02-08-2017

[Nb] 11 - Du NaZîR à la Bénédiction Sacerdotale

Numbers 6:1-27 par : le père Alain Dumont
Le NaZîR — l’homme ou la femme qui a fait un vœu pour YHWH —, est un statut vraiment ambigu pour la ToRaH, qui risque de détourner la communauté de la bénédiction de YHWH. Une bénédiction pourtant essentielle.
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui le ch. 6 du livre des Nombres qui nous parle d’une institution assez peu développée dans la Bible, encore qu’elle préside à des situations cruciales dans l’histoire d’Israël : je veux parler du Naziréat, de ces hommes qui choisissent de faire vœu de NâZiR. Alors qu’est-ce que le NâZiR ? C’est donc d’abord un homme qui fait un vœu, comme le dit d’emblée le v. 2. Alors vous vous souvenez, la ToRaH, à la toute fin du livre du Lévitique, n’aime pas trop les vœux. Non qu’elle les interdise, mais comme ils engagent véritablement et totalement la personne qui le prononce EN PLUS des MiTsVoT que tout un chacun est sommé d’accomplir, est-ce que ça n’en fait pas trop pour un seul homme ? Donc prudence !

Ceci dit, lorsque malgré les appels à la réserve, un homme ou une femme décide de faire vœu de Naziréat, la première conséquence, dit le v. 2, est un « retranchement », une « abstinence » pour YHWH. NâZaR veut dire s’abstenir. Il va donc être soumis à trois interdits : 1.- s’abstenir de boire du vin et tout ce qui touche de près ou de loin au raisin et à la vigne — jusqu’aux pépins ! Ce qui n’est pas idiot ! C’est toujours le même principe de couronnes ou des haies de protection : pour ne pas être tenté de rompre un vœu, autant créer un espace le plus large possible entre le NâZiR et le vin ; 2.- s’abstenir de se raser les cheveux, période pendant laquelle, dit la fin du v. 5, il sera « Saint », QaDoSh, à part... Et puis 3.- s’abstenir de tout contact avec un mort ou l’un des proches de ce mort. Alors là, si on se souvient que la même abstention était la prérogative du Grand Prêtre dans le livre du Lévitique — un prêtre ne doit pas se rendre impur par un contact avec un cadavre, mais il peut s’occuper de ceux qui l’entourent. En revanche, le Grand-Prêtre : non ! C’était en Lv 21,11 — Ce qui signifie que le NâZiR, là, est comme propulsé au plus haut niveau d’une sainteté à laquelle seul quelqu’un du niveau du KoHéN HaGGâDOL, du Grand Prêtre saurait avoir accès ! Fut-ce pour une période limitée, mais tout de même ! Or précisément, quand arrive la fin de cette période — 30 jours, 6 mois, un an, ce que vous voulez —, le NâZiR doit venir comme la sceller en venant au MiShKâN et offrir d’une part une Montée — un Holocauste —, puis une offrande pour le manquement— tiens, étrange — et un sacrifice de paix auxquels s’ajoutent des oblations végétales diverses. Ce même jour, il se rase la tête et fait brûler ses cheveux dans le feu de l’Autel des Offrandes. Là encore, étrange puisqu’on a à nouveau un rite unique dans toute la ToRaH. Et puis il doit enfin boire du vin, c’est-à-dire en quelque sorte rompre le jeûne, rompre l’abstinence qui a marqué toute sa période de Naziréat. Vous remarquerez qu’il n’est pas question d’abstinence sexuelle : on peut être marié et faire vœu de Naziréat. Pas non plus d’abstinence alimentaire ou autre chose. Non, juste ces trois prescriptions, mais néanmoins STRICTEMENT.

Alors quel est le sens de l’abstinence de vin ? Un passage du Talmud dit : « Grande est la rasade de vin car elle rapproche les fils d’Adam. », ce qui est assez bien vu ! De sorte que ne plus boire de vin, c’est vivre en retrait des hommes. Même chose pour les cheveux longs dans une Antiquité où les cheveux sont généralement courts : dès lors qu’ils sont longs, ils sont un signe de ce retranchement. Quant au contact interdit avec la mort, c’est aussi un retranchement puisque s’occuper des morts est encore un acte social dont seul le KoHéN HaGGaDoL est exempté, d’où le rapprochement entre le NâZiR et le Grand-Prêtre dont on a parlé il y a instant… À bien y songer aussi, l’abstinence de vin est encore une prescription concernant le KoHéN HaGGaDoL, entre autre, dès lors qu’il s’agit d’entrer dans la Tente de la Rencontre, c’est en Lv 10, v. 9. Donc vraiment, la grandeur du NâZiR est affirmée à travers ces diverses abstinences, à ceci près que cette grandeur exceptionnelle est limitée dans la période du Naziréat : c’est réaffirmé par trois fois dans le ch. 6. C’est peut-être aussi en ce sens que les cheveux doivent être brûlés au feu de l’autel une fois cette période terminée : tout ce temps est comme offert à YHWH en sacrifice : pas question de garder cette chevelure pour se vanter ou pour en faire un objet de vénération eu égard à la QeDouShaH, à la sainteté à laquelle le NâZiR se trouve associé.

Ceci dit, quel rapport avec ce qui précède ? Mais le lien au KoHéN, précisément ! Autant, concernant la femme soupçonnée d’adultère au ch. précédent, le mari n’a pas reconnu en elle l’image du KoHéN HaGGaDoL et donc n’a pas su l’élever ni se laisser élever par elle ; autant, concernant le NâZiR qui a valeur de KoHéN HaGGaDoL, il ne saurait pourtant être question ni de le suivre ni de le donner en exemple pour le peuple ! Dit autrement : NE VOUS TROMPEZ PAS de KoHéN HaGGaDoL ! Le véritable Grand-Prêtre est un fils de ‘AHaRoN, il est oint PAR YHWH qui l’institue le reste de sa vie durant au service du peuple tout entier, alors que là, le NâZiR n’est qu’un vœu personnel, ne relève d’aucun choix de YHWH et n’est vécu que pour un temps, suite de quoi c’est fini. Donc le NâZiR, de soi, est une figure ambiguë : il a valeur de grand prêtre, mais en même temps, ça n’est PAS le grand prêtre ! Donc ça peut déboussoler le peuple, voire le diviser, donc la ToRaH n’aime pas trop ! Et c’est bien la raison pour laquelle, au jour où s’achève son Naziréat, le NâZiR vient faire acte de soumission en se présentant à l’entrée du Sanctuaire pour offrir, avant le sacrifice de paix, une offrande pour les manquements involontaires. Il n’a pas fait nécessairement de faute, mais voilà : ambigu tout ça ! Et il y avait peut-être de ça dans le regard que les grands prêtres de Jérusalem portaient sur Jésus. On l’appelait le « Nazoréen »… Sauf que là encore, attention : que veut dire Nazoréen ? En rigueur de terme, on devrait avoir Naziréen si Jésus était un NâZir. Alors certains diront que c’est en rapport avec Nazareth, sauf que Nazareth en hébreu, c’est NaTsaRèT, et non pas NaZaRèT, donc ça n’est pas le même mot… Personnellement, je pense que Jésus était un NâZiR, mais un NâZiR sur le mode de Samuel : un NâZiR à vie, qui est une autre forme de Naziréat que celui dont parle le ch. 6 du livre des Nombres. Il y a assez d’indices allant dans ce sens, comme entre autres le cantique des deux mères respectives, celui de H.aNNaH, mère de SheMou‘èL, Samuel, et celui de MiRîaM, la mère de YeShOua“, de Jésus ; mais aussi cette capacité à offrir des sacrifices : Samuel offre des Offrandes assez librement et Jésus s’offre lui-même non moins librement en Offrande au Père… Et encore : le rapport à l’onction et à l’institution : Samuel instaure la Royauté en Israël, Jésus instaure le Règne de YHWH parmi les nations ; et encore : le rapport au Grand-Prêtre surtout en ce qui concerne Jésus dans l’épître aux Hébreux, etc. Reste que pour les instances dirigeantes du peuple à l’époque du Christ, la qualité de Nazoréen / Naziréen — la différence n’est qu’une question de vocalisation — signifiait sans aucun doute pour eux que Jésus était un NâZiR ; donc DANGER en même temps que RESPECT ! Pas facile à vivre tout ça ! En tous les cas, vous voyez comment l’étude, même à notre niveau basique, éclaire assez lumineusement les problématiques évangéliques, et plus généralement celles de tout le Nouveau Testament. Les chrétiens ne sauraient donc pas s’en dispenser !

Toujours est-il que le chapitre se termine par un passage on ne peut plus célèbre et vraiment magnifique : la formule de bénédiction sacerdotale, la BiReKaT KoHaNîM, dont il faut dire quelques mots pour conclure. Pourquoi d’abord une telle prière à cet endroit-là ? Tout simplement parce qu’elle s’inscrit dans toute la logique de ce qui précède, à savoir reconnaître le véritable KoHéN et singulièrement le véritable KoHéN HaGGaDoL, les seuls qui peuvent faire descendre sur le peuple la BiReKaT YHWH, la bénédiction de YHWH. Ce qui rejaillit sur les deux situations sur lesquelles s’attardent nos chapitres : d’une part, un homme qui sait reconnaître en sa femme l’image du KoHéN HaGGaDoL se rend donc disponible à la BiReKaT YHWH qui descend sur sa famille à chaque ShaBaT ; et d’autre part, un NâZiR, bien qu’il soit rendu temporairement au rang de KoHéN, n’est pas habilité par la ToRaH à faire descendre une telle bénédiction ! Donc : tu veux savoir qui est le vrai KoHéN ? Demande-toi si, par lui, tu peux recevoir la BiReKaT YHWH : en tout cas pas du NâZiR, du KoHéN c’est évident, mais aussi de ta femme si tu la reconnais pour ce qu’elle est et qui est particulièrement révélé le soir du ShaBaT.

Quoi qu’il en soit, cette bénédiction a gardé une très grande importance au point qu’aujourd’hui encore elle est donnée par tous les KoHaNîM — ceux dont le nom de famille est KoHéN, KaHN, KoHN etc. qui sont présents dans la synagogue, le jour de KiPouR. Le visage enfoui dans le châle de prière, le KoHéN tend ses mains vers l’assemblée. Tous les membres de l’assemblée cachent leur tête dans leur propre châle de prière pour éviter de regarder en face le KoHéN sur qui repose à cet instant la SheKhiNaH, la Présence Divine. Le ‘Hazan, c’est-à-dire le chantre, celui qui mène la prière à la synagogue, fait signe au KoHéN qui, au moment où il entonne cette bénédiction, fait naître dans le cœur de toute la communauté un profond sentiment de joie au point qu’on peut se mettre à chanter et à danser juste après avoir reçu cette BiReKaT KoHaNîM.

Alors disons deux mots sur les mains étendues pour la bénédiction : le KoHéN forme avec ses mains un triangle qui monte vers le haut qui manifeste l’aspiration de l’homme à s’élever vers YHWH, et il forme un autre triangle en écartant l’annulaire et le médium, qui représente l’énergie divine qui descend habiter la Création. Comme pour l’étoile de David si vous voulez. Mais ça n’est pas tout parce que si vous regardez la lettre que forme chaque main : il s’agit d’un ShîN, comme la première lettre du mot ShaLoM (paix), ou encore ShéKhiNaH, c’est-à-dire le mode de présence de YHWH au sein de la Création… D’où : « que YHWH lève sa Face vers toi et d’accorde la paix ! »

Et en cet instant de commune aspiration à se rencontrer qui anime YHWH et les Fils d’Israël, c’est comme si toute la Communauté se rassemblait en un unique RÉCEPTACLE de bénédiction. D’ailleurs le terme KéLî, réceptacle en hébreu, constitue l’acrostiche des trois niveaux qui composent le peuple Juif : KoHéN, Lévi, Israël. Quand des Juifs se rassemblent pour la prière du ShaBaT, les trois composantes du KéLî sont unies et la communauté est donc plus forte pour recueillir BiReKaT KoHaNîM qui se présente d’une certaine manière comme une bénédiction nuptiale ! C’est une bénédiction nuptiale puisque YHWH, l’Époux vient à la rencontre de l’Épouse, la Communauté rassemblée, pour lui faire goûter quelque chose de la Délivrance Finale qui s’appelle la PAIX. Une Paix qui ne peut advenir QUE dans cette rencontre en vérité, qui suppose de s’y tenir réceptif par une attention particulière de la ToRaH vécue dans le quotidien avec sa femme, et dans le discernement nécessaire pour ne pas aller sur de faux chemins ouverts par un autre KoHéN GaDoL que celui qui a reçu l’onction. Autant de signes que l’Église chrétienne reconnaît dans le Christ.

Enfin voilà. Ça paraît peut-être en peu compliqué mais en réalité, c’est fait pour « donner à penser », comme disait Paul Ricœur ; non pas simplement à travers des prescriptions morales ou des recettes, mais par la CHAIR. On enseigne à travers des cas concrets pour que la leçon qu’ils contiennent s’imprime dans la mémoire et ne soient pas seulement reçue comme des prescriptions qui ne toucheraient que l’intellect, que les « valeurs », parce qu’à la première occasion, on aurait tôt fait de les mettre sur la touche. Alors que si c’est inscrit en nous, dans la CHAIR, on ne pourra pas s’amuser à les faire disparaître quand ça nous arrange. Donc résumé : YHWH a Lui-même déterminé la lignée des KoHaNîM, ne va pas en chercher d’autre ; sois leur fidèle et vérifie cette fidélité par l’attention que tu dois à ta femme ; alors tu seras apte à recevoir les fruits de la bénédiction que le KoHéN seul est habilité à délivrer de la part de YHWH.

Je vous souhaite une bonne lecture de ce chapitre. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie. 
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