16-09-2016

[Lv] 4 - La NèPhèSh

Levitique 2:1 par : le père Alain Dumont
Mais quelle est donc cette personne à qui s'adresse le ch. 2 du livre du Lévitique ?
Duration:16 minutes 41 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Lors de la dernière vidéo nous nous sommes arrêtés sur le sens des montées, les holocaustes, et à partir de là sur le sens du QâRBâN, de l’Offrande qu’on fait approcher de YHWH pour s’approcher soi-même de Lui.

Le ch. 2 du Lévitique, lui, va nous introduire dans le mystère d’un autre QâRBâN puisqu’il s’agit de l’offrande VÉGÉTALE, le QâRBâN MiNH.âH en hébreu qu’on traduit généralement en français par Offrande d’Oblation. MiNH.âH, c’est le don, le présent. Alors nous allons dans cette vidéo nous attacher à un seul point, mais qui mérite vraiment qu’on s’y arrête pour comprendre le sens profond attaché à ce chapitre : le v. 2 du ch. 1 concernait l’holocauste réservé au ‘aDâM, c’est-à-dire à l’Homme avec un grand H, l’Homme accompli qui répond au dessein de YHWH en choisissant de faire MONTER sa nature animale à la rencontre de la nature divine. Ici, ce ‘ADaM disparaît : l’offrande est présentée par ce que nos bibles traduisent diversement par une “âme” ou une “personne”. Il s’agit en hébreu de la NèPhèSh, littéralement la GORGE en tant qu’elle représente l’ÊTRE VIVANT. L’être vivant en tant qu’il RESPIRE, au sens où cette respiration est le signe de la vie qui l’anime, c’est-à-dire de sa VITALITÉ. Quand quelqu’un meurt, on dit qu’il expire sa NèPhèSh, comme pour Jésus sur la croix par exemple. Ou quand le psalmiste se sent menacé, il supplie YHWH de ne pas permettre qu’il perde sa NèPhèSh. La NèPhèSh donc, c’est la VITALITÉ DU CORPS, ce qui fait qu’il s’anime et qu’il s’exprime. Mais c’est aussi la vitalité qui habite la CRÉATION, de sorte que celui qui offre une oblation végétale n’a pas cette fois pour but d’élever sa nature animale vers YHWH comme pour l’holocauste mais de se présenter avec sa NèPhèSh pour faire approcher cette VITALITÉ qu’il partage avec la création. Donc pour résumer : on a d’un côté l’Homme, le ‘ADaM qui fait monter sa nature animale vers YHWH pour rencontrer YHWH ; et de l’autre côté, l’homme en tant que NèPhèSh qui associe sa VITALITÉ à celle de la Création pour l’offrir à YHWH. Bien. On va y revenir.

En attendant, cette histoire d’oblation végétale soulève tout de même une difficulté puisque la législation du Lévitique est censée être livrée au Mont HoReV, c’est-à-dire en fait en plein désert, pour un peuple nomade qui n’a pas encore de culture sédentaire. Et de fait, pour pouvoir apporter de la farine, il faut du froment ; et qui dit froment dit terre cultivable, ce qui est inenvisageable dans le désert du Sinaï, qui plus est pour un peuple nomade. Alors ? Alors c’est vrai, on l’a déjà dit, la rédaction du Lévitique est largement POSTÉRIEURE à Moïse, de sorte que le Lévitique retranscrit bien plus la législation rituelle du Temple de Jérusalem — donc après Salomon — que de celui du MiShKâN du désert à l’époque de Moïse. Mais il n’empêche : si ça n’était qu’une législation rituelle, pourquoi vouloir ainsi la rattacher à Moïse ? Sinon parce que le rédacteur du livre a profondément conscience que les racines de ce qu’il met par écrit plongent jusque-là : jusque dans cette mémoire charnelle du peuple rassemblé par YHWH au désert. Il a conscience que sans ces racines mosaïques — mosaïque non pas au sens artistique mais au sens où elles relèvent de Moïse —, le culte du Temple est aussi fragile qu’une maison construite sur le sable. Or dans la vision lévitique, c’est par le CULTE que s’opère l’accès à la SAINTETÉ qui constitue le cœur de la convocation du peuple d’Israël par YHWH ! Donc il faut donner à ce culte des fondements indéracinables ! Pour ça : un seul moyen : lire le rituel du Temple à la lumière du MiShKâN. Faire du MiShKâN le ROC sur lequel est bâti le Temple ! De sorte que la pluie peut tomber, les torrents peuvent dévaler, les vents peuvent souffler et s’abattre sur cette maison, elle n’en sera pas ébranlée ! Dès lors, même si les sacrifices s’arrêtent avec la déportation en Exil, comme ce sont les sacrifices du MiShKâN du désert, ce coup d’arrêt ne les fait pas disparaître pour autant ! Dit autrement : si l’auteur avait décrit les sacrifices du Temple en disant qu’ils étaient purement et simplement attachés au Temple, plus de Temple : plus de sacrifices ! Fini ! Mais puisque ces sacrifices sont ceux du MiShKâN qui est inscrit dans un temps archétypal, c’est-à-dire qui est là comme modèle analogique, les sacrifices sont indestructibles ! On pourra bien toujours détruire le temple : ce qu’il représente, lui, ne le sera jamais ! Il pourra donc toujours renaître de ses cendres, en particulier quand Israël reviendra d’Exil ! Et c’est sans doute pour ça qu’à l’écoute de la proclamation de ce livre à Jérusalem, les foules de juifs se sont mis à pleurer, dit le livre de Néhémie ! Oui, Babylone a détruit le Temple, mais il n’a pas pu détruire le MiShKâN qui, lui, demeure à jamais ! C’est d’ailleurs encore la conviction qui anime aujourd’hui tous les juifs qui attendent que soit rebâti le troisième Temple sur l’esplanade de Jérusalem : même s’il a disparu lorsque Titus a rasé la ville sainte en 70 après J.-C, le roc du MiShKâN qui en constitue l’essence, lui, n’a jamais disparu ; et donc l’espérance qui lui est attachée n’a pas disparu non plus !

Alors maintenant, revenons à l’offrande végétale. Comment lui donner SENS ? Eh bien en faisant remonter son institution jusqu’au MiShKâN, quand bien même cette prescription n’a pas pu être appliquée au désert ! Ça n’est aucunement de la falsification de l’histoire : c’est au contraire une manière de se recevoir d’elle : c’est très profond ! Rien n’est nouveau qui ne trouve sa source dans ce qui est ancien ! Donc d’accord : l’offrande végétale dans le désert est juste impossible, mais il n’empêche : la législation de Moïse visait plus que le désert dont il était persuadé au demeurant qu’il fallait sortir ! Du coup, cette prescription vise tout bonnement l’installation en Terre Promise et inscrit une espérance extraordinaire qui va motiver la reprise de la route vers la Terre de la Promesse qui va devenir le point d’arrimage à partir duquel la terre entière, l’UNIVERS entier va pouvoir s’élever vers YHWH ! Comment ça ?

On a dit que ce QâRBâN MiNH.âH avait pour but d’offrir à YHWH la vitalité qui habite la terre. Sauf qu’il faut aller jusqu’au bout de cette affirmation, parce que si cette Offrande végétale ne peut être faite qu’à partir du moment où on est sédentaire, il ne faut pas oublier que la terre en question où sera vécue cette offrande n’est autre que la Terre SAINTE, cette Terre À PART où YHWH convoque les Fils d’Israël ! C’est donc d’abord CETTE Terre-là qu’il faut faire approcher de YHWH par le QâRBâN MiNH.âH. Et c’est à travers CETTE Terre-là, cette Terre SAINTE, que TOUTE terre pourra s’approcher de YHWH ! Alors là encore, ça nous étonne : est-ce que DIEU n’est pas partout présent ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire de terre à part ? Alors là c’est un peu difficile parce qu’on aborde ce qu’on appelle le rapport du particulier à l’universel. Dit très rapidement, ce principe veut que nul n’accède à l’universel que par le particulier. L’homme ne sait pas par exemple imaginer ce qu’est le triangle absolu, universel. Il est obligé de penser UN triangle concret, donc particulier, pour ensuite conceptualiser la triangulation universelle. Eh bien pour la Bible, c’est la même chose : le Fils d’Israël ne va à l’universel de la Terre entière qu’en s’attachant à UNE Terre, LA Terre que lui attribue YHWH. Et sur CETTE Terre Sainte, à part, il y aura LE Temple où s’opérera le processus d’élévation de TOUTE la Terre à travers l’oblation des fruits de CETTE Terre-là. Dit autrement, oublier CETTE Terre, c’est perdre l’élévation de TOUTE la Terre. Ça nous explique à nouveau pourquoi un juif est aujourd’hui encore tellement attaché à CETTE Terre quand bien même il vit en diaspora ! Et ça explique pourquoi les chrétiens aiment tant s’y rendre en pèlerinage ! Il ne s’agit jamais d’un simple voyage culturel : on vient s’imprégner à la source UNIQUE qui est attachée à CETTE Terre pour nous permettre ensuite de mieux habiter TOUTE la terre où l’Église est répartie.

Cela dit, c’est donc par sa NèPhèSh que le Fils d’Israël se sent ainsi attaché à la vitalité qui habite cette Terre et qu’il vient offrir à YHWH par l’Offrande d’oblation de farine, par le QâRBâN MiNH.âH. Ok. Mais quand on y réfléchit, ça peut mener très loin : que fait le Christ avec les galettes de froment qu’il partage à ses disciples lors de son dernier repas à Jérusalem, sinon unir sa vitalité, sa NèPhèSh à la vitalité de la Terre d’Israël, Terre à partir de laquelle toute la Terre pourra être prise dans le mouvement de son ascension ? Il y a une dimension créationnelle, cosmique, que les chrétiens oublient trop souvent alors même qu’elle est inscrite dans les racines de ce que vit Jésus au regard de la pensée lévitique dont il est complètement imprégné ! Alors certes il ne l’offre pas au Temple, mais dans la vision chrétienne, il EST le Temple : on l’a évoqué lors des vidéos précédentes. Ce qui veut dire qu’à chaque eucharistie, c’est la NèPhèSh du Christ associée à la NèPhèSh de la Terre qui est offerte — fruit de la terre et du travail des hommes — et que les chrétiens, dans l’acte SACERDOTAL de leur baptême, consomment devant la Face de DIEU au moment de la communion ! Nous, catholiques et protestants, nous avons encore une fois trop oublié cette dimension COSMIQUE de la foi en Christ parce que notre Occident s’est réfugié dans les concepts, dans le monde des idées. Mais nos frères orthodoxes, eux, ne l’ont pas perdu, qui vivent leur foi de manière infiniment plus CHARNELLE et donc infiniment plus biblique, ce qui fait qu’on est toujours saisi par le mystère que la liturgie orthodoxe sait infiniment mieux déployer que les autres traditions chrétiennes qui auraient vraiment intérêt, de ce point de vue là, à se mettre à son écoute !

Alors on va en rester là pour aujourd’hui, parce que j’ai bien conscience que tout ça est un peu difficile à assimiler quand on le découvre. L’essentiel, pour l’heure, c’est de bien comprendre que s’amorce, avec la discipline du QâRBâN lévitique, un mouvement qui est à la base charnelle de toute l’espérance biblique. RIEN ne peut disparaître parce que tout est fondé CHARNELLEMENT dans la vie du MiShKâN instituée par Moïse et que le Lévitique déploie sous nos yeux. Un fondement sur lequel s’enracinera le Christ Jésus pour le porter mystérieusement à son accomplissement. Comprenons bien que Jésus n’invente rien ; il ne crée pas un mouvement nouveau, il ne retire même pas un YOD de la ToRaH de Moïse : il lui donne en revanche son achèvement le plus total grâce auquel tous les craignant-DIEU que nous sommes et toute la création avec nous pouvons enfin rejoindre le peuple élu dans l’Alliance du Salut. Rappelons-nous saint Paul : « La Création tout entière attend la révélation des fils de Dieu ! », c’est en Rm 8,9 ! Voilà tout ce qui est inscrit en germe dans cette toute petite mention du NèPhèSh avec lequel s’avance le Fils d’Israël lorsqu’il vient offrir l’oblation végétale… Ça n’est pas rien ! Et c’est comme ça que se lit la Bible qui est décidément bien autre chose qu’un simple manuel de morale !

Alors maintenant, nous sommes armés pour mieux lire la suite du ch. 2, ce que nous ferons la prochaine fois. D’ici là, je vous souhaite une belle méditation de ce mystère inattendu auquel nous ouvre sans en avoir l’air cette oblation végétale, ce QâRBâN MiNH.âH. Je vous remercie. 
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