17-09-2017

[Nb] 23 - Les explorateurs

Numbers 13:1-33 par : le père Alain Dumont
YHWH a mené les Fils d’Israël à la frontière de KaNa“aN, et voilà qu’Il les met à présent en face d’un choix : une fois la terre explorée, que ferez-vous ? Jusqu’à présent, Moïse avait pris les affaires en main, mais maintenant, au peuple de devenir adulte ! Ça ne va pas être simple…
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/nb-23-les-explorateurs.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons le ch. 13 du livre  des Nombres et enfin ! Enfin ! Nous arrivons à la frontière de la Terre Promise, par le désert du NèGèV, donc par le sud. Ceci dit, j’aimerais tout de même revenir quelques instants sur la faute de Myriam pour que nous comprenions bien ce qui se passe avec ces deux chapitres 12 et 13. Je vous parle depuis plusieurs vidéos d’un rédacteur — ou d’une école de rédaction : quand on parle « du rédacteur », c’est un éponyme pratique, comme on parle « du psalmiste » pour désigner entre autres David, mais aussi avec lui tous les compositeurs des Psaumes — ; donc je vous parle depuis plusieurs vidéos d’un rédacteur sacerdotal et d’un autre de l’école deutéronomiste, or l’un comme l’autre, ou les uns comme les autres, écrivent peu ou prou à l’époque de l’Exil, ce qui veut dire qu’en rapportant des événements restés gravés dans la mémoire de la tradition mosaïque, ils ont un message à faire passer à leurs contemporains. Un message qui est d’autant plus performant qu’il est RACONTÉ ! Qui est Myriam donc sinon la première des prophètes après Moïse — tiens, une femme, comme quoi la Bible n’est peut-être pas si misogyne qu’on croit — ; or si un prophète, en l’occurrence pour ainsi dire la mère de tous les prophètes, s’oppose à Moïse, que va-t-il se passer ? Eh bien elle va entraîner le peuple derrière elle et les plus grandes catastrophes vont s’abattre sur le peuple divisé ! C’est exactement ce qui s’est passé après la mort de Salomon où un prophète sorti d’on ne sait où va trouver YoRoVe“aM, Jéroboam, un serviteur de Salomon, pour l’exhorter à se séparer de Jérusalem et à fédérer les 10 tribus du Nord contre les deux — ou trois si on compte les LéVîiM — tribus du Sud ! Or se séparer de Jérusalem, fut-ce pour des raisons légitimes, c’est mettre en cause Moïse ! Ça ne sera pas sans poser de graves problèmes pour la suite : opposition des royaumes, opposition des lieux de cultes, etc. On verra ça en son temps. Toujours est-il qu’à partir de là, la catastrophe est lancée jusqu’à l’Exil, suivi d’un retour où les MÊMES questions se poseront : la survie d’Israël passe-t-elle ou non par Moïse ? Faut-il garder toute la ToRaH ? Faut-il même rentrer en Terre d’Israël ? Les prophètes, encore eux, semblent encourager le retour, mais dans quelles conditions ? Eh bien : on fait mémoire, et on écoute les histoires qui sont restées gravées dans la chair du peuple. Et on analyse, pour ainsi dire : quels ont été les événements marquants ? Quelles ont été les étapes qui ont fait grandir le peuple, et celles qui l’ont fait tomber ? Voilà le travail des rédacteurs, qu’ils soient sacerdotaux ou deutéronomistes, pour amener le peuple, de quelque génération que ce soit, à descendre en lui-même, en faisant ce travail intérieur que YHWH a commandé à ‘AVeRâHâM : LeKh LeKhaH ! Et c’est ce travail qui fait l’âme de tout juif jusqu’à aujourd’hui où tous se posent la question : « Faut-il que je monte en Israël ? » La question n’est pas différente de celle que pose MiReYâM ! Or le nœud de CE problème, qui est contemporain à chaque génération depuis Moïse, est tout entier contenu dans le récit du ch. 12 du Livre des Nombres que va maintenant prolonger le ch. 13… Et là, c’est tout le génie des rédacteurs que d’avoir pu mettre en mots LE NŒUD qui façonnera toute l’histoire de leur peuple, en l’enracinant dans son histoire, dans sa CHAIR. Un nœud qui se résume ainsi : maintenant que nous sommes à la frontière, nous voilà remis à NOTRE PROPRE choix ! Dans le fond, voulons-nous VÉRITABLEMENT monter sur cette terre ? Pas si sûr ! Et puis d’autre part, depuis la libération d’Égypte, avouons que toutes les grandes décisions ont été prises par Moïse : Il a fait sortir son peuple, il a fendu la Mer, énoncé le Décalogue et toutes les lois adjacentes, fait construire le MiShKâN, institué le sacerdoce, etc. Or MAINTENANT, c’est au peuple de se déterminer ; au peuple de prendre LUI-MÊME sa décision, ou de poursuivre l’œuvre de son père Moïse pour ainsi dire, ou de le tuer. On pourrait parler ici de l’Œdipe d’Israël !

En tous les cas, c’est à nouveau encore une épreuve qui se présente devant Israël et devant Moïse. Littéralement, le v. 1 dit : « Envoie pour toi des hommes explorer la terre de KaNa“aN que je donne aux Fils d’Israël » (Nb 13,1) Voilà : Moïse se voit imposer par YHWH d’envoyer des hommes pour faire l’exploration de la terre. Alors certes, elle est donnée, mais encore faut-il la conquérir, c’est-à-dire éprouver son désir de recevoir cette terre ! Parce que c’est bien beau de dire : « Je te donne cette terre ! », mais s’il n’y a pas de désir pour la recevoir, que faire ? Vous avez déjà essayé de donner un superbe violon, un Stradivarius, à un gamin qui ne rêve que de jouer de la batterie avec ses potes ? Il va s’en servir comme djembé, à moins de faire comme Jimi Hendrix… Bref. Donc il faut à tout le moins aller faire connaissance avec cette terre de sorte qu’un désir naisse d’y entrer. Cela dit, c’est vrai que si le peuple est dans le désert, c’est bien pour rejoindre la Terre Promise, mais pour l’heure, il semble encore que ce soit plus le projet de Moïse que celui d’Israël.

Donc on choisit jusqu’au v. 16 parmi les autorités du peuple — pas les mêmes qu’au ch. 1 ; par ailleurs, on sent qu’on a retrouvé ici la rédaction sacerdotale ! Une rédaction qui semble découvrir Josué puisque Moïse change son nom HOShé“a, « Salut », en YéHOShou“a, « YHWH est Salut » — qui au passage sera le nom du Christ, puisque Jésus est la transcription grecque de YéHOShou“a. La tradition deutéronomiste en avait fait son fidèle disciple dès le livre de l’Exode, rappelons-nous. Toujours est-il que Moïse les envoie du v. 17 au v. 20 explorer le pays. Alors je vous passe les diverses interprétations rabbiniques qui ne sont pas inintéressantes mais qui nous prendraient trop de temps. Néanmoins, c’est vrai que l’hébreu est surprenant au v. 20 puisque, littéralement, Moïse demande non pas s’il y a DES arbres, mais s’il y a UN arbre sur cette terre… Donc il ne demande pas, en soi, si la terre est fertile… il doit s’intéresser à autre chose, mais à quoi. Souvenons-nous ici du psaume : « Heureux l'homme qui n'entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs et ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la ToRaH de YHWH et murmure sa ToRaH jour et nuit ! Il est comme un arbre planté en plein courant qui donne du fruit en son temps et jamais son feuillage ne meurt ; tout ce qu'il entreprend réussira, YHWH connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se perdra. » (Ps 1,1-3.6) Et là, on a peut-être un indice intéressant : ce que demande Moïse de manière voilée, c’est de voir s’il y a UN JUSTE en KaNa”aN ou s’il n’y en a plus un seul. Autrement dit, cette terre est-elle une terre de justice ? Comme si Moïse disait : « Attention, vous avez droit à cette terre, mais si les hommes qu’elle porte sont des hommes de justice, s’il y a ne serait-ce qu’UN juste parmi eux, alors vous n’y avez pas droit ! » Dit encore autrement : cette terre ne peut appartenir QU’à des JUSTES ! D’où l’exigence qui est derrière la conquête et qui repose sur Israël pour toutes ses générations : Israël doit lui-même et en premier être un peuple de JUSTES, c’est-à-dire capable d’engendrer des justes en son sein, avec ce corollaire qui impose qu’Israël ne saurait conquérir une terre en supplantant un autre peuple capable d’engendrer des justes.

Le problème, c’est que les explorateurs soit ne comprendront pas le message, soit l’oublieront face à ce qu’ils vont pouvoir observer. À partir du v. 21, ils partent donc en exploration pour 40 jours : ils traversent le désert de TsîN puis celui du NèGèV — là, on est vraiment au sud du pays ; jusqu’à ReH.oV, c’est-à-dire jusqu’aux sources du Jourdain au Nord, et même au-delà puisqu’on situe HaMaT sur l’Oronte, c’est-à-dire au Sud Ouest de la Syrie. Subtilement, on est en train de nous dire qu’ils ont évidemment parcouru le territoire du Grand Israël, celui de David et de Salomon, mais dans les faits, la tradition retient qu’ils ont surtout été voir ce qui se passait dans les environs de HèVeRON — Hébron —, c’est-à-dire dans les montagnes de Juda à environ 40km au sud de URuShaLîM, la future Jérusalem. C’est d’ailleurs principalement là que Moïse les envoie à bien lire le v. 17. Et ça n’est pas étonnant si on se souvient que HèVeRON est un des lieux où, après la mort de AKhéNaToN, se sont réfugiés les exilés à cause de la faute, les iisii-r-iar, à savoir ceux qui avaient travaillé à l’édification de ‘Èl-Amarna, la nouvelle capitale du Pharaon. Là je vous renvoie à tout ce que nous avons dit à propos des vidéos d’introduction à la vie de Moïse. Du coup, on comprend mieux sa requête concernant l’arbre, c’est-à-dire le JUSTE, parce que si un patriarche est traditionnellement appelé Ha-TsaDiK, le Juste, c’est précisément Joseph. Donc Moïse, qui connaît parfaitement cette histoire en tant que détenteur agréé de la mémoire de Joseph — rappelez-vous qu’il a été grand administrateur du sanctuaire de Joseph-Aménophis, on n’y revient pas —, dit aux explorateurs : allez voir s’il reste des hommes attachés à Joseph capables de nous accueillir ! Donc les explorateurs montent, et qui trouvent-ils à HèVeRON ? Des descendants d’un certain “aNâQ que le v. 33 appellera les NePhîLîM, du verbe NâPhaL qui signifie « tomber » : les NePhîLîm, ce sont les « tombeurs », ceux qui font tomber leurs ennemis en quelque sorte. On retrouve les NePhîLîM dans le livre de la Genèse, comme des créatures d’avant le déluge et revêtus de tous les fantasmes de force, de taille etc. D’où la traduction par « géants ». En tout état de cause, ce qui a dû se passer, c’est que les explorateurs ont tout simplement croisé des hommes de forte stature, du style de Goliath si vous voulez, et qu’ils se sont trouvés tellement dépourvus, tellement gringalets qu’ils les ont assimilés aux géants de la légende antédiluvienne. Inutile d’aller chercher tellement plus loin, d’autant que Moïse n’en fera aucun cas.

Pour en rester à nos versets 22 et suivants, on constate que rien n’est dit de HèVeRON comme du lieu où sont enterrés les Patriarches. Alors la tradition rabbinique comblera cet oubli malheureux en racontant que Josué et Caleb iront précisément à HèVeRON en pèlerinage au caveau patriarcal, mais quoi qu’il en soit, le texte n’en dit mot. Ce qui importe, c’est qu’ils poussent un peu plus haut, jusqu’au val de ‘ÈShKoL, c’est-à-dire le « Wadi de la grappe » qu’on situe habituellement à environ 3km au Nord de HèVeRON et qui est encore aujourd’hui une région réputée pour ses vergers. Les explorateurs tranchent un sarment bien fourni, tellement gros qu’ils doivent s’y mettre à deux pour le trimballer, ainsi que des fruits de l’endroit. Bref. Toujours est-il qu’ils reviennent avec ce butin et font leur rapport. Or c’est là que le bât va blesser, parce qu’ils vont rapporter que certes, la terre est magnifique, mais elle est habitée par des géants dont les villes sont fortifiées, sans parler des ennemis d’Israël qui parsèment le territoire au milieu de la population autochtone. Par ailleurs, rien n’est dit concernant le fameux JUSTE dont Moïse avait demandé de regarder s’il en restait un sur le territoire… Faut-il en conclure qu’il n’y en a aucun ? Auquel cas c’est précisément le signe que la terre est ouverte à l’occupation des Fils d’Israël pour devenir une terre de justice. Alors qu’est-ce qu’on va faire ?

On remarque, soit dit en passant, que ni dans le discours de KâLéV, ni dans celui des autres, il n’est question de YHWH qui les laisse ici à leur libre arbitre. Et là, forcément, c’est plus dur ! Parce que comme dans tout peuple, il y a les pour et il y a les contre ! Il y a les enthousiastes et il y a les timorés ! Et en général, les timorés ont largement tendance à jouer avec les fantasmes des populations ! Du coup, parler les NePhîLîM ne va pas être pour rassurer le peuple ! Alors ? Eh bien nous verrons la prochaine fois ce que décideront les Fils d’Israël et qui ne sera évidemment pas sans conséquence. D’ici là, je vous souhaite une bonne lecture de ce ch. 13. Je vous remercie ! 
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