09-10-2016

[Lv] 17 - Chercher pour vivre !

Levitique 10:12-20 par : le père Alain Dumont
Les prêtres reçoivent les parts qui leur reviennent des Offrandes, quand tout à coup, Moïse se met en colère : il cherche le bouc qui manque à l'appel...
Duration:20 minutes 55 secondes
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous terminons aujourd’hui la lecture du ch. 10 du Livre du Lévitique. On a vu que la première partie nous livrait vraiment des clefs essentielles concernant une meilleure compréhension de ce qu’est la SAINTETÉ. Cette fois, c’est Moïse qui s’adresse à ‘AHaRoN et à ses deux derniers fils, comme au v. 6, ce qui nous indique littérairement que la séparation entre le saint et le profane, entre l’impur et le pur, est au centre du développement de ce chapitre : vous vous souvenez du principe de l’inclusion : deux parties qui portent les mêmes indices encadrent un centre pour focaliser la lecture sur ce centre. Alors à quoi a servi ce centre ? Eh bien à introduire la notion de pur et d’impur qu’on va voir désormais s’amplifier. On l’avait vu apparaître déjà deux ou trois fois auparavant, mais à partir de maintenant, cette notion va revenir beaucoup plus intensément : plus d’une quinzaine de fois dans la suite du livre.

Les v. 12 à 15 s’attardent sur les parts des offrandes réservées aux prêtres. Les v. 12 et 13 font référence à l’oblation de farine, le QâRBâN MiNH.âH offert par Moïse en 9,17. Remarquez que Moïse ne consomme rien de l’offrande ; en revanche, il institue pour les prêtres l’ordre de MANGER dont on se rappelle qu’il s’agit d’une part d’un acte d’élévation, mais d’autre part, concernant l’oblation de farine, que c’est là un acte sacerdotal à PART ENTIÈRE, un QoDèSh QâDâShîM, un SAINT DES SAINTS, qu’on a suggéré de rapprocher de la notion de SACREMENT. Alors là, évidemment, pour des chrétiens, ça rejaillit sur le sens qu’ils donnent à la communion eucharistique. D’abord parce que s’il y a un commandement essentiel de Jésus à destination de ses disciples, c’est certes de nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés, mais c’est aussi : « Prenez et MANGEZ-en tous ! », ce qui est A lire en parallèle avec l’institution de Moïse : « Prenez l’oblation [de farine] et MANGEZ-LÀ EN AZYMES auprès de l’autel. » D’ailleurs, à bien y penser, pas plus que pour Moïse on ne nous dit dans les Évangiles que Jésus mange du pain qu’il fractionne pour le donner à manger aux disciples… Quoi qu’il en soit, cette référence au Lévitique projette un éclairage inattendu sur la FONCTION SACERDOTALE que constitue l’acte chrétien de communier ! Avec néanmoins cette différence essentielle que le sacrifice auquel se réfère l’Oblation de farine du Christ est celui de la croix. Ça, Moïse ne pouvait l’accomplir, mais si on entre dans la vision de la tradition orale qui enseigne que Moïse institue ce qu’il a contemplé sur le Mont HoReV, alors des chrétiens peuvent légitimement interpréter qu’il a vu à quoi cette manducation ouvrirait dans l’avenir avec le Christ. Bon, j’admets que c’est très conjectural, mais ça n’est pas illégitime dans le fil de la tradition.

La suite concerne la part du Sacrifice de Paix qui revient aux prêtres. Sur le principe pas de difficulté, sauf qu’on passe du commandement à manger le QâRBâN MiNH.âH dans un lieu SAINT à consommer la part du Sacrifice de Paix dans un lieu PUR : comme le repas se déroule avec la famille, il ne peut pas se tenir dans le Sanctuaire, mais à tout le moins, qu’il soit partagé dans un contexte de pureté. Comme quoi il y a des lieux purs hors du sanctuaire ! À nouveau, pureté et sainteté ne se recouvrent pas. Un lieu pur peut être simplement la tente familiale : il suffit d’y avoir accompli les rites de purification des personnes et des plats, entre autres. Quoi qu’il en soit, bien noter que l’oblation de farine, et notamment la MaTsaH, le azyme, n’est pas une oblation secondaire : le ch. 2 l’a même établie comme la seconde offrande juste après l’holocauste, et on se souvient qu’elle fait écho à la Pâque annuelle. En tout cas, elle seule est mangée exclusivement dans le sanctuaire par les prêtres — c’est dire son importance ! Alors que la part sacerdotale du Sacrifice de Paix, elle, peut être mangée en dehors du Sanctuaire. Par ailleurs on ne dit pas qu’il s’agisse d’un QoDèSh QoDâShîM, un SAINT DES SAINTS, alors que la chose est nettement spécifiée pour l’oblation. Bon voilà.

Alors un épisode un peu difficile à comprendre vient clore ce chapitre 10 : Moïse se met en colère ! C’est pas si souvent ! En même temps, c’est vrai que l’atmosphère est forcément tendue ! Que s’est-il passé ? Eh bien il s’est passé que ‘ÈLéa“ZaR et YTaMaR, les derniers fils qui restent à ‘AHaRoN après la tragédie qu’on connaît, semblent à leur tour avoir pris une initiative indue : ils ont embrasé à l’extérieur du camp le bouc de l’Offrande pour le Manquement de la Communauté accompli par ‘AHaRoN en Lv 9,15 ! La réaction de Moïse est surprenante, parce que si on suit les prescriptions du ch. 4 au v. 21, l’offrande doit effectivement être brûlée à l’extérieur du camp, on a expliqué pourquoi en son temps. Sauf qu’au ch. 4, c’est un TAUREAU qui est offert, et non un bouc ! Où est-ce qu’il est question d’un bouc à offrir pour le manquement de la Communauté ? Alors là, il faut aller dans le livre des Nombres, au ch. 28, v. 15, où Moïse prescrit effectivement qu’un bouc soit offert pour le manquement de la communauté EN DÉBUT DE CHAQUE MOIS — on appelle ce jour la NÉOMÉNIE, le jour de la nouvelle lune dans la mesure où les mois du calendrier biblique sont des mois lunaires. Et dans ce cas effectivement, le sang du bouc n’est pas porté pour oindre l’autel de l’encens parce qu’il ne s’agit pas de réparer un manquement particulier qui aurait brisé le lien entre l’autel des Offrandes, qui est dans le parvis du MiShKâN, et celui de l’encens qui lui est à l’intérieur du MiShKâN, devant l’arche. C’est une Offrande pour le manquement du peuple qu’on pourrait appeler « générique », si vous voulez : quelque part, la communauté a conscience d’être toujours pécheresse vis-à-vis de son obéissance à YHWH, d’une manière ou d’une autre ! C’est une attitude d’humilité essentielle pour ne pas laisser croire au peuple que son élection ferait de lui une race supérieure face aux nations païennes. Donc, du cœur de ce sentiment d’humilité, on offre cette Offrande pour les manquements de la Communauté chaque premier jour du mois — RoSh H.oDèSh en hébreu —, et à cette occasion, le bouc doit être mangé par le prêtre qui l’a offert, en l’occurrence ici : ‘AHaRoN. Ce qui nous rappelle l’importance de l’acte sacerdotal de MANGER : selon Moïse, l’expiation n’a pas eu lieu précisément parce que l’offrande n’a pas été mangée ! Vous voyez ? Il ne suffit pas d’offrir les parties de l’animal sur le feu de l’autel ! Le repas fait vraiment partie du rituel d’élévation qui appartient à l’essence de l’Offrande.

Donc c’est vrai, les fils de ‘AHaRoN se sont un peu mélangé les pinceaux ! Alors nous on se dit : « Bon c’est pas si grave ! Le Bon Dieu est au-dessus de ça ! » Sûrement ! Sauf que ça n’est pas pour YHWH qu’il faut être rigoureux : c’est pour nous ! « Boh, c’est pas grave si je ne vais pas à la messe ce dimanche, Dieu est au-dessus de ça ! » Sûrement ! Sauf qu’on commence par être négligent une fois, puis deux, puis dix, et ensuite on se demande même pourquoi aller à la messe : il suffit d’avoir quelques valeurs et c’est bon ! Sûrement ! Sauf qu’anthropologiquement parlant, ça ne marche pas ! C’est Franz Rosenzweig, un des plus grands philosophes du XXe siècle, qui le dit dans un livre d’une puissance inouïe qui s’intitule : L’Étoile de la Rédemption : il y a en l’homme un BESOIN de servir DIEU charnellement. De la même manière que l’amour a BESOIN de servir l’autre charnellement, non pas pour se satisfaire mais, d’après la révélation biblique, pour élever cette matérialité qui est la nôtre et sans laquelle nous retombons dans le néant ! C’est un des fléaux de la sécularisation contemporaine qui intègre plus ou moins  les hommes dans un hédonisme qui cherche à fuir la chair, un hédonisme de plus en plus conquérant, générant une barbarie de plus en plus galopante — ceci dit, ça n’est pas nouveau : depuis Platon et en particulier avec toutes les gnoses de l’histoire, la chair est la prison dont l’homme tente par tous les moyens de s’extraire ! Il veut devenir dieu !!! Il pense que la condition angélique est meilleure, quelle erreur !!! Et donc la ToRaH, et la tradition chrétienne à sa suite, nous fait retrouver cette JOIE, cette nécessité d’intégrer la chair dans le mouvement spirituel d’élévation, et pour ça d’aimer le Lieu Saint, HaMâQOM HaQoDèSh, en l’occurrence ici le MiShKâN et le culte précis qui lui est affilié. C’est ce qu’exprime très fortement le Ps 84 (83), par ex :

« De quel amour sont aimées tes demeures, YHWH, Dieu de l'univers !

Ma NèPhèSh s'épuise à désirer les parvis de YHWH ;

mon cœur ET MA CHAIR jubilent pour le Dieu vivant !

L'oiseau lui-même trouve une maison,

et l'hirondelle, un nid pour abriter sa couvée :

TES AUTELS, YHWH Dieu de l'univers, mon Roi et mon Dieu !

En marche les habitants de ta Maison : ils chanteront encore tes louanges !

En marche l’‘ADâM dont la force est en Toi : des chemins sont dans son cœur !

Ceux qui passent dans la vallée de la soif y suscitent une source ;

la pluie la couvre aussi de bénédictions !

Ils vont de hauteur en hauteur pour se présenter devant Dieu à Sion.

YHWH, Dieu de l'univers, écoute ma prière ; tends l’oreille, Dieu de Jacob.

Dieu, vois notre bouclier, regarde le visage de ton Messie.

Quel bien, un jour dans tes parvis ! Plus que mille [ailleurs] !

J'ai choisi de me tenir sur le seuil, dans la maison de mon Dieu,

plutôt que d'habiter dans les tentes de la méchanceté.

Car c’est un soleil et c’est un bouclier qu’est YHWH [notre] Dieu !

YHWH donne grâce et gloire.

Il ne refuse pas le bien pour ceux qui vont dans l’intégrité.

YHWH, Dieu de l'univers, en marche l’ ‘ADâM qui se confie en toi ! »

Vous entendez ? Après le peu que nous avons étudié du Lévitique, ce Ps prend une envergure magistrale ! C’est le chant de l’ ‘ADâM, cet homme qui cherche de tout son cœur, c’est-à-dire de toute sa volonté, à s’élever vers YHWH ! Or comment peut s’opérer cette élévation ? Par les Offrandes dans la Demeure de YHWH observées dans l’obéissance méticuleuse aux prescriptions de YHWH ! Attention encore à NaDaV et ‘ABiHOu ! Pourquoi est-ce que Moïse se met en colère ? Parce qu’il sait que les Offrandes requièrent une attention toute particulière de la part de l’ ‘ADâM, raison pour laquelle il cherche le fameux bouc qui manque à l’appel ! Et c’est une recherche fébrile ! Le v. 16 dit : VeHéT Ssé”iR HaH.aTTaT DâRoSh DâRaSh MoShèH ! Littéralement : « Et [c’est] le Bouc du manquement [que] pour chercher, il cherche, Moïse ! » Et là on est au cœur du cœur de la ToRaH ! On est même tellement au cœur de la ToRaH qu’on est JUSTE AU MILIEU, en son centre arithmétique ! Et vous savez que le Centre est toujours le sommet de ce que la Bible veut révéler ! C’est pas compliqué : la ToRaH compte 79 976 mots, le 39 988ème mot est DâRoSh et le 39 989ème mot est DâRaSh. Ce qui veut dire que le centre est cet espace vide entre deux mentions du verbe « chercher ». Et les Rabbins de nous dire que toute l’essence de la ToRaH est là : dans la RECHERCHE de cet espace mystérieux où YHWH se laisse trouver par celui qui ÉTUDIE ! Les autres, YHWH est bien aussi là pour eux, mais comme ils n’étudient pas, comme ils ne le cherchent pas, ou plus exactement comme ils imitent NaDaV et ‘ABiHOu en Lui imposant l’heure et le lieu où il est censé se manifester, YHWH leur échappe !!! C’est comme si, arrivés au sommet du mont, la ToRaH nous disait : « Tu cherches et tu as raison » pour nous lancer sur l’autre versant en nous disant : « Continue de chercher parce que là est le secret de la VIE et le signe que tu as déjà trouvé YHWH ! » C’est exactement ce que Blaise Pascal fait dire à Jésus à propos de saint Augustin : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé ». Seulement attention ! Il ne s’agit pas de chercher des idées, des concepts ou des valeurs : chercher, dans la ToRaH, c’est étudier afin d’accomplir les MiTsVoT à la perfection ! Or là, il manque le bouc pour accomplir pleinement l’élévation par la manducation, ce qui inquiète légitimement Moïse : en décidant par eux-mêmes de brûler le bouc à l’extérieur du camp et en interdisant ainsi à leur père d’accomplir le rite de la manducation, les deux derniers fils de ‘AHaRoN seraient-ils comme leurs frères ? Allaient-ils provoquer l’extinction dans l’œuf de la descendance de leur père par leur comportement velléitaire ? Or c’est ‘AHaRoN qui, au v. 19, vient à leur secours.

Le bouc qui a été embrasé est en fait celui de ‘AHaRoN qui se justifie en disant en gros : cette offrande doit être mangée dans l’allégresse, ce qui m’eut été impossible. D’accord, je n’ai pas manifesté mon deuil, ainsi que tu l’as exigé, mais néanmoins, comment ne pas être triste en un tel jour ? Est-ce que je devais malgré tout officier et aller à mon tour contre la volonté de YHWH ? Et là, Moïse acquiesce à l’argument de son frère. Ceci dit, qu’apporte cet épisode à la fin du chapitre ? Eh bien que la disposition du cœur n’est pas plus à négliger que l’obéissance ! Le danger d’une pure obéissance est qu’elle en devienne légaliste, formelle et donc sans vie. La disposition du cœur ne doit pas faire fi de l’obéissance — d’où la colère de Moïse qui craint pour les derniers fils de ‘AHaRoN, mais à l’inverse, l’obéissance ne doit pas faire fi de l’intention du cœur. Dans le fond, qu’ont fait NaDaV et ‘aViHOu ? Ils ont dissocié les deux. Que fait le père ? Les ASSOCIE les deux au sens où, en se sentant intérieurement dans l’incapacité de vivre son office, il considère obéir plus véritablement à YHWH en ne mangeant pas la part de la victime qui lui revient. Et par là, ‘AHaRoN nous apprend que le repas sacerdotal, l’acte rituel de MANGER n’est pas un acte purement protocolaire. Il ne vaut rien si l’intention n’est pas unie à volonté de YHWH.

Alors là, évidemment, des chrétiens songent au repas du Christ Jésus, mais aussi à l’intention qui doit animer toute communion eucharistique dans l’acte sacerdotal — là je parle du sacerdoce de tout baptisé — ; dans l’acte sacerdotal, donc, de MANGER l’oblation du Christ. Quant à la question de savoir si, ce faisant, ‘AHaRoN a péché ou non, c’est sans doute saint Paul qui nous donne la meilleure réponse, lui qui est un Maître de ToRaH, lorsqu’il dit précisément à propos de manger : « Heureux qui ne se condamne pas lui-même en exerçant son discernement ! Tout ce qui ne procède pas de la foi est péché. » (Rm 14,22-23) Donc là, ‘AHaRoN s’est comporté à l’inverse de NaDaV et ‘AViHOu qui eux, ont agi sans discernement. Décidément, la spontanéité ne fait JAMAIS office de discernement ! Ce qui est spontané n’est JAMAIS vrai tant que ce n’est pas précédé par un travail de discernement préalable, ce qu’on appelle, en termes chrétiens, la FORMATION DE SA CONSCIENCE. Rien de pire qu’une conscience ininformée toujours prompt aux critiques et aux révoltes les plus acerbes, mais par le fait même les plus vaines.

Enfin bref. En tout cas, là, Moïse valide le discernement de ‘AHaRoN, ce qui signifie bien que la ToRaH, non seulement ne dispense pas de la LIBERTÉ mais tout au contraire la promeut ! Il n’a pas agi dans la pure spontanéité, mais dans la réflexion du meilleur bien vis-à-vis de YHWH à qui il est soumis. Il a formé sa conscience, et en conscience, il a fait ce qu’il a discerné être bon. En cela, il n’a donc pas péché. C’est ce que confirmera saint Paul en Rm 14,23. Remarquez bien, pour terminer, l’humilité de Moïse face à ‘AHaRoN qui, maintenant, est le Grand-Prêtre en Israël. Moïse s’efface devant le discernement de ‘AHaRoN qui, là, prend toute sa dimension.

Voilà. Nous sommes enfin arrivés au terme de ce ch. 10 qui s’avère encore une fois vraiment riche d’enseignements. Nous ouvrions la troisième section du Lévitique la prochaine fois. Je vous souhaite une bonne lecture de l’ensemble du chapitre. Je vous remercie. 
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