16-07-2017

[Nb] 7 - La 13e tribu

Numbers 3:11-51 par : le père Alain Dumont
Qui sont donc ces LéVîiM dont la ToRaH prend tellement soin ? Quelle est cette 13e tribu parmi les 12 ?
Duration:19 minutes 39 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/nb-7-la-13e-tribu.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous avons vu la dernière fois la première section du ch. 3 du livre des Nombres jusqu’au v. 10, et nous poursuivons aujourd’hui notre lecture, d’abord jusqu'au v. 13 puisque ce court passage nous rappelle la raison d’être des LéVîiM, c’est-à-dire les Fils de LéVî. Non plus seulement les prêtres, mais TOUS les Fils de LéVî. Cette tribu n’a pas été recensée pour le combat, on l’a vu, et la raison nous en est donnée ici en lien avec les premiers épisodes de l’Exode : s’ils ne sont pas retenus pour le combat nous dit-on, c’est parce qu’ils sont « à YHWH » ; ils lui appartiennent, dit le texte, en lieu et place des premiers-nés des Fils d’Israël qui auraient dû, en tant qu’ils appartenaient à l’Égypte comme esclaves, mourir comme les autres au moment de la dernière plaie, la dernière frappe. S’ils ne sont pas morts, on se souvient, c’est qu’ils ont été RACHETÉS par YHWH, le Dieu de Moïse ; et de ce fait, ils n’appartenaient plus à l’Égypte et n’étaient plus tenus à subir le même sort. C’est tout le ch. 11 de l’Exode, et le début du ch. 13 où YHWH dit à Moïse : « Consacre-moi tout premier-né, toute NèPhèSh qui sort le premier du sein parmi les Fils d’Israël, homme ou bête : il est À MOI ! » (Ex 13,2)

On retrouve d’ailleurs les mêmes accents entre le ch. 13 de l’Exode et nos versets du Livre des Nombres. Maintenant, autant les premiers-nés du bétail pourront constituer des Offrandes et être ainsi “rendus” à leur propriétaire pour ainsi dire, c’est-à-dire YHWH ; autant on voit mal les premiers-nés des hommes passer par le même process, vu qu’en Israël le sacrifice humain est interdit depuis les pères : rappelons-nous Abraham et la ligature de son fils YiTseH.aQ, Isaac. Donc, nous dit-on ici, pour ne jamais oublier ce RACHAT onéreux — la mort des premiers-nés égyptiens ne passe par pour un dommage collatéral — non seulement on en fera mémoire lors de la célébration de la Pâque mais il sera de plus assumé par la consécration des Fils de LéVî dont on s’apercevra d’ici peu que leur nombre correspond providentiellement exactement à celui des premiers-nés des Fils d’Israël ! Tout ça est bien entendu une construction mythique, mais elle est suffisamment parlante pour marquer les esprits et considérer les LéVîiM comme ce clan singulièrement élu parmi toutes les tribus d’Israël. Une sorte d’élection dans l’Élection si on veut : tout le peuple est élu par YHWH mais dans ce peuple, les Fils de LéVî sont eux-mêmes élus de manière singulière.

Maintenant, si on se place dans la perspective de la tradition de Joseph-Aménophis, leur choix est assez compréhensible : encore une fois, bis repetita, one more time, rappelons-nous que selon cette interprétation qui est somme toute assez éclairante, les LéVîiM ont tenu un rôle de premier plan dans la transmission de la mémoire des pères pendant les 430 années de présence en Égypte, ce qui les prédestinait à tenir un rôle non moins important au moment de la Sortie d’Égypte et dans la suite, toujours en tant que gardiens de la mémoire d’Israël et donc de son unité autant que de sa vocation dans le monde. Pour ceux pour qui les méandres de cette interprétation échappent, prenez le temps d’aller réécouter les vidéos d’introduction au livre de l’Exode.

Alors c’est vrai : les LéVîiM ne sont pas familiers aux chrétiens dans la mesure où il ne sera quasiment jamais question les LéVîiM dans le Nouveau Testament, à part la parabole du bon Samaritain en Luc ch. 10 et lorsque les Juifs veulent interroger Jean Baptiste, en Jn 1,19 ; c’est tout. Jean-Baptiste est une figure très intrigante pour les LéVîiM dans la mesure où, étant fils du prêtre Zacharie, il est lui-même est prêtre d’Israël ! Concernant Jésus en revanche, il n’est jamais dit nulle part qu’il rencontre des Fils de LéVî. Alors la chose se comprend si on se souvient que Jésus opère la majeure partie de son ministère en Galilée, donc loin du sanctuaire de Jérusalem et loin du giron des LéVîiM qui du fait de leur attachement au Temple, habitent nécessairement dans les environs de la capitale judéenne. Par ailleurs, les LéVîiM sont les grands absents des discussions entre juifs et chrétiens dans les premiers siècles. D’une part parce que le Temple a été détruit par l’empire romain depuis l’an 70, laissant la famille des LéVîiM sans plus de rôle spécifique ; d’autre part parce que le christianisme se déploie dans la diaspora, donc dans un judaïsme sous la houlette de ce qu’on appelle les « maîtres » en Israël — les fameux « rabbins », ou les « rav » en hébreu moderne —, obligés à leur tour d’élaborer les conditions de la pérennité des Fils d’Israël sans plus de relation désormais avec les Offrandes du Temple.

Mais il n’empêche : il faut bien comprendre que jusque-là, c’est le clan des LéVîiM qui a pour ainsi dire SAUVÉ Israël en préservant sa mémoire et en lui donnant sa structure ! Et il faut aller jusqu’à dire que si aujourd’hui nous avons une Bible en main, c’est grâce à eux ! Ce sont eux qui ont compilé les 4/5e de l’Ancien Testament — on pense aujourd’hui qu’ils sont les ultimes rédacteurs de la ToRaH pendant l’Exil ; et plus largement, ce sont eux qui ont finalisé et harmonisé le puzzle des documents qui composent la Bible, mis à part les documents postexiliques bien évidemment. L’idée d’une rencontre nuptiale avec YHWH qui constitue l’âme de toute la vie cultuelle et morale d’Israël jusqu’à Jésus qui se présente comme l’Époux — c’est-à-dire Dieu en Personne — vis-à-vis de l’Épouse qui est l’Église, ça vient des LéVîiM concernant l’amour de YHWH pour Israël ! Rappelons-nous par exemple quand Esdras proclame la ToRaH : il est lui-même PRÊTRE ET SCRIBE, donc c’est un Fils de LéVî ; par ailleurs lors de cette proclamation solennelle, ce sont les LéVîiM qui interprètent en araméen et qui expliquent la parole au peuple. Alors ça ne veut pas dire non plus que le rôle des LéVîiM n’était que d’enseigner, mais de ce point de vue, même nous les chrétiens, nous devons à cette famille l’accès aux secrets les plus intimes de l’histoire sainte !

Bien. Donc on comprend un peu mieux pourquoi le livre des Nombres fait procéder leur office d’une place de choix dans le cœur de YHWH : les LéVîiM APPARTIENNENT à YHWH selon une prérogative inscrite dans leur être même — on pourrait parler ici d’un « état de vie » lié au rachat des premiers-nés d’Israël et donc à la sortie d’Égypte et non pas seulement en vertu d’une fonction qu’on leur attribuerait conventionnellement comme pour les autres tribus. Du coup, leur recensement peut enfin avoir lieu, mais un recensement spécifique eu égard au statut vraiment singulier qui est le leur au sein du peuple des Fils d’Israël auquel ils n’ont rien fait de moins que de donner son âme !

Toujours est-il, pour en rester à notre texte, que le recensement des Fils de LéVî occupe l’ensemble des v. 14 à 39. Là, on ne recense plus les hommes à partir de 20 ans mais à partir de UN MOIS, dit le v. 15. Sauf que maintenant, on comprend pourquoi : il ne s’agit plus de recenser les hommes vaillants pour le combat mais des hommes qui portent leur vocation dans leur CHAIR ; au nombre, dira le v. 39, de 22 000. Alors en fait il y a un petit problème de décompte puisque l’hébreu compte 8600 fils de QeHaT, ce qui porte le total à 22 300 fils de LéVî, mais bon, les explications sont subtiles et au niveau qui est le nôtre, ça ne nous apporte pas grand-chose. QeHâT reste néanmoins la famille lévite la plus prestigieuse puisque c’est elle, dit le texte, qui aura en charge le mobilier du MiShKâN, ce qui n’est pas surprenant vu que c’est d’elle que sort le sacerdoce en Israël. La prééminence de cette famille est même inscrite dans la construction littéraire du chapitre puisqu’il est positionné au centre de l’ensemble des v. 14 à 39 ; et on sait maintenant que ce qu’un texte met au centre de sa propre construction détermine toujours le cœur de son développement. Enlevez ce centre, disposez les affaires autrement et le chapitre devient incompréhensible.

C’est aussi dans ce clan de QeHaT qu’est désigné le NâSsî‘ des NâSsî‘, l’altesse des altesses de tous les LéVîiM — NâSsî‘ vient du verbe NâSsâ‘ qui signifie élever ; on l’a traduit la dernière fois par « Autorité » — : donc le NâSsî‘ des NâSsî‘, l’autorité suprême est dévolue à la personne de ‘ÈLé”âZâR, fils et successeur de ‘AHaRoN du clan de QeHaT. Tout ça met en évidence la prééminence de cette caste sacerdotale et de ses affiliés sur les autres classes de LéVîiM. Alors le v. 38 précise que Moïse, ‘AHaRoN et les prêtres campaient devant l’entrée du Tabernacle, à l’Est : un emplacement crucial qui gère les entrées et les sorties du Sanctuaire ; et le v. 39 clôt cet ensemble en nous livrant le nombre global de tous les mâles lévites, on vient de l’évoquer : 22000.

Vient alors à partir du v. 40 le recensement cette fois de TOUS les premiers-nés d’Israël cette fois à partir de l’âge de un mois, de sorte que puisse s’opérer leur rachat par les LéVîiM comme en avaient parlé les v. 12-13. Alors je vous rappelle — parce que tout ça n’est pas toujours facile à comprendre — que l’offrande des premiers-nés des animaux et des hommes, c’est-à-dire « tout ce qui ouvre la matrice » est « donné » à YHWH, on l’a entendu au début de la vidéo mais on pourrait aussi écouter Ex 22, v. 28 : « Toute NèPhèSh sortie la première de la matrice maternelle me revient : tout mâle, tout premier-né de ton petit ou de ton gros bétail. » Pourquoi ça ? Alors d’abord les premiers-nés MÂLES, parce qu’une femelle étant destinée à porter la vie, là : on n’y touche pas ! Cela dit, on se souvient que face à Pharaon, qui se considérait comme un dieu et qui s’était opposé en tant que tel à YHWH en décrétant qu’il avait droit de vie et de mort sur les enfants mâles des Hébreux ; face à une telle présomption donc, YHWH l’a pris au mot en reprenant pour Lui, d’une certaine manière, tous les premiers-nés mâles de l’Égypte, de l’homme comme du bétail : le tragique de cette plaie n’est pas seulement la tristesse causée par la mort des premiers-nés, mais la conscience qu’ils sont carrément RETIRÉS à l’Égypte qui les perd littéralement à une date qui signe son entrée dans la basse période qui n’est qu’une lente et inexorable décadence historique : c’est très troublant cette affaire-là ! Toujours est-il que derrière ces premiers-nés que YHWH dérobe à la prétention idolâtre de Pharaon, il y a la reconnaissance d’une vie sur laquelle l’homme est incapable de prétendre à aucune maîtrise. Manière très puissante de montrer que l’homme n’est pas Dieu, ce qui aujourd’hui est très difficile à entendre pour nos contemporains. Et si, au milieu de tout ça, YHWH a épargné les premiers-nés des Fils d’Israël, ça ne signifie évidemment pas qu’Israël échappe à cette règle, au contraire : Israël en est même institué le gardien à la face des nations au point que cette règle va s’inscrire dans la CHAIR même de ses premiers-nés qu’Israël consacre à YHWH, c’est-à-dire qu’il les Lui offre en les Lui sacrifiant, ni plus ni moins !

Pourquoi ? Parce que pour que le peuple grandisse sous le regard de YHWH comme la Source de sa vie et de sa liberté, il faut que l’événement fondateur de la sortie d’Égypte, outre la Pâque, s’inscrive on vient de le dire dans la CHAIR même du peuple. Dit autrement, là où la Pâque, tout en étant un mémorial de la sortie d’Égypte que chacun est appelé à revivre pour lui-même, se situe plus du côté du souvenir, — on raconte l’événement, ce qu’on appelle la HaGGaDaH aujourd’hui encore ; l’offrande des premiers-nés, elle, est du côté de la mémoire qui s’inscrit dans la CHAIR de tout le peuple, transmise de génération en génération. Sauf que le sacrifice humain est interdit par ailleurs ! Alors comment perpétuer cette mémoire charnelle si l’offrande des premiers-nés mâles du peuple n’est pas offerte ? Par leur substitution aux LéVîiM, dit le livre des Nombres, qui s’en trouvent dès lors CONSACRÉS à YHWH dans toute leur vie, ce qui les marque comme leur « état de vie ». Dit encore autrement, les LéVîiM portent DANS LEUR ÊTRE la GRÂCE faite à Israël à qui YHWH ne réclame plus formellement les premiers-nés : il les a RACHETÉS à l’Égypte meurtrière, mais ça n’est pas pour leur donner la mort à son tour, sans quoi on serait prisonnier d’un cercle vicieux ! Les LéVîiM sont donc à YHWH, mais sur un mode singulier qui leur fait porter dans leur chair la MISÉRICORDE de YHWH vis-à-vis de TOUS les fils d’Israël, ce qui fait de cette tribu particulière le MÉMORIAL de la liberté d’Israël au milieu de toutes les autres. Bon, j’espère que ça n’est pas trop compliqué… pas facile à exprimer de manière simple !

Or voilà, nous dit-on, que le recensement des premiers-nés des Fils d’Israël excède de 273 têtes le nombre des LéVîiM ! Alors ? Eh bien d’un point de vue très pragmatique, on va régler ça de façon pécuniaire et puis c’est tout ; en dédommageant le sanctuaire à raison de 5 shekels par tête, ce qui est complètement symbolique si on se souvient par exemple qu’un esclave en vaut 30 ! Mais précisément, tout le contexte est symbolique ! Autant le coût d’un Lévite pour un premier-né est exorbitant, autant le dédommagement de 5 shekels  est dérisoire : c’est une manière de dire que quoi qu’il en soit, il ne s’agit en aucun cas ici de commerce ! C’est d’un autre ordre : spirituel pourrait-on dire, mais d’autant plus spirituel qu’il est charnel, et la chair n’a pas de prix ! C’est le sens des 5 shekels.

Alors allons encore un peu plus loin : cette correspondance entre le nombre de LéVîiM et des premiers-nés d’Israël est très circonstanciée : il ne s’agira pas de faire en sorte que cette stricte équivalence soit une loi pour chaque génération d’Israël ! Néanmoins, il y a un message assez fort derrière ces histoires de chiffres, même si leur signification propre nous échappe aujourd’hui. Regardez : YHWH commandite le recensement de « toute la communauté des fils d’Israël » ; sauf que cette communauté, nous dit le texte, ne se limite pas à son dénombrement quantitatif ! C’est comme si on nous disait : il y a dans le peuple juif « plus » que le peuple juif ; il y a une TOTALITÉ qui dépasse la pure somme qui compose le tout pour ainsi dire ! Ce qui va faire que, puisque le nombre des LéVîiM recensés est dépassé par celui des premiers-nés de tout Israël, la tribu de LéVî ne peut pas prétendre à représenter tout Israël ; elle ne peut pas prétendre se présenter comme une sorte de caste supérieure qui dominerait Israël ! Les 273 premiers-nés supplémentaires disent que quelque chose dans le peuple est de l’ordre d’une surabondance qui est plus essentielle aux yeux de YHWH que les LéVîiM et les KoHaNîM réunis ! Dit autrement, ce ne sont pas les LéVîiM que YHWH aime d’un amour particulier, mais bien TOUT ISRAËL ! Donc attention : que les LéVîiM ne se prennent pas la tête ! On est dans une dynamique de surabondance qui interdit aux uns comme aux autres de se prendre pour ce qu’ils ne sont pas au détriment de tout le peuple. Et ce qui préserve le peuple de tout despotisme, c’est précisément que nulle tribu n’est au-dessus de l’autre parce que seul YHWH est véritablement au-dessus de tout, Lui qui choisit de faire sa Demeure au cœur de la communauté qu’Il a créée et qu’Il maintient dans cette dynamique de vie qui est une dynamique de perpétuelle surabondance. Ce sera d’ailleurs là un thème cher à Saint Paul.

Cela dit, il n’empêche : le statut des LéVîiM est véritablement singulier : leur état de vie constitue la mémoire charnelle du rachat d’Israël, c’est-à-dire la mémoire de l’origine humble de sa LIBERTÉ au milieu des nations ! Toujours est-il que cette liberté a un coût = l’obéissance à la ToRaH de YHWH. Chaque fois qu’Israël oubliera les fondements qui font de lui un peuple à part, un peuple émergeant du MiDeBaR avec une mission très précise d’élévation allouée par YHWH, les sanctions seront terribles ! Mais Israël le sait, et ma foi, on ne peut que lui être gré d’avoir accepté d’essuyer les plâtres et d’être entré avec courage dans l’exigence de cette Alliance dont les fruits nous sont communiqués par le Christ Jésus. Redisons-le : la LIBERTÉ a un prix ! Voilà ce que nous dit ce chapitre. Ne nous avisons pas de l’oublier, que nous soyons juifs ou chrétiens.

Je vous souhaite une bonne lecture de ce chapitre. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie. 
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