13-08-2017

[Nb] 14 - La MeNoRaH et les tribus d'Israël

Numbers 8:4-7 par : le père Alain Dumont
Pourquoi la MeNoRaH est-elle à ce point sacrée ? Que nous disent ces 7 lampes et quel rapport ont-elles avec la purification des LéVîiM qui suit immédiatement l’allumage du candélabre ? Encore un passage de la ToRaH qui nous en dit plus sur le Christ Jésus qu’il n’y paraît…
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Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous reprenons aujourd’hui notre lecture du ch. 8 du Livre de BaMiDeBaR, le livre du désert ou plus classiquement le livre des Nombres, et on va rester un peu encore sur cette fameuse MeNoRaH pour bien fixer les affaires avant de passer à la suite.

D’abord je vous refais une petite histoire de cette MeNoRaH : rappelons-nous que notre texte est écrit en Exil, donc l’histoire d’Israël a déjà un certain matelas, pourrait-on dire, à partir duquel l’auteur fait sa description. La trace la plus ancienne qu’on ait à propos d’une lampe qui brille devant l’arche remonte à l’époque de Silo où on nous dit, en 1S ch. 3, v. 3, qu’une lampe de DIEU brillait devant l’Arche. On nous dit par ailleurs que le temple de Salomon comptait dix lampadaires, en 1R au ch. 7, mais leur rôle n’avait rien de liturgique : il s’agissait simplement d’éclairer le Sanctuaire. Et en définitive, l’étude des textes montre que ce n’est que dans ceux datant de l’Exil que la MeNoRaH prend vraiment un rôle cultuel : l’entretien, nous dit-on alors, est confié au Grand Prêtre sous la figure de ‘AHaRoN, comme entre autres au ch. 8 du Livre des Nombres.

Racontant l’Exode, le rédacteur va donc présenter la MeNoRaH comme un véritable objet saint puisqu’elle est consacrée par une onction d’huile ; et le ch. 4 des Nombres nous a décrit avec quel soin on l’emballait pour la transporter. Ceci dit d’après le ch. 24, v. 4 du Lévitique, les lampes de la MeNoRaH sont censées brûler continuellement… du coup, on a du mal à voir comment ça peut se faire pendant la marche dans le désert. On peut bien sûr considérer à la limite qu’on gardait vive la flamme d’une lampe d’une station à l’autre, mais c’est peu probable et en tout cas, on ne le dit nulle part. Donc voyez : à l’époque de la progression dans le désert, historiographiquement, il y a peu de chances pour que la MeNoRaH ait eu un rôle liturgique et pour le dire franchement, il y a peu de chances pour qu’il y en ait eu une tout bonnement, du moins un chandelier de cette taille en or massif : je ne vous cause pas du poids ! Il a fallu une grue énorme pour trimballer celle qui trône aujourd’hui en face du KoTeL à Jérusalem — le mur du Temple devant lequel les Juifs se rassemblent pour prier YHWH. Mais bon : qu’importent les problèmes de physique : l’idée est que la sainteté de la MeNoRaH est signifiée par le fait qu’elle soit en or MOULÉ — et non pas repoussé comme on traduit habituellement — d’un seul tenant, on avait parlé de cette question à propos du ch. 25 de l’Exode.

Toujours est-il qu’à partir de l’Exil, la MeNoRaH est revêtue d’un caractère proprement sacré ! Si on écoute le prophète Zacharie par exemple, il parlera des Sept lampes de la MeNoRaH comme des 7 yeux de YHWH qui parcourent toute la terre, c’est en Za 4, v. 2 et 10. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’après l’Exil, il n’y a plus d’Arche ! Elle a disparu ! Et le lieu où elle repose jusqu’à aujourd’hui est un secret sans doute perdu à jamais, quand bien même autour de ce genre de mystère se construisent toujours des tas de scénarios à la Da Vinci Code ou à l’Indiana Jones ! Pour les uns, elle est dans une grotte, cachée par le prophète Jérémie — on a ça dans le second livre des Martyrs d’Israël ; pour d’autres, elle est sous les fondations du Temple dans une pièce secrète ; etc. Mais quoi qu’il en soit, quand les Juifs reviennent d’Exil et reconstruisent le Temple avec Néhémie, l’Arche n’est plus là ! Du coup on se pose la question : qu’est-ce qui va marquer la présence divine ? Eh bien ce sera la MeNoRaH ! Et il sera essentiel de légitimer son caractère sacré en lui donnant toute sa place dans l’histoire de la fondation du culte par Moïse ! Alors ça n’est ni du mensonge ni de la manipulation : c’est une relecture mythique de l’histoire, au sens très positif du terme = « Ce qu’on vit aujourd’hui était déjà en germe dès le commencement ! » Et c’est donc ce germe qu’on revêt des habits du moment présent : ce que les pères avaient en vue nous dit-on à demi-mot, c’est cette MeNoRaH, quelle qu’elle ait été à l’époque. Et donc dans le récit de l’histoire, on la leur offre d’une certaine manière, pour se sentir en communion avec eux et leur rendre grâce d’avoir su enclencher cette histoire avec courage et avec ferveur ! Et nous, dans une lecture chrétienne de cette même histoire, nous ne faisons pas autre chose, comme dans l’Apocalypse qui présente le Christ rayonnant de la Gloire de la résurrection, rempli des 7 dons de l’Esprit comme les 7 lampes de la MeNoRaH ! Comme quoi encore une fois le Nouveau Testament ne part jamais de rien, et pour comprendre les signes qu’il met en œuvre, il faut absolument connaître l’Ancien, que ce soit la ToRaH en priorité, mais aussi les Prophètes et les Psaumes qui reprennent cette ToRaH et la déploient dans l’histoire et la contemplation.

Maintenant, si on en revient au texte, pourquoi trouve-t-on cette prescription ici, alors qu’en première analyse, ça paraît complètement hors sujet ? Là, il faut faire un peu de symbolique avec les rabbins : qu’est-ce qu’une MeNoRaH ? Un lampadaire à 7 branches, une centrale et 6 latérales. Le chiffre 6, c’est le chiffre de l’incomplétude, [7-1] ; et ici, c’est un peu comme si chaque lampe latérale représentait deux tribus — de la même manière que les NaSsî‘îM avaient livré 6 chariots d’offrandes, 1 chariot pour deux tribus au ch. précédent —, ce qui veut dire que la MeNoRaH représente les 12 tribus d’Israël. Or on a dit lors des recensements que dénombrer quantitativement les fils de chaque tribu ne suffisait pas pour qualifier Israël et en ce sens, les Fils de LéVî signifient une surabondance inscrite à l’intérieur même du tout que constituent les 12 tribus, comme leur âme. Eh bien c’est la même chose ici : les 6 lampes brillent en direction de la lampe centrale comme les tribus d’Israël doivent briller en restant tournées vers leur source qui est le MiShKâN et dont les Fils de LéVî ont la garde.

Du coup, vu la charge qui pèse sur les Fils de LéVî, on comprend mieux pourquoi ils sont l’objet d’une purification particulière, du fait de leur élection particulière au sein du peuple élu — l’élection dans l’élection dont on a déjà parlé. Ça ne veut pas dire qu’ils soient supérieurs ! Ça ne veut pas dire que leur lampe brille plus que les autres ! Ça veut dire que chaque tribu a sa place et doit briller au sein du peuple selon sa propre vocation, MAIS qu’elle ne peut pas briller si elle se détourne du MiShKâN ! D’où le drame lorsque 10 tribus feront sécession contre Jérusalem après la mort de Salomon ! Mais bon, on aura l’occasion de revoir ça en son temps. En attendant, le rédacteur qui écrit après l’Exil a très bien intégré que l’Exil a été causé par le fait que nombre de tribus se sont précisément détachées du Temple, DONC, au moment de revenir, tout est fait pour que plus personne parmi les Fils d’Israël ne joue à ce jeu-là ! La MeNoRaH, rappelons-nous, est faite d’un seul tenant : rien n’est dissociable, de la même manière qu’aucune tribu ne peut se dissocier des autres et que toutes ont besoin de chacune d’entre elles pour que la Lumière de YHWH brille dans le monde à travers elles !

Alors maintenant, on comprend peut-être mieux pourquoi la suite du texte nous présente le rituel de purification des LéVîiM. Le v. 7 parle d’une aspersion avec une curieuse « eau du manquement », ou l’eau du péché comme traduisent la plupart des bibles ; une expression qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Mais de quel péché s’agit-il ? Eh bien, disent les rabbins, il se pourrait bien qu’il s’agisse de l’eau mêlée à la poussière du Taurillon d’or du livre de l’Exode, ch. 32, v. 20 ! Les LéVîiM ont été les seuls à être fidèles, à n’avoir pas manqué au culte de Moïse, seulement voilà : le culte de YHWH n’est pas celui des parfaits au milieu des simples croyants comme dans la secte Cathare. Ils ne sont pas fidèles au point de s’en prévaloir au détriment des autres tribus : les LéVîiM sont tout au contraire solidaires du manquement de toutes les tribus d’Israël ! Ah mais pour des chrétiens, ça évoque quelque chose… « C’est pour vous que le Christ a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous marchiez sur ses traces. Lui n’a pas commis de manquement ; dans sa bouche, il ne s’est trouvé aucun mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos manquements, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. » (1P 2,21-25) Voilà : le Christ, l’élu au sein du peuple élu, mais cette fois en faveur de tous les peuples de la terre, a revêtu nos manquements, ce que signifie son baptême dans le Jourdain. Eh bien cette lecture du Salut opéré par le Christ s’inscrit dans la dynamique des rituels auxquels le ch. 8 des Nombres nous fait assister ! Alors attention : je dis bien que la tradition chrétienne S’INSCRIT dans une dynamique qui la précède, mais encore une fois elle ne s’y substitue pas ! On ne peut pas dire que le Christ « remplacerait » ce qui est donné par la ToRaH ! Ce qu’il fait, c’est encore une fois de s’inscrire dans un mouvement qui prend racine là ; une racine qui est certes donnée pour permettre aux nations d’être associées à terme au projet de la Délivrance Finale, mais cette racine RESTE la racine, et pour reprendre les mots de saint Bernard de Clairvaux : Les Juifs sont pour cette raison la prunelle de l’œil de DIEU ! : « Les Juifs ne doivent point être persécutés, ni mis à mort, ni même bannis : consultez les pages de la divine Écriture… Je connais la prophétie que le psaume renferme et qui les concerne : Ne les tuez pas de peur que mes peuples ne m'oublient. Ils sont des traits vivants qui nous représentent la passion du Seigneur… Il convient à la piété chrétienne d'épargner ceux qui ont surtout reçu les promesses de la Loi, de qui sont descendus nos pères et au nombre desquels était, selon la chair, le Christ… » (Lettre 363) Et un chroniqueur juif de l’époque, Jeschua Ben-Meïr, d’écrire à propos de Bernard : « Ainsi parlait cet homme sage et sa voix était redoutable car il était aimé et respecté de tous : “Marchez sur Sion, défendez le sépulcre de notre Christ mais ne touchez pas aux Juifs et ne leur parlez qu'avec bienveillance car ils sont la chair et les os du Messie et si vous les molestez vous risquez de blesser le Seigneur dans la prunelle de son œil…”. » Tout ça pour insister sur le fait que même si nous faisons des rapprochements avec ce que nous pouvons comprendre de la geste de salut du Christ Jésus, il ne s’agira jamais pour nous d’en effacer la source tout entière contenue dans le peuple des Fils d’Israël dont il est issu ; mieux : dans le peuple qu’il a Lui-même créé et préparé en tant que MeMRaH de YHWH ! Que les Juifs ne lui reconnaissent pas ce caractère divin et créateur est une chose. Que nous leur déniions pour cette raison le droit de subsister en est une autre qui nous est absolument interdite ! C’est le péché le plus gravissime qu’on puisse imaginer ! Comme dit Mgr Lustiger : « L'Ancien Testament n'est ni une propédeutique, ni une préparation littéraire, ni un recueil de thèmes et de symboles : c'est un chemin véritable, nécessaire et actuel. Actuel, non par des rapprochements anecdotiques, mais par la communion et l'obéissance à Dieu ; actualité spirituelle de l'entrée dans le mystère de l'Élection. Si les païens qui ont accès à l'Alliance dans le Christ ne font pas ce chemin, ils risquent de n'être pas réellement convertis et, donc, de mépriser le Christ, alors même qu'ils croyaient l'honorer. C'est la tentation permanente des peuples pagano-chrétiens. (...) Dès lors, la figure du Christ est réduite à la figure mythique ou purement païenne de la divinité à laquelle la raison occidentale impose son triomphe. […]

La théorie du rejet d'Israël apparaît comme un non-sens, une absurdité, puisqu'elle prétend que Dieu serait infidèle à son Alliance. C’est méconnaître le mystère du Christ lui-même. […]

Le sort fait aux juifs est le test de la manière dont les païens devenus chrétiens acceptent le Christ en vérité. C'est vraiment le test absolu. Il ne s'agit pas là simplement du rapport entre l'amour du prochain et l'amour de Dieu. Le juif est le signe strict de l'Élection, et donc du Christ. Ne pas reconnaître l’Élection du juif, c'est ne pas reconnaître l'Élection du Christ. Et c'est être incapable d'accepter sa propre Élection. Il y a là une logique implacable. […]

L'antisémitisme chrétien apparaît non pas comme un problème particulier de racisme parmi d'autres, mais en vérité comme un péché. Un péché dont l'énormité est significative d'une infidélité profonde à la grâce du Christ. Dans ce que les chrétiens récusent d'Israël est attesté ce qu'ils rejettent du Christ et qu'ils n'avouent pas comme un refus. » (Cal J.-M. Lustiger, La Promesse, Parole Et Silence (2002), extraits)

Voilà, au moins c’est clair, et venant de la part d’une personnalité comme celle du Cardinal Lustiger, il serait fort imprudent de ne pas l’entendre ! Alors revenons au rituel de purification des LéVîiM avec leur aspersion par l’eau du manquement, l’eau du péché. Dans le fond, c’est comme si les eaux de la mort mêlées de la poussière du Taurillon d’or, redevenaient des eaux vives ! Je vous rappelle que l’aspersion est toujours très vive, comme avec le sang qui asperge l’autel pour signifier la vie que recèle ce sang et que l’on rend à YHWH pour ainsi dire. Ici, c’est la même chose, mais avec l’eau du manquement. Dès lors, qu’ils doivent accomplir les mêmes rites de purification que l’infecté guéri du ch. 14 du Lévitique à travers le rasage intégral et le nettoyage des habits ne surprend plus : par eux, c’est l’infection même du peuple qui se trouve être purifiée jusque dans son âme. Certains commentaires présentent d’ailleurs ce rasage comme le signe d’une renaissance : on se retrouve avec une peau de nourrisson, pourquoi pas ? Il ne faudrait sans doute pas négliger non plus le lien avec les pratiques égyptiennes qui voulaient que les prêtres des castes les plus basses soient entièrement glabres. Quant aux habits propres, ils désignent, rappelons-nous, la “seconde peau” dans sa dimension sociale — on avait vu ça à propos de la fin du même ch. 14 du Lévitique. À travers eux, c’est comme l’âme d’Israël qui est revêtue d’un vêtement pur et qui va lui permettre d’accéder aux Offrandes pour reprendre le chemin de la sainteté, le chemin d’élévation vers YHWH. Là encore, ça éclaire une parabole du Christ parlant des invités à la Noces : « Le roi entra pour voir les convives et vit là un homme qui n’était pas revêtu d’un vêtement de noces. Il lui dit : Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir un vêtement de Noces ? Cet homme resta bouche close. Alors le roi dit aux serviteurs : Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. » (Mt 22,11-14) Eh bien : le vêtement des LéVîiM est celui des NOCES qui sont le cœur même de toute la vie du MiShKâN, on n’arrête pas de le dire. Eh oui, pour participer activement à ces Noces, il y a donc une préparation nécessaire, une purification nécessaire que le Christ va endosser pour nous, dans la même ligne de ce qui est demandé là au LéVîiM. On songe aussi ici à saint Paul : « Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. » c’est-à-dire que le Salut annoncé par Israël est ouvert à toutes les nations, MAIS sans que les nations ne supplantent pour autant Israël qui imprime le mouvement, pour ainsi dire.

Alors on ne va pas en dire plus pour aujourd’hui. Gardons bien à l’esprit ce mouvement qui prend vraiment son départ dans nos chapitres, d’abord et irréductiblement en faveur du peuple d’Israël à travers la consécration des LéVîiM puis finalisé en Christ en faveur des Nations ; Christ étant comme l’âme des nations là où les LéVîiM constituent comme l’âme d’Israël. Je vous laisse sur ces considérations. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie. 
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