30-07-2017

[Nb] 10 - Patience et longueur de temps...

Numbers 5:11-31 par : le père Alain Dumont
Étrange chapitre sur l’épreuve à laquelle une femme soupçonnée d’adultère doit être soumise. Pourquoi la ToRaH s’abaisse-t-elle à répercuter ces pratiques païennes aujourd’hui insupportables aux oreilles de nos générations ? « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », écrivait La Fontaine !
Duration:19 minutes 33 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/nb-10-patience-et-longueur-de-temps.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous poursuivons aujourd’hui la lecture du ch. 5 à partir du v. 11, et je ne vous cache pas que si vous vous y aventurez seuls, il vous sera sans doute pénible à lire, psychologiquement parlant je veux dire. Tout paraît d’une injustice insupportable, et qu’une telle loi soit le fait de YHWH en personne n’est pas le moindre trouble d’une lecture qui ne s’est pas donné la peine de prendre du recul.

Alors commençons à le prendre brut de décoffrage. Je vous le fais en très rapide : si un mari soupçonne sa femme de l’avoir trompé par adultère, que ce soit avéré ou non, il doit l’amener au KoHéN pour que celui-ci pratique sur elle un rite qu’on appelle ordalique, c’est-à-dire un procédé judiciaire qui laisse la divinité déclarer ou non la culpabilité d’un accusé. En gros, dans le cas où l’enquête NE PERMET PAS DE CONCLURE ou lorsqu’aucun témoin à décharge n’est recevable, on soumet l’accusé à une épreuve — ici une eau amère, c’est-à-dire empoisonnée, et s’il réchappe de ses effets néfastes — pas nécessairement mortels, ici, la femme est rendue stérile. S’il en réchappe donc, c’est qu’il est innocent. Charmant ! D’autant que si cette femme, en l’occurrence, est déclarée innocente, rien n’est demandé au mari au minimum en termes d’amande honorable, et évidemment, la première chose qui vient à l’esprit — mais un esprit insuffisamment attentif ! —, c’est qu’il n’est rien prévu de semblable pour un homme qui commet l’adultère. Donc vous l’aurez compris, ce texte accumule les difficultés ! La chose est d’autant plus étrange que c’est le SEUL texte dans toute la Bible à invoquer ce genre de rituel. Jamais ailleurs l’ordalie n’est de mise, alors même qu’on sait qu’elle est pratiquée largement dans le Moyen-Orient antique.

Alors allons-y doucement. D’abord, n’oublions pas que la Bible prend l’homme là où il en est et qu’elle l’accompagne précisément pour le faire sortir des ornières dans lesquelles son ignorance le jette. D’autre part, n’oublions pas non plus que l’ordalie n’est pratiquée QUE dans le cas où une enquête ne donne pas de résultat probant — ”on n’est pas des sauvages tout de même”, comme disait Popeck ! Ceci dit, quand on compare les rituels ordaliques du Moyen-Orients proche de celui du ch. 5, on s’aperçoit que dans ceux-ci, l’eau joue le rôle principal : c’est elle qui convainc la femme d’adultère par ses effets néfastes. Ici, les imprécations écrites puis effacées dans l’eau ne jouent qu’un rôle secondaire et par ailleurs, elles ne sont pas associées au Nom de YHWH. La première place est donnée au rituel d’une offrande d’orge, qui là encore est unique dans toute la Bible ; elle est sans huile ni encens, ce qui spécifie les offrandes pour le manquement involontaire des plus pauvres — ça c’est en Lv 5, v. 11 et 12 —. Or précisément, référer ce rituel au Sanctuaire constitue précisément en une première lutte CONTRE le rituel brut et superstitieux du Moyen-Orient païen ! En précisant que la puissance de l’eau ne vient pas d’elle-même mais de la cendre de l’offrande d’orge qui lui est mélangée, c’est le rôle de YHWH qui est mis en lumière. L’ordalie, elle, est réduite aux imprécations au cours d’une offrande, de qui fait que YHWH seul, Lui qui sonde les reins et les cœurs comme dit le Ps 7, peut finalement révéler les fautes cachées, exercer le jugement et exécuter la sentence.

Alors d’accord, le rite reste tout de même une mise en demeure pour YHWH de se prononcer par miracle, mais ça aussi sera purifié avec le temps. Ceci dit, comprenons bien que ce rituel, contrairement au premier sentiment qu’il suscite à nos générations marquées par un féminisme à fleur de peau, vise bel et bien à PROTÉGER LA FEMME contre la violence arbitraire d’un mari jaloux ! Un tel texte est magnifique dans la mesure où il marque une des premières étapes de la lente purification du peuple des Fils d’Israël qui, sous l’impulsion de la ToRaH, s’élève peu à peu d’usages et de conceptions proches de celles des religions païennes vers une attitude profondément respectueuse de la Transcendance de YHWH. Alors d’accord, c’est imparfait, mais il faut savoir gré au rédacteur de ne pas avoir effacé cette étape : il nous sort nous aussi d’une conception anachronique qui voudrait que tout soit acquis dès les premiers moments de la révélation. Rappelons-nous que la ToRaH jaillit dans un MiDeBaR, dans un désert, une terre en friche ! Donc plutôt que de crier au scandale un peu trop facilement, admirons la lente élévation de l’humanité, grâce à la ToRaH, vers des lois qui peu à peu vont se libérer du carcan superstitieux des coutumes païennes ! Et par le Christ, libérer ces coutumes païennes elles-mêmes des impasses dans lesquelles leurs superstitions les auraient maintenues si la révélation n’y avait pas fait irruption ! Quant à la question de savoir ce qui se passe pour l’homme si la femme est convaincue d’adultère, la législation est claire : il subit le même sort qu’elle, à savoir la mort, c’est en Lv 20, v. 10.

Maintenant attention ! Si on se souvient que la femme, dans le couple, a valeur de KoHéN HaGGaDoL, valeur de Grand-Prêtre — on l’a vu à propos des lumières de ShaBaT dont la femme a la charge au point que ce rôle l’assimile à la charge sacerdotale des lampes de la MeNoRaH dans le Sanctuaire —, alors on comprend peut-être mieux pourquoi cette question de l’adultère est traitée ici : c’est encore en raison du Sanctuaire et du sacerdoce ! En d’autres termes, disent assez justement les rabbins, si la femme a commis un adultère, c’est que son mari ne la considérait pas à la maison comme elle devait l’être — avec la même considération qu’Israël porte à ses KoHaNîM — ; ce qui signifie qu’il ne porte pas non plus la ToRaH dans son cœur ! La jalousie n’est pas une vertu : elle est le symptôme que le mari, en tant que Fils d’Israël, se dispense d’aimer sa femme comme il est en demeure d’aimer la ToRaH. En d’autres termes, sa femme pour lui est une acquisition dont il se croit propriétaire, de sorte qu’il se dispense d’écouter sa femme, signe qu’il n’écoute donc pas la ToRaH, signe qu’il n’est donc pas fidèle à YHWH qu’il considère aussi comme un acquis, comme une propriété, et DIEU sait si les prophètes vont se battre contre cette image-là qui n’est rien d’autre que de l’idolâtrie. Ça va loin, et dans ce rapport de la femme mariée au KoHéN et du mari à YHWH — non en termes de privilèges mais d’impératif de libération : tout comme YHWH a libéré son peuple de l’esclavage, le mari doit travailler à la liberté de la femme qui lui a été confiée et qui tient dans la maison le rôle de KoHéN. On n’est pas tellement éloigné de la conception chrétienne du Mariage comme Sacrement ! Même en judaïsme ! Par ailleurs : nous sommes, dans une lecture juive, dans ce qu’on appelle la PaRaShaH — un passage de plusieurs chapitres de la ToRaH qu’on lit au moment du ShaBaT —, la PaRaShaH donc appelée en hébreu : NaSso, du premier mot du v. 2 du 1er chapitre, vous vous souvenez : « Lève la tête de toute la communauté des fils d’Israël. » Alors rappelons-nous : NaSso vient de NâSsa qui signifie élever, qui a donné le NâSsî dont on a parlé à propos du premier ch. et que vous retrouvez tout au long du texte dans vos traductions sous l’appellation de « prince » ; Le NâSsî, c’est on l’a dit celui qui est élevé et qui élève, donc c’est l’autorité au sens le plus noble du terme. Reste que ce mot a aussi donné NîSsOu‘îM, qui signifie les « Noces ». Donc le mariage, c’est le lieu où un homme élève, porte sa femme vers le haut et réciproquement. On reste encore et toujours dans cette dynamique d’élévation à laquelle l’homme jaloux n’a pas donné suffisamment sa place à sa femme dans le couple ! La femme se sentant donc rabaissé a cru pouvoir être élevé par un autre — n’allons pas croire qu’une femme, sauf à être nymphomane, trompe son mari par plaisir ! Et là je parle en tant que Conseiller Conjugal : une femme ne trompe son mari que quand le mari ne tient pas sa place au sens où il n’élève pas sa femme, voire la rabaisse ! Or n’oublions pas que l’objectif de YHWH vis-à-vis de son Épouse Israël est bel et bien de l’élever ! Tout ça joue ici, sous un récit qui nous choque, certes, mais qui est précisément fait pour ça : tu es choqué ? Demande-toi pourquoi et tiens le rôle qui est le tien, en accord CHARNEL avec la ToRaH que ton peuple vénère et dont les tables sont contenues dans l’Arche !

Du coup, on comprend mieux aussi, même si c’est paradoxal, pourquoi le ch.6 qui suit parle du NâZiR, mais nous verrons ça la prochaine fois. Je vous souhaite d’ici là une bonne lecture de la fin du ch. 5. Je vous remercie. 
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