Numbers 9:15-10:10 par : le père Alain Dumont
Il va bientôt être temps de partir, et ce sera au rythme de la Nuée Lumineuse. Mais dans le fond, qu’est-ce que cette Nuée ? Que voile-t-elle et que dévoile-t-elle à la fois ?
Rubrique :Au SiNaÏ avant le départ (Nb 1-10,10)
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Bonjour,
Nous poursuivons notre lecture du ch. 9 du Livre des Nombres et nous revoilà au v. 15 à ce fameux jour sur lequel le livre de l’Exode s’était achevé, à savoir le jour où le MiShKâN a enfin été érigé. Vous vous souvenez : « La Nuée couvrit la Tente de la Rencontre et la Gloire de YHWH remplit le MiShKâN ! […] À la montée de la Nuée au-dessus du MiShKâN, les Fils d’Israël partaient à chacun de leurs campements. Si la Nuée ne montait pas, ils ne partaient pas jusqu’au jour où elle s’élevait. Et la Nuée de YHWH était sur le MiShKâN le jour, avec en elle du feu, la nuit, sous les yeux de toute la Maison d’Israël à chacun de leurs campements. » (Ex 40,34.36-38). Voilà, et de fait, les v. 15 à 23 ne développent pas autre chose. Ici le texte ne pose pas de difficulté particulière, donc on va prendre le temps de se demander ce qu’est en définitive cette fameuse Nuée qui se dresse devant le camp des Fils d’Israël. Ce n’est évidemment pas la première fois qu’on la rencontre : elle est liée à la sortie d'Égypte dès le ch. 13 de l’Exode et à l’inauguration du Sanctuaire, toujours en Exode, ch. 40, v. 34-38.
Alors ici, il y a une subtilité, parce qu’en définitive, cette Nuée est à la fois un SIGNE QUI RÉVÈLE ET QUI MASQUE, qui dévoile et en même temps voile la Présence du DIEU Transcendant — c’est-à-dire du Dieu Tout Autre — en Alliance avec son Peuple. Et là, on touche précisément le paradoxe que les hommes ont tellement de mal à résoudre dans la mesure où pour eux, soit DIEU est IMMANENT, c’est-à-dire qu’il est partout et en toute chose ; une sorte de fusion entre le créateur et la création. Soit DIEU est TRANSCENDANT, auquel cas il est loin, inatteignable, impassible vis-à-vis de sa création qu’Il abandonne à son inertie : Il s’est contenté de donner la chiquenaude initiale, le reste lui importe peu, voire même pas du tout ! C’est le fameux « Grand horloger » de Voltaire, mais c’est aussi le DÔ de la religion animiste en Afrique de l’Ouest, c’est le Soleil des religions d’Amérique du sud etc. Un DIEU initial, donc, mais forcément lointain, inatteignable, comme le Grand Patron d’une entreprise, une Star de show-Business ou un Président de la République Française : ils sont dans leur bulle et n’en sortent pas, de telle manière qu’ils constituent ni plus ni moins que le Panthéon de la postmodernité ; et exactement comme dans la Grèce antique, quand ces nouveaux dieux sortent de leur sphère pour aller flirter avec celle des hommes normaux, ça provoque toujours des catastrophes… Comme quoi le fond de l’humanité ne change pas tellement au fil du temps, du moins tant qu’elle refuse de se laisser éclairer par la ToRaH et par l’Évangile !
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’un DIEU transcendant qui est proche, c’est juste a priori contradictoire dans les termes ! Affirmer un truc pareil semble aussi absurde pour la raison que de se représenter la quadrature du cercle … Et pourtant c’est bien ce qui constitue l’expérience fondatrice de l’histoire d’Israël : le DIEU TRANSCENDANT a voulu s’unir à son peuple ; et en termes de proximité, on ne peut pas faire plus proche puisqu’on ne nous convoque à rien de moins qu’à une relation nuptiale ! Donc voilà : le DIEU d’Israël est le TOUT AUTRE, et voilà qu’Il veut épouser Israël, nous dit TOUTE LA BIBLE ! Voilà qu’Il veut unir son intimité divine à l’intimité humaine ??? Ça c’est proprement inouï ! Encore une fois, comme dit Paul Ricœur, ça donne à penser, et c’est le but !
Alors disons les choses rapidement. D’abord, c’est vrai que la transcendance n’est pas la manière spontanée par laquelle les hommes appréhendent le divin. Il y a un principe qui se retrouve d’une manière ou d’une autre sous toutes les latitudes et qui enseigne que LE VISIBLE soit habité d’un principe INVISIBLE. C’est ce qu’on appelle l’IMMANENCE qui veut qu’une force de vie soit présente dans l’univers et jamais en dehors de lui : c’est le Logos organisateur du Cosmos de la Grèce Antique par exemple. Dans ce rapport au divin IMMANENT, on peut évidemment imaginer des théogonies comme en Grèce toujours, ou en Égypte ou en Mésopotamie entre autres, mais ces « dieux » ne sont jamais que la projection du fantasme humain de toute-puissance dans une sorte de monde parallèle : en gros, les panthéons divins ne sont guère que des « surhommes » façon Nietzsche, rien de plus ! Mais en soi, l’immanence, elle, est plus large : elle anime tous ces mondes ; elle les habite et les organise de l’intérieur comme une sorte de puissance vitale universelle. Et quoi qu’il en soit, c’est la notion du DIVIN — au sens fort du terme — la plus répandue.
Alors maintenant, quand survient la notion d’un DIEU non plus immanent mais TRANSCENDANT, et unique de surcroît — parce qu’on a aussi la notion d’un dieu transcendant dans certaines civilisations, mais c’est au sens où il est supérieur à tous les autres dieux, non au sens où il serait unique. C’est ce qui a fait la fortune de ATÔN, le dieu solaire de Akhénatôn, qui est au-dessus des autres mais n’est pas unique. La différence d’avec AMÔN, c’est que AMÔN est plus fort que les autres dieux mais il ne leur est pas supérieur en qualité. ATÔN, si. Mais encore une fois, ATÔN n’a rien d’unique, raison pour laquelle aujourd’hui la théorie d’un monothéisme qui aurait été inventé par Akhénatôn est abandonnée. Donc quand arrive une notion de DIEU non plus immanent mais TRANSCENDANT et unique de surcroît, là, on est vraiment dans une tout autre vision du monde qui va tout bousculer ! C’est une idée qui va mettre du temps à s’implanter tellement elle est aux antipodes de ce que l’homme imagine spontanément. Pour le dire franchement, l’idée d’un DIEU Transcendant et Unique est tellement non spontanée à l’homme qu’elle ne peut lui venir à l’esprit que par RÉVÉLATION ! Un peu si vous voulez comme à l’époque de Christophe Colomb : impossible d’imaginer une terre par-delà l’Océan… sauf que quand il revient, il RÉVÈLE l’existence de ces terres et ça fait basculer l’histoire du monde ! Eh bien avec la révélation d’un DIEU transcendant et unique, c’est un peu la même chose ; et c’est par Moïse qu’elle advient, autour de quoi va se fédérer tout un peuple, lui aussi UNIQUE au milieu de tous les peuples de la terre ! Alors sans doute y a-t-il eu les patriarches, mais pour eux, YHWH n’était pas unique : il était LEUR Dieu ; unique à leurs yeux peut-être, mais d’autres dieux avaient droit de cité tout autour : ils n’étaient simplement pas les dieux d’Abraham, Isaac et Jacob. C’est vraiment avec Moïse, redisons-le, que YHWH se dévoile, se révèle UNIQUE et TRANSCENDANT, le seul VIVANT, c’est-à-dire le seul à véritablement DONNER LA VIE, le reste n’étant que des idoles tout humaines ! Ceci dit, c’est tellement aux antipodes de ce que l’homme est capable d’imaginer pas lui-même qu’il va falloir beaucoup de temps pour que cette révélation s’inscrive dans son cœur.
Et si encore on s’en tenait là, sans doute les choses pourraient se mettre en place à plus ou moins long terme, sauf que la difficulté rebondit parce que ce Dieu transcendant, tout AUTRE, Unique de surcroît, se MANIFESTE ! Alors là on n’y comprend plus rien ! Il est transcendant ou Il ne l’est pas ? Alors OK, admettons qu’Il le soit, mais alors il ne PEUT PAS se manifester ! C’est ce que va affirmer l’Islam : Dieu est unique, absolument transcendant DONC Il ne se manifeste pas dans la mesure où s’Il le faisait, il se dénaturerait ! Et là c’est très subtil parce qu’affirmer une telle transcendance absolue au point d’interdire conceptuellement à un tel DIEU de se manifester, c’est encore une manière de mettre la main sur DIEU, de réduire DIEU à la mesure de l’homme ! Donc là encore, l’homme a repris la main sur DIEU qui ne peut pas être autre chose que ce que MOI je décide qu’il soit au nom de MA conception du divin ! C’est terrible ! C’est de la manipulation : DIEU ne sera que ce que MOI j’aurai décidé qu’Il soit !
Or précisément : voilà que d’après la Bible, le DIEU transcendant, dans son absolue liberté, se MANIFESTE ! Et il ne se manifeste pas seulement dans une motion spirituelle personnelle comme ça a pu être le cas pour les Patriarches, mais cette transcendance impose sa manifestation à TOUT UN PEUPLE ! Ça c’est complètement nouveau, à tel point que les hommes vont avoir énormément de mal à PENSER cette Transcendance biblique où YHWH se présente à la fois comme absolument AUTRE mais en même temps absolument libre de pouvoir se manifester ! D’autant plus libre que cette manifestation ne prête le flanc à AUCUNE manipulation de la part des hommes ! Le Dieu tel que le conçoit l’Islam n’est pas libre, puisqu’il ne subsiste qu’en se prémunissant des hommes et de la création qu’il a pourtant lui-même formée ! Le Dieu révélé par la ToRaH, Lui, est LIBRE parce qu’il ne craint pas la mainmise de l’homme et peut donc sans crainte se manifester à lui, mieux : il peut sans crainte envisager de s’UNIR à lui, à la condition, on l’a souvent dit, que l’homme s’élève lui-même à ce même degré de LIBERTÉ qu’on appelle la SAINTETÉ ! Autant dire que le challenge est de taille, raison pour laquelle YHWH définit le CADRE dans lequel une telle élévation est néanmoins possible, aussi inespéré que ça puisse paraître ; et ce CADRE, évidemment, c’est l’ALLIANCE au cœur de la ToRaH de Moïse. Un CADRE qui va trouver son accomplissement inattendu dans la personne du Verbe fait CHAIR, c’est-à-dire en Christ en qui DIEU reste pleinement LE DIEU UNIQUE ET TRANSCENDANT, mais s’unit de manière singulière à l’HOMME qui reste quant à lui PLEINEMENT HOMME ; ou plus exactement en Christ en qui l’HOMME devient d’autant plus pleinement HOMME qu’en lui, DIEU reste pleinement DIEU, sans mélange du divin et de l’humain, ce qui composerait une sorte de chimère abominable et qui surtout nous laisserait prisonniers des fantasmes humains sans pouvoir les dépasser. Cette rencontre nuptiale de l’humanité avec DIEU s’opère en Christ sans que ni DIEU ni l’HOMME ne se fondent l’un en l’autre, ne fusionnent l’un et l’autre mais goûtent à la joie de l’accomplissement d’une rencontre pleinement LIBRE, d’une reconnaissance mutuelle, d’une AMITIÉ mutuelle que le péché avait rendue inespérée mais que la miséricorde a rendue néanmoins possible à nouveau.
Alors vous me direz : et la Nuée dans tout ça ? Eh bien la Nuée, c’est le prémice de cette rencontre dans la mesure où DIEU, on l’a dit à la fin de notre lecture du Livre de l’Exode, fait le premier pas. Il se rend présent à son peuple de manière VISIBLE, sachant que cette visibilité ne conteste en rien toute la part infinie et invisible qui est en DIEU. On pourrait presque dire que la Nuée, c’est le CORPS vivant que YHWH se donne dans la Création, un corps qui n’a rien à voir avec les anthropo-zoomorphismes des autres religions, mais un corps qui n’en est pas moins le signe visible d’une réalité invisible, c’est-à-dire le SACREMENT de YHWH. Dit autrement, l’infinie réalité de YHWH ne s’épuise pas dans le corps visible de la Nuée, mais néanmoins, ce corps SIGNIFIE, c’est-à-dire qu’il est le SIGNE de sa Présence réelle, de sa SheKhiNaH au milieu de son peuple. Et ça va encore plus loin si on tient compte du fait que, pour le Targum, la Nuée devient le support de la MeMRaH, du Verbe de YHWH : « Sur la bouche de la MeMRaH de YHWH, les Fils d’Israël partaient et sur la bouche de la MeMRaH de YHWH ils campaient. » (Targ Jon Nb 9,18) Donc on peut dire que dès Moïse, YHWH, en la personne de son Verbe, prend corps au milieu de son peuple ; ce qui est évidemment, dans une lecture chrétienne, la figure de l’incarnation de ce même Verbe en la personne de Jésus, quand les temps seront accomplis et que les Noces tant attendues entre YHWH et sa Création pourront enfin se réaliser. Alors bien entendu, jamais un Juif ne pourra valider ce que je viens de dire, mais il n’empêche que lorsque les chrétiens affirment qu’en Jésus, le Verbe de DIEU s’est incarné, ils ne font que pousser jusqu’au bout ce qui commence là, avec la Nuée Lumineuse par laquelle la MèMRaH de YHWH se rend visible aux yeux du peuple ! Jusqu’à présent, tout se passait en haut de la montagne, dans les sphères élevées pour ainsi dire ; maintenant, la Nuée du sommet est descendue pour se tenir au milieu de son peuple et se mettre en marche avec lui.
Alors maintenant, le ch. 10 nous parle de trompettes pour convoquer le peuple au départ qui se fait imminent. Des trompettes d’argent moulées d’un seul tenant, dit le texte, MiQeShâH qui ne veut pas dire « repoussé » mais « moulé », comme pour la MeNoRaH, et puis aussi les KéROuBîM autour de l’arche étaient moulés en or. Disons pour faire bref que ce sont des trompettes liturgiques, sonnées par les prêtres, dit le v. 8, qui convoquent d’une part le peuple à l’entrée du Sanctuaire — avec une seule sonnerie ; et d’autre part les autorités du peuple auprès de Moïse — avec deux sonneries. Et puis accompagnées de cris d’acclamation, voilà qu’elles sonnent l’ébranlement de la marche, selon chaque ensemble. Alors si vous lisez attentivement, vous verrez qu’il manque les tribus de l’Ouest et celles du Nord, mais les targums corrigent ce manque. On verra plus tard que ces trompettes auront un rôle guerrier, mais pour l’instant, elles indiquent que c’est une procession d’un seul tenant qui s’ébranle.
Alors là encore, on imagine mal d’un point de vue factuel qu’on moule des trompettes avec tout le reste en plein désert ! Encore un indice de la rédaction tardive, mais il n’empêche : ce qui nous est dit là, c’est que le peuple part pour la Terre de la Promesse en grande procession, cette Terre qui sera le lieu où pourront être offertes les Offrandes et où le peuple se réunira pour s’élever dans la sainteté vers YHWH. Il ne s’agit pas en soi d’un peuple guerrier mais d’un peuple SAINT, le peuple appelé à l’union nuptiale avec YHWH pour manifester aux nations du monde entier la véritable nature du DIEU créateur et sauveur.
Par ailleurs, on ne retrouvera quasiment pas ces trompettes d’argent par la suite. Ça ne veut pas dire qu’on ne retrouvera plus de trompettes, notamment dans les écrits sacerdotaux comme les livres des Chroniques, mais il ne s’agira pas de CES trompettes d’argent là. Dans les moments de combats, c’est le ShoPhaR, la corne de bélier, qui sera employé. Même au v. 9, en cas d’attaque d’un ennemi, la sonnerie de ces trompettes ne sont pas là pour lancer l’assaut mais pour en appeler à YHWH pour qu’Il fasse mémoire de son peuple et que, du cœur de cette mémoire, il donne à son peuple le courage de viser la victoire. On le verra d’ailleurs souvent au cours de l’histoire biblique : à part le moment de la sortie d’Égypte, jamais YHWH ne combat à la place de son peuple. Quand il le SAUVE, c’est toujours en lui redonnant la hardiesse nécessaire pour ne pas faillir. YHWH ne se comprend pas comme un dieu providence, une sorte de Nanny God comme disent les anglophones, un dieu nounou qui, dans le fond, asservirait son peuple en le maintenant esclave d’une sphère maternante ! Rien de ça ici ! Ces trompettes sont celles de la mémoire pour que jamais Israël n’oublie qu’il subsiste pour toujours dans le cœur de YHWH et trouve dans cette mémoire le courage d’affronter le monde comme un MiDeBaR afin d’y faire germer la vie. Dit autrement, c’est une sorte de trompettes mythiques auxquelles toutes les sonneries de l’histoire se rattacheront d’une manière ou d’une autre, mais c’est pour élancer Israël à tenir sa place dans le monde, raison pour laquelle elles relèvent d’une institution perpétuelle comme l’indique le v. 8.
Enfin voilà. Ouf ! Maintenant, tout est prêt, on va pouvoir partir ! ceci dit, le peuple n’est pas au bout de ses peines, mais nous verrons ça la prochaine fois. Je vous souhaite d’ici là une bonne lecture de tout ce passage. Je vous remercie.
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,
Nous poursuivons notre lecture du ch. 9 du Livre des Nombres et nous revoilà au v. 15 à ce fameux jour sur lequel le livre de l’Exode s’était achevé, à savoir le jour où le MiShKâN a enfin été érigé. Vous vous souvenez : « La Nuée couvrit la Tente de la Rencontre et la Gloire de YHWH remplit le MiShKâN ! […] À la montée de la Nuée au-dessus du MiShKâN, les Fils d’Israël partaient à chacun de leurs campements. Si la Nuée ne montait pas, ils ne partaient pas jusqu’au jour où elle s’élevait. Et la Nuée de YHWH était sur le MiShKâN le jour, avec en elle du feu, la nuit, sous les yeux de toute la Maison d’Israël à chacun de leurs campements. » (Ex 40,34.36-38). Voilà, et de fait, les v. 15 à 23 ne développent pas autre chose. Ici le texte ne pose pas de difficulté particulière, donc on va prendre le temps de se demander ce qu’est en définitive cette fameuse Nuée qui se dresse devant le camp des Fils d’Israël. Ce n’est évidemment pas la première fois qu’on la rencontre : elle est liée à la sortie d'Égypte dès le ch. 13 de l’Exode et à l’inauguration du Sanctuaire, toujours en Exode, ch. 40, v. 34-38.
Alors ici, il y a une subtilité, parce qu’en définitive, cette Nuée est à la fois un SIGNE QUI RÉVÈLE ET QUI MASQUE, qui dévoile et en même temps voile la Présence du DIEU Transcendant — c’est-à-dire du Dieu Tout Autre — en Alliance avec son Peuple. Et là, on touche précisément le paradoxe que les hommes ont tellement de mal à résoudre dans la mesure où pour eux, soit DIEU est IMMANENT, c’est-à-dire qu’il est partout et en toute chose ; une sorte de fusion entre le créateur et la création. Soit DIEU est TRANSCENDANT, auquel cas il est loin, inatteignable, impassible vis-à-vis de sa création qu’Il abandonne à son inertie : Il s’est contenté de donner la chiquenaude initiale, le reste lui importe peu, voire même pas du tout ! C’est le fameux « Grand horloger » de Voltaire, mais c’est aussi le DÔ de la religion animiste en Afrique de l’Ouest, c’est le Soleil des religions d’Amérique du sud etc. Un DIEU initial, donc, mais forcément lointain, inatteignable, comme le Grand Patron d’une entreprise, une Star de show-Business ou un Président de la République Française : ils sont dans leur bulle et n’en sortent pas, de telle manière qu’ils constituent ni plus ni moins que le Panthéon de la postmodernité ; et exactement comme dans la Grèce antique, quand ces nouveaux dieux sortent de leur sphère pour aller flirter avec celle des hommes normaux, ça provoque toujours des catastrophes… Comme quoi le fond de l’humanité ne change pas tellement au fil du temps, du moins tant qu’elle refuse de se laisser éclairer par la ToRaH et par l’Évangile !
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’un DIEU transcendant qui est proche, c’est juste a priori contradictoire dans les termes ! Affirmer un truc pareil semble aussi absurde pour la raison que de se représenter la quadrature du cercle … Et pourtant c’est bien ce qui constitue l’expérience fondatrice de l’histoire d’Israël : le DIEU TRANSCENDANT a voulu s’unir à son peuple ; et en termes de proximité, on ne peut pas faire plus proche puisqu’on ne nous convoque à rien de moins qu’à une relation nuptiale ! Donc voilà : le DIEU d’Israël est le TOUT AUTRE, et voilà qu’Il veut épouser Israël, nous dit TOUTE LA BIBLE ! Voilà qu’Il veut unir son intimité divine à l’intimité humaine ??? Ça c’est proprement inouï ! Encore une fois, comme dit Paul Ricœur, ça donne à penser, et c’est le but !
Alors disons les choses rapidement. D’abord, c’est vrai que la transcendance n’est pas la manière spontanée par laquelle les hommes appréhendent le divin. Il y a un principe qui se retrouve d’une manière ou d’une autre sous toutes les latitudes et qui enseigne que LE VISIBLE soit habité d’un principe INVISIBLE. C’est ce qu’on appelle l’IMMANENCE qui veut qu’une force de vie soit présente dans l’univers et jamais en dehors de lui : c’est le Logos organisateur du Cosmos de la Grèce Antique par exemple. Dans ce rapport au divin IMMANENT, on peut évidemment imaginer des théogonies comme en Grèce toujours, ou en Égypte ou en Mésopotamie entre autres, mais ces « dieux » ne sont jamais que la projection du fantasme humain de toute-puissance dans une sorte de monde parallèle : en gros, les panthéons divins ne sont guère que des « surhommes » façon Nietzsche, rien de plus ! Mais en soi, l’immanence, elle, est plus large : elle anime tous ces mondes ; elle les habite et les organise de l’intérieur comme une sorte de puissance vitale universelle. Et quoi qu’il en soit, c’est la notion du DIVIN — au sens fort du terme — la plus répandue.
Alors maintenant, quand survient la notion d’un DIEU non plus immanent mais TRANSCENDANT, et unique de surcroît — parce qu’on a aussi la notion d’un dieu transcendant dans certaines civilisations, mais c’est au sens où il est supérieur à tous les autres dieux, non au sens où il serait unique. C’est ce qui a fait la fortune de ATÔN, le dieu solaire de Akhénatôn, qui est au-dessus des autres mais n’est pas unique. La différence d’avec AMÔN, c’est que AMÔN est plus fort que les autres dieux mais il ne leur est pas supérieur en qualité. ATÔN, si. Mais encore une fois, ATÔN n’a rien d’unique, raison pour laquelle aujourd’hui la théorie d’un monothéisme qui aurait été inventé par Akhénatôn est abandonnée. Donc quand arrive une notion de DIEU non plus immanent mais TRANSCENDANT et unique de surcroît, là, on est vraiment dans une tout autre vision du monde qui va tout bousculer ! C’est une idée qui va mettre du temps à s’implanter tellement elle est aux antipodes de ce que l’homme imagine spontanément. Pour le dire franchement, l’idée d’un DIEU Transcendant et Unique est tellement non spontanée à l’homme qu’elle ne peut lui venir à l’esprit que par RÉVÉLATION ! Un peu si vous voulez comme à l’époque de Christophe Colomb : impossible d’imaginer une terre par-delà l’Océan… sauf que quand il revient, il RÉVÈLE l’existence de ces terres et ça fait basculer l’histoire du monde ! Eh bien avec la révélation d’un DIEU transcendant et unique, c’est un peu la même chose ; et c’est par Moïse qu’elle advient, autour de quoi va se fédérer tout un peuple, lui aussi UNIQUE au milieu de tous les peuples de la terre ! Alors sans doute y a-t-il eu les patriarches, mais pour eux, YHWH n’était pas unique : il était LEUR Dieu ; unique à leurs yeux peut-être, mais d’autres dieux avaient droit de cité tout autour : ils n’étaient simplement pas les dieux d’Abraham, Isaac et Jacob. C’est vraiment avec Moïse, redisons-le, que YHWH se dévoile, se révèle UNIQUE et TRANSCENDANT, le seul VIVANT, c’est-à-dire le seul à véritablement DONNER LA VIE, le reste n’étant que des idoles tout humaines ! Ceci dit, c’est tellement aux antipodes de ce que l’homme est capable d’imaginer pas lui-même qu’il va falloir beaucoup de temps pour que cette révélation s’inscrive dans son cœur.
Et si encore on s’en tenait là, sans doute les choses pourraient se mettre en place à plus ou moins long terme, sauf que la difficulté rebondit parce que ce Dieu transcendant, tout AUTRE, Unique de surcroît, se MANIFESTE ! Alors là on n’y comprend plus rien ! Il est transcendant ou Il ne l’est pas ? Alors OK, admettons qu’Il le soit, mais alors il ne PEUT PAS se manifester ! C’est ce que va affirmer l’Islam : Dieu est unique, absolument transcendant DONC Il ne se manifeste pas dans la mesure où s’Il le faisait, il se dénaturerait ! Et là c’est très subtil parce qu’affirmer une telle transcendance absolue au point d’interdire conceptuellement à un tel DIEU de se manifester, c’est encore une manière de mettre la main sur DIEU, de réduire DIEU à la mesure de l’homme ! Donc là encore, l’homme a repris la main sur DIEU qui ne peut pas être autre chose que ce que MOI je décide qu’il soit au nom de MA conception du divin ! C’est terrible ! C’est de la manipulation : DIEU ne sera que ce que MOI j’aurai décidé qu’Il soit !
Or précisément : voilà que d’après la Bible, le DIEU transcendant, dans son absolue liberté, se MANIFESTE ! Et il ne se manifeste pas seulement dans une motion spirituelle personnelle comme ça a pu être le cas pour les Patriarches, mais cette transcendance impose sa manifestation à TOUT UN PEUPLE ! Ça c’est complètement nouveau, à tel point que les hommes vont avoir énormément de mal à PENSER cette Transcendance biblique où YHWH se présente à la fois comme absolument AUTRE mais en même temps absolument libre de pouvoir se manifester ! D’autant plus libre que cette manifestation ne prête le flanc à AUCUNE manipulation de la part des hommes ! Le Dieu tel que le conçoit l’Islam n’est pas libre, puisqu’il ne subsiste qu’en se prémunissant des hommes et de la création qu’il a pourtant lui-même formée ! Le Dieu révélé par la ToRaH, Lui, est LIBRE parce qu’il ne craint pas la mainmise de l’homme et peut donc sans crainte se manifester à lui, mieux : il peut sans crainte envisager de s’UNIR à lui, à la condition, on l’a souvent dit, que l’homme s’élève lui-même à ce même degré de LIBERTÉ qu’on appelle la SAINTETÉ ! Autant dire que le challenge est de taille, raison pour laquelle YHWH définit le CADRE dans lequel une telle élévation est néanmoins possible, aussi inespéré que ça puisse paraître ; et ce CADRE, évidemment, c’est l’ALLIANCE au cœur de la ToRaH de Moïse. Un CADRE qui va trouver son accomplissement inattendu dans la personne du Verbe fait CHAIR, c’est-à-dire en Christ en qui DIEU reste pleinement LE DIEU UNIQUE ET TRANSCENDANT, mais s’unit de manière singulière à l’HOMME qui reste quant à lui PLEINEMENT HOMME ; ou plus exactement en Christ en qui l’HOMME devient d’autant plus pleinement HOMME qu’en lui, DIEU reste pleinement DIEU, sans mélange du divin et de l’humain, ce qui composerait une sorte de chimère abominable et qui surtout nous laisserait prisonniers des fantasmes humains sans pouvoir les dépasser. Cette rencontre nuptiale de l’humanité avec DIEU s’opère en Christ sans que ni DIEU ni l’HOMME ne se fondent l’un en l’autre, ne fusionnent l’un et l’autre mais goûtent à la joie de l’accomplissement d’une rencontre pleinement LIBRE, d’une reconnaissance mutuelle, d’une AMITIÉ mutuelle que le péché avait rendue inespérée mais que la miséricorde a rendue néanmoins possible à nouveau.
Alors vous me direz : et la Nuée dans tout ça ? Eh bien la Nuée, c’est le prémice de cette rencontre dans la mesure où DIEU, on l’a dit à la fin de notre lecture du Livre de l’Exode, fait le premier pas. Il se rend présent à son peuple de manière VISIBLE, sachant que cette visibilité ne conteste en rien toute la part infinie et invisible qui est en DIEU. On pourrait presque dire que la Nuée, c’est le CORPS vivant que YHWH se donne dans la Création, un corps qui n’a rien à voir avec les anthropo-zoomorphismes des autres religions, mais un corps qui n’en est pas moins le signe visible d’une réalité invisible, c’est-à-dire le SACREMENT de YHWH. Dit autrement, l’infinie réalité de YHWH ne s’épuise pas dans le corps visible de la Nuée, mais néanmoins, ce corps SIGNIFIE, c’est-à-dire qu’il est le SIGNE de sa Présence réelle, de sa SheKhiNaH au milieu de son peuple. Et ça va encore plus loin si on tient compte du fait que, pour le Targum, la Nuée devient le support de la MeMRaH, du Verbe de YHWH : « Sur la bouche de la MeMRaH de YHWH, les Fils d’Israël partaient et sur la bouche de la MeMRaH de YHWH ils campaient. » (Targ Jon Nb 9,18) Donc on peut dire que dès Moïse, YHWH, en la personne de son Verbe, prend corps au milieu de son peuple ; ce qui est évidemment, dans une lecture chrétienne, la figure de l’incarnation de ce même Verbe en la personne de Jésus, quand les temps seront accomplis et que les Noces tant attendues entre YHWH et sa Création pourront enfin se réaliser. Alors bien entendu, jamais un Juif ne pourra valider ce que je viens de dire, mais il n’empêche que lorsque les chrétiens affirment qu’en Jésus, le Verbe de DIEU s’est incarné, ils ne font que pousser jusqu’au bout ce qui commence là, avec la Nuée Lumineuse par laquelle la MèMRaH de YHWH se rend visible aux yeux du peuple ! Jusqu’à présent, tout se passait en haut de la montagne, dans les sphères élevées pour ainsi dire ; maintenant, la Nuée du sommet est descendue pour se tenir au milieu de son peuple et se mettre en marche avec lui.
Alors maintenant, le ch. 10 nous parle de trompettes pour convoquer le peuple au départ qui se fait imminent. Des trompettes d’argent moulées d’un seul tenant, dit le texte, MiQeShâH qui ne veut pas dire « repoussé » mais « moulé », comme pour la MeNoRaH, et puis aussi les KéROuBîM autour de l’arche étaient moulés en or. Disons pour faire bref que ce sont des trompettes liturgiques, sonnées par les prêtres, dit le v. 8, qui convoquent d’une part le peuple à l’entrée du Sanctuaire — avec une seule sonnerie ; et d’autre part les autorités du peuple auprès de Moïse — avec deux sonneries. Et puis accompagnées de cris d’acclamation, voilà qu’elles sonnent l’ébranlement de la marche, selon chaque ensemble. Alors si vous lisez attentivement, vous verrez qu’il manque les tribus de l’Ouest et celles du Nord, mais les targums corrigent ce manque. On verra plus tard que ces trompettes auront un rôle guerrier, mais pour l’instant, elles indiquent que c’est une procession d’un seul tenant qui s’ébranle.
Alors là encore, on imagine mal d’un point de vue factuel qu’on moule des trompettes avec tout le reste en plein désert ! Encore un indice de la rédaction tardive, mais il n’empêche : ce qui nous est dit là, c’est que le peuple part pour la Terre de la Promesse en grande procession, cette Terre qui sera le lieu où pourront être offertes les Offrandes et où le peuple se réunira pour s’élever dans la sainteté vers YHWH. Il ne s’agit pas en soi d’un peuple guerrier mais d’un peuple SAINT, le peuple appelé à l’union nuptiale avec YHWH pour manifester aux nations du monde entier la véritable nature du DIEU créateur et sauveur.
Par ailleurs, on ne retrouvera quasiment pas ces trompettes d’argent par la suite. Ça ne veut pas dire qu’on ne retrouvera plus de trompettes, notamment dans les écrits sacerdotaux comme les livres des Chroniques, mais il ne s’agira pas de CES trompettes d’argent là. Dans les moments de combats, c’est le ShoPhaR, la corne de bélier, qui sera employé. Même au v. 9, en cas d’attaque d’un ennemi, la sonnerie de ces trompettes ne sont pas là pour lancer l’assaut mais pour en appeler à YHWH pour qu’Il fasse mémoire de son peuple et que, du cœur de cette mémoire, il donne à son peuple le courage de viser la victoire. On le verra d’ailleurs souvent au cours de l’histoire biblique : à part le moment de la sortie d’Égypte, jamais YHWH ne combat à la place de son peuple. Quand il le SAUVE, c’est toujours en lui redonnant la hardiesse nécessaire pour ne pas faillir. YHWH ne se comprend pas comme un dieu providence, une sorte de Nanny God comme disent les anglophones, un dieu nounou qui, dans le fond, asservirait son peuple en le maintenant esclave d’une sphère maternante ! Rien de ça ici ! Ces trompettes sont celles de la mémoire pour que jamais Israël n’oublie qu’il subsiste pour toujours dans le cœur de YHWH et trouve dans cette mémoire le courage d’affronter le monde comme un MiDeBaR afin d’y faire germer la vie. Dit autrement, c’est une sorte de trompettes mythiques auxquelles toutes les sonneries de l’histoire se rattacheront d’une manière ou d’une autre, mais c’est pour élancer Israël à tenir sa place dans le monde, raison pour laquelle elles relèvent d’une institution perpétuelle comme l’indique le v. 8.
Enfin voilà. Ouf ! Maintenant, tout est prêt, on va pouvoir partir ! ceci dit, le peuple n’est pas au bout de ses peines, mais nous verrons ça la prochaine fois. Je vous souhaite d’ici là une bonne lecture de tout ce passage. Je vous remercie.
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