez extirpées du sable, avec un tamis comme le montrent toutes les images d’Épinal montrant des chercheurs d’or ; vous pouvez faire un chlorure d’or en plongeant le métal dans de l’acide chlorhydrique mêlé à de l’acide nitrique — on s’en sert pour raffiner l’or —, mais de là à faire de la poussière d’or à partir d’un lingot, même pas en rêve !

Sauf qu’on se souvient qu’en fait, le taurillon est en CALCAIRE aggloméré RECOUVERT d’or, et là, ça change tout ; tout devient beaucoup plus clair ! D’autant plus que la cuisson pour faire le taurillon a en fait transformé le calcaire en chaux, qui se désagrège très facilement : donc plus de difficulté pour le broyer. Et c’est la même chose si l’agglomérat est en dolomie (un mélange de carbonate de calcium et de carbonate de magnésium), ou encore en magnésie mêlée de chaux. Du coup, la poudre peut être dispersée dans l’eau, et même être ingurgité : on ne vous donne pas autre chose à boire quand vous avez des aigreurs d’estomac ! Donc, oui : les Fils d’Israël ont pu boire ce curieux breuvage. Ce faisant, ils ont bu symboliquement à leur propre péché. Manière CHARNELLE s’il en est, infiniment plus efficace que de longs discours, d’apprendre au peuple que ce ne sont pas les ennemis extérieurs qui sont les pires dangers pour l’Alliance, mais bien son propre péché, au plus intime de lui-même. Et ça, parce qu’encore une fois on est passé par la CHAIR qui ingurgite le péché, je peux vous assurer que jamais le peuple n’oubliera ce moment ! Non seulement ça, mais le meilleur signe que la leçon porte ses fruits, c’est qu’il la rapportera sans faux-semblant, sans pseudo-justification, avec la honte rivée aux entrailles, à tous ses descendants ! Alors nous avons beau jeu de lire ce texte avec mépris ! Pour le dire de manière triviale, c’est plutôt couillu d’avoir eu le courage d’écrire cette confession publique et de l’avoir publiée à la face de tous leurs descendants, et même à la face du monde entier !

Grande leçon, donc, qui s’adresse évidemment à chacun d’entre nous comme à toute l’Église des fils d’Abraham par Jésus. Une leçon qu’il faut savoir lire avec patience, vérité et profondeur. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie.