05-07-2017

[Nb] 4 - 603 550 Fils d'Israël

Numbers 2:2-34 par : le père Alain Dumont
Le recensement des Fils d’Israël dénombre 603 550 hommes sans compter les femmes et les enfants, et sans compter ceux de la tribu de Lévi. Ça fait du monde ! Mais quel est le sens de ce nombre ? Ne recèlerait-il pas le secret de l’histoire ?
Duration:15 minutes 35 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/nb-4-603-550-fils-d-israel.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous avons vu lors de la dernière vidéo comment nos frères Juifs s’emparent du ch. 2 du Livre des Nombres pour promouvoir une vision unifiée du peuple des Fils d’Israël avec les armées d’anges célestes que dévoile la tradition orale très tardive, entre 5 et 7 siècles APRÈS J.-C. Alors posons-nous la question : comment nous-mêmes, en tant que chrétiens, donc sans cette tradition midrashique tardive, nous pouvons entendre ce chapitre ?

Revenons sur le chiffre de 603 550 recensés, mentionné au ch. 1 mais que le ch. 2 reprend au v. 32. 603 550 recensés sans compter les femmes et les enfants, je rappelle ! Ce qui nous rapproche des 2M d’âmes en tout, sans compter les étrangers mêlés à cette masse, et sans compter non plus tous les troupeaux qui sont censés l’accompagner et la nourrir (!) ce qui est juste impossible historiographiquement parlant, mais encore une fois : ça n’est pas ça l’important ici. Pourquoi 603 550 ? Tout simplement parce que l’Hébreu est une langue à la fois consonantique et chiffrée, comme en témoigne ce tableau : on voit bien que chaque lettre, chaque consonne a une valeur numérique qui va énormément jouer en termes d’interprétation de l’hébreu. C’est ainsi que  « Toute la Communauté des Fils d’Israël », KaL “aDaT BeNéY-YSRa‘eL a une valeur numérique, consonne par consonne dont la somme aboutit peu de chose près à 550 avec KaL “aDaT = 20+30+70+4+400 = 524 ; et à 603 avec BeNéY-YSRa‘eL = 2+50+10+10+300+200+1+30 = 603. Multipliez 603 par 1000 pour lui conférer sa dimension d’immensité, et on arrive à 603 000 + 550 = 603 550.

Alors maintenant, à quoi sert la précision de ce nombre ? Tout simplement à dire que le peuple, dans son dénombrement même, était en harmonie avec le nom qu’il porte. Autrement dit, on nous dit qu’il était pleinement ajusté à sa vocation de « communauté des Fils d’Israël » à partir de laquelle toute l’histoire sainte allait pouvoir prendre son essor. Alors rappelons-nous que le texte est rédigé autour de l’époque de l’Exil, ce qui veut dire que le texte travaille ici à la fierté des origines chargée de souder une diaspora qui, à cette époque troublée, s’interroge sur elle-même. C’est toute la fonction d’une histoire mythique que de valoriser, pour ainsi dire, un « esprit de famille » par lequel la place de chacun prend sens dans la joie et l’honneur d’appartenir à ce peuple, de participer à son histoire. Enlever cette histoire mythique et le peuple se délite ! Il disparaît purement et simplement en tant que peuple, c’est-à-dire qu’il s’efface de l’histoire. Fini ! Terminé ! Il ne restera de lui que quelques archives administratives, un squelette sans chair, sans vie, relégué tout au plus dans un passé dont nul présent et nul avenir n’auront plus jamais besoin. RIEN DE TOUT ÇA dans la Bible évidemment, et ce sont des chiffres comme 603 550, entre autres, qui sont paradoxalement les garants d’un avenir, les garants d’un peuple fier des générations qu’il engendre, fier de l’histoire qu’il porte, fier de la VIE qu’il transmet. En d’autres termes, si 603 550 signifie KaL “aDaT BeNéY-YSRa‘eL, « Toute la Communauté des Fils d’Israël », alors si je fais partie de la Communauté d’Israël aujourd’hui, JE fais partie des 603 550 ! Donc le texte ne me parle pas uniquement des anciens, mais aussi de moi. De moi maintenant, mais aussi de moi en tant que membre de cette communauté composée de toutes les générations successives d’Israël !

Alors sans doute que chaque chiffre, qui sont les mêmes du ch. 1 au ch. 2, avait un sens au moment de la rédaction, mais je n’ai trouvé nulle part d’éléments probants sur la question. Ceci dit, que dire de notre chapitre ? D’abord qu’il reprend les données du ch. 1, on l’a déjà dit : il lui emprunte la liste et l’ordre des tribus, sauf qu’au ch. 2, YeHOuDâH vient en tête. Il répète les noms des chers de tribus et il rappelle le caractère singulier des LéVîiM qui campent autour du MiShKâN.  Néanmoins, il regarde cette répartition comme celle d’une armée en quatre corps de troupe, précise l’ordre de marche et indique les lieux de camps de chaque tribu autour du MiShKâN. Ici, il y a sans doute la mémoire de l’organisation militaire des Égyptiens. On sait par exemple que l’armée de Ramsès II, dans ses campagnes contre les Hittites, campait en carré autour de la tente royale. Donc on ne part pas de rien ! Jamais ! Maintenant, que les LéVîiM soient disposés autour du Sanctuaire, d’une part on a sans doute là le prolongement de la mission des Fils de Héby-Lévy concernant le sanctuaire de Joseph-Aménophis, on l’a suffisamment rappelé, et on retrouvera le même agencement dans le livre de Josué qui bâtit les villes lévitiques autour de Jérusalem — c’est en Jos ch. 21, v. 8 à 42. Et voilà donc à présent le peuple en état de marche, avec YHWH comme Roi — on avait évoqué YHWH comme PÈRE au ch. 1 — au centre du dispositif. Là, on reconnaît une autre vision d’Ézéchiel : celle du Temple céleste au cœur de son peuple comme une source d’eaux vives.

Ceci dit, si on fait un peu la synthèse de tout ça, il faut sans doute regarder cette organisation comme un agencement plus liturgique que militaire. Ce qui s’avance, c’est un peuple sacerdotal, un peuple qui a pour vocation l’élévation du genre humain pour sa rencontre avec YHWH comme une Épouse vient à la rencontre de son Époux. Alors vous me direz : pourquoi ne se contentent-ils pas de le vivre au désert ? Mais tout simplement parce que ce peuple ne vit pas cet appel pour lui-même mais pour les Nations ! Et donc il lui faut prendre sa place au milieu des Nations, mais des Nations hostiles contre lesquelles il s’agira de combattre. Combattre non pour fonder un empire, mais pour creuser son sillon là où YHWH l’aura planté, avec le Sanctuaire en son cœur qui deviendra le Temple de Jérusalem, mais bien plus tard évidemment. On n’en est pas encore là à  ce stade.

Alors maintenant, si on regarde l’organisation textuelle de ce début du livre, elle a aussi quelque chose à nous dire. Si on compare les v. 1 à 4 du ch. 1 avec les versets finaux, 32 à 34 du ch. 2, on s’aperçoit facilement qu’ils utilisent les mêmes jeux sémantiques, ce qui signifie qu’ils forment une inclusion de tout cet ensemble des ch. 1 et 2 qu’il faut, en réalité, lire d’un seul tenant en faisant attention à son centre rédactionnel qui nous révèle quel est le véritable nœud de tous ces versets. Et là, c’est assez simple : des v. 5 à 46 du ch. 1, on a le listage des clans de la Communauté d’Israël par familles, qui répond, des v. 1 à 31 du ch. 2, au listage de ces mêmes clans par troupes, cette fois, disposées autour du Sanctuaire selon les quatre points cardinaux, donc visant d’aller à la rencontre de TOUTES les nations de la terre, à commencer par KaNa“aN ! Restent alors les v.  47 à 54 du ch. 1 qui composent le cœur de cet ensemble, et de quoi parlent ces versets ? Du statut particulier de la tribu des Fils de LéVî ! Comme par hasard… Et à travers eux le MiShKâN dont ils ont la garde pour le monter, le démonter et le porter, ce qui veut dire qu’en définitive, c’est YHWH QUI, entouré de son peuple, VIENT À LA RENCONTRE DES NATIONS. Et là, on a tout l’enjeu du livre des Nombres qui nous est livré : YHWH, après avoir libéré son peuple des griffes des nations comme le raconte le livre de l’Exode ; après l’avoir initié à sa vocation d’élévation et de sainteté à travers les différents commandements du livre du Lévitique ; YHWH, donc, lance son peuple dans l’aventure de la rencontre — ou peut-être devrait-on dire l’aventure de la CONFRONTATION avec les nations, dans la mesure où la proclamation de la primauté de YHWH ne sera pas de tout repos et de surprises, parfois très douloureuses, mais à travers lesquelles, très mystérieusement, le Nom de YHWH s’implantera bel et bien au cœur de l’histoire des hommes.

Du coup, pour des chrétiens, ça donne à penser : ne serait-ce que par cette manière dont Jésus va s’entourer des 12 apôtres avant de les envoyer évangéliser le monde ! Pour nous, Jésus est DIEU en Personne ; il est la MeMRaH de YHWH, le Fils du Père si on adopte la terminologie de l’évangéliste Jean —, mais il façonne son peuple à partir du groupe des 12, non plus comme une armée mais bien dans le prolongement du KaL “aDaT BeNéY-YSRa‘eL , de cette Communauté de tous les Fils d’Israël dont la vocation est d’amener toutes les nations à l’adoration du vrai DIEU, du DIEU libérateur que décrira l’Apocalypse. On aura d’ailleurs dans ce dernier livre de la Bible le même genre de chiffres — les fameux 144 000 par exemple, suivis de la multitude qui s’avance vers la Jérusalem céleste ouverte aux quatre points cardinaux, c’est-à-dire à toutes les nations qu’elle accueille pour célébrer l’Agneau qui est au centre et qui irradie de sa lumière la création tout entière. Donc vous voyez : l’Apocalypse répond à la ToRaH pour composer là encore une vaste inclusion littéraire !

Pour terminer, je voudrais simplement que nous nous rappelions que toute la dynamique du Livre des Nombres part du MiDeBaR. Non pas d’un ShéMaMaH, d’un néant absolu où rien ne peut advenir, mais d’une terre en attente, en espérance, ouverte à l’aventure pour ainsi dire dès lors que la Parole qui surgit d’elle trouve un peuple pour lui répondre. Mais pas n’importe quel peuple ! Un peuple qui se comprend lui-même tout entier comme un MiDeBaR, prêt à recevoir la ToRaH comme un DON qui lui conférera sa véritable fécondité. Et pour ça, il faut être un peuple HUMBLE. L’orgueilleux se reconnaît à ce qu’il n’accepte aucun don : il est CELUI QUI DONNE mais jamais ne reçoit, puisqu’il a tout. Il ne se conçoit pas comme un MiDeBaR. Il est généreux, mais le généreux ait sentir son pouvoir à ceux à qui il donne — ou refuse de donner —, toujours dans des intentions très nobles par lesquelles il considère qu’il donne une leçon à ceux qui la lui mendient… mais dans le fond, il ne sait plus partir à l’aventure. Il se gargarise sans doute de tas de projets — il en a les moyens —, mais tout est calculé de sorte qu’il ne perd rien, jamais ! Il ne va pas vers lui, LeKh LeKha rappelons-nous ! Il fait partie de ce que la Bible appelle les « superbes ». Or le peuple issu du MiDeBaR va précisément apprendre à se départir de sa superbe ! Il va devoir apprendre à se recevoir lui-même comme un MiDeBaR , une terre en friche  pour être capable en définitive de se retrouver face à face avec l’infini du MiDeBaR qu’est la Création tout entière, inquiétant et fascinant à la fois. Et puis aussi, il devra apprendre — et c’est ce que nous faisons — à parcourir le MiDeBaR de la ToRaH ! D’une certaine manière, la ToRaH est un MiDeBaR qui attend d’être proclamé pour faire résonner la Parole de YHWH et recevoir, par cette Parole, sa fécondité ! La ToRaH est un monde qui semble infini, où on a du mal au début à trouver ses repères et qui exige une attention soutenue pour y déceler les trésors cachés, comme le Christ qu’elle annonce mais qui est encore comme un petite graine de sénevé plantée en terre, tellement cachée qu’on passe devant sans la remarquer. Une ToRaH dans laquelle on peut se perdre si on n’a pas avec soi un guide expérimenté qui nous prépare à repérer les secrets enfouis sous les dunes ou sous la pierraille. Une ToRaH qui s’ouvre à tous à condition d’être soi-même ouvert, prêt à accepter les changements intérieurs nécessaires qu’implique l’intégration d’une vie JUSTE et miséricordieuse. Une acceptation qui a pour fondement l’HUMILITÉ, parce qu’en fait, tout est là : l’humilité seule permet de s’ouvrir aux changements véritables ; à l’école d’un maître absolu qu’on reconnaît comme DIEU en personne.

Donc redisons-le : dans le livre des Nombres, c’est avant tout le MiDeBaR qui nous est donné à considérer, et à l’intérieur même de ce MiDeBaR, l’homme que YHWH convoque par sa Parole pour y avancer à l’aventure, non pas de manière anarchique mais au milieu d’un peuple, d’une famille, d’une fratrie ; de manière organisée, comme on part au combat, habité par une mission intérieure : faire fleurir le MiDeBaR, quel qu’il soit, et témoigner par là de la force de VIE unique dont YHWH est la Source absolue. D’ailleurs, ce qu’on traduit habituellement par « armée »,  TsâVâ‘ en hébreu, signifie aussi « service » au sens de « mission » en hébreu. Ce qui veut dire que dans tout ce ch. 2, Israël est organisé essentiellement en ordre de SERVICE, ce qui rejoint la dimension sacerdotale  qu’on a reconnue à cette procession.

Enfin voilà pour les quelques éléments qu’on peut retenir en étudiant quelque peu ce chapitre. Je vous en souhaite une lecture féconde, parce que tout lecteur attentif de la ToRaH se découvre à son tour être un MiDeBaR ! Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie. 
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