10-12-2017

[Nb] 43 - L'ânesse de BiLe”âM

Numbers 22:22-41 par : le père Alain Dumont
Voilà bien un récit étrange : l’ânesse de BiLe”âM voit un ange leur barrer la route, mais BiLe”âM la frappe jusqu’à ce que YHWH la fasse parler pour rendre le devin à l’évidence : il ne pourra pas maudire ce que YHWH a béni.
Duration:19 minutes 33 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/nb-43-l-anesse-de-bile-am.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous poursuivons la lecture de la saga de BiLe”âM, ce devin qui parle avec YHWH son ‘ÈLoHîM et à qui BâLâQ, le roi de MO’âV, ordonne de maudire Israël. Et donc, on se souvient : YHWH — qui parle effectivement avec lui comme il parle avec Moïse, lui dit : « Puisque ces hommes sont venus t’appeler, lève-toi, va en leur compagnie et la parole que je te parlerai, tu la feras. », c’est au v. 20. Du coup, BiLe”âM fait son paquetage et on est surpris de l’échauffement de la narine de ‘ÈLoHîM au v. 22 : « Et [voilà que] la narine de ‘ÈLoHîM brûle parce que [BiLe”âM] s’en va ! » (Nb 22,22) Ah bon ? Mais il vient Lui-même de lui dire de partir ! On se repose la question : YHWH serait-il versatile ? Sauf qu’à lire le texte dans toute sa subtilité — et c’est là que connaître un peu l’hébreu est tout de même utile —, on s’aperçoit que YHWH a permis à BiLe”âM de partir « en compagnie », ‘iTTâM, des émissaires, alors que le v. 21 dit que le lendemain, BiLe”âM part “iM ShâRéY MO‘âV, « avec les chefs de MO’âV » dans le sens d’une association, comme dans “iMMâNOu-‘ÉL, Dieu est avec nous. Autrement dit, BiLe”âM a épousé les vues des émissaires ! Et là on comprend la fulmination de narines de YHWH : YHWH n’a pas dit à BiLe”âM de devenir un collaborateur, mais simplement de prendre la route en les suivant ! Celui qui est versatile, ça n’est pas YHWH mais BiLe”âM qui, en définitive, n’en fait qu’à sa tête… D’où l’intervention de l’Ange qui va suivre. Ceci dit, depuis le v. 1, le récit nous dit une chose importante : peut-être est-ce BâLâQ qui convie BiLe”âM, mais au final, c’est bien YHWH qui l’envoie ! Dit autrement, BâLâQ croit que BiLe”âM répond à sa requête alors qu’en réalité, dès le début, c’est à YHWH que le prophète obéit !

Et donc commence au v. 22 une nouvelle section, jusqu’au v. 35, où on va un peu rigoler sur le même mode d’humour que pour l’histoire du prophète Jonas. On a compris pourquoi les narines de YHWH se mettent à fulminer et le verset nous raconte alors qu’un Messager — un Messager, MaLe‘aKh en hébreux — de YHWH fait barrage à BiLe”âM, le glaive à la main ; sauf que BiLe”âM ne le voit pas, à la différence de son ânesse qui, elle, fait tout ce qu’elle peut pour l’éviter, jusqu’à écraser le pied de BiLe”âM en frôlant un mur ; dès qu’elle fait un pas à gauche, le Messager est là ; dès qu’elle fait un pas à droite, rebelote, etc. C’est assez bien écrit. Du coup, l’ânesse se couche, provoquant la fureur de son maître qui commence à la frapper de rage.

Alors si on essaie d’analyser un peu les affaires, quand on entend ce genre de récit faisant intervenir un Messager de YHWH avec un glaive, on est sûr d’avoir affaire à un texte tardif, datant de l’Exil. Avant, parler du Messager de YHWH, c’est parler de YHWH en personne qui, malgré sa transcendance, se donne à voir et à entendre comme avec la Nuée Lumineuse ; mais à partir de l’Exil, sans doute en lien avec la culture babylonienne puis la culture perse, on voit apparaître des créatures spirituelles qui agissent au nom de YHWH mais qui ne sont pas YHWH en personne, qui l’entourent, qui le chantent ou qui portent ses messages. C’est comme ça par exemple qu’apparaît le Messager qui garde l’entrée du jardin d’ÉDèN, ou celui qui barre la route à l’ânesse de BiLe”âM. Ils n’ont pas de nom particulier — sauf bien plus tard ceux qu’on appellera communément les “archanges” dans la tradition chrétienne — et ils ne font jamais rien en propre : ils sont là pour obéir à YHWH et intervenir le cas échéant dans le monde matériel en son Nom. Rien ne dit par ailleurs qu’ils aient forme humaine, et surtout pas avec des plumes ! Enfin, quoi qu’il en soit, le Messager intervient ici pour sauvegarder la transcendance de YHWH, surtout face à un païen. Ce serait lui faire trop d’honneur et surtout lui donner un poids sans commune mesure face à Israël.

Donc BiLe”âM ne comprenant pas le comportement de son ânesse commence à s’énerver sur elle et voilà qu’elle prend la parole, ce qui ne semble pas surprendre BiLe”âM qui est sans doute familier de ces choses étranges. Alors c’est là qu’on comprend que c’est une fable : jamais ailleurs dans la Bible on ne nous parle d’un animal qui parle. Je veux bien que les rabbins invoquent ici le miracle, mais bon : quand on voit leurs réticences à ce genre d’argument facile partout ailleurs, on ne voit pas pourquoi tout à coup il aurait droit de cité ici. Ceci dit, si ce petit conte est là, c’est qu’il a quelque chose à dire, notamment à travers l’ânesse qui se plaint en disant : « Pourquoi me frappes-tu ainsi de ShaLoSh RéGaLîM » qu’on traduit habituellement par « trois fois », mais qui, littéralement, laisse entendre : « Pourquoi frappes-tu mes trois pèlerinages ? ». Eh oui : ShaLoSh RéGaLîM, c’expression qui désigne traditionnellement les trois fêtes majeures d’Israël où le peuple vient en pèlerinage célébrer la bénédiction de l’Alliance ! Étrange formule ! À moins que le conte ne soit en train de nous glisser que l’ânesse représente en fait Israël — ce qui n’est en rien dépréciatif puisque l’âne est une monture noble : c’est sur le dos d’une ânesse que le Messie est attendu à Jérusalem — : Israël, donc, qui voit ce que les païens ne voient pas ; qui entendent ce que les païens n’entendent pas ; qui porte les nations mais que les nations veulent battre en le frappant dans ce qui constitue sa mémoire et sa force à travers les trois fêtes de pèlerinage annuelles : PessaH. — la Pâque —, SouKOT — la fête des Tentes — et ShaVOu“OT — la fête qui célèbre le don de la ToRaH. Bref, si BiLe”âM voulait maudire Israël, il ne s’y prendrait pas autrement. Sauf que là, le voici comme pris en tenaille entre YHWH et Israël et il va vite comprendre qu’il ne maîtrise pas la situation ! Et c’est bien ça, dans le fond, que le conte nous dit : si YHWH est capable d’ouvrir la bouche d’une ânesse, comme dit le v. 28, combien plus saura-t-il ouvrir celle de BiLe”âM qui, pris entre YHWH et Israël, ne dira pas autre chose que ce que YHWH lui ordonnera de dire ! En substance : « Tu as cru que Je te laissais partir pour que tu puisses dire n’importe quoi ? Sache que mes Messagers se posteront là où tu ne les attendras pas, là où, tout prophète que tu sois, tu ne les verras pas, car YHWH empêchera quiconque de contredire sa Parole souveraine. C’est un coup dur pour BiLe”âM qui sait qu’il est un grand devin, mais qui est rabattu ici au même niveau que BâLâQ dont il a cru être autorisé à épouser le combat, mais qui ignore YHWH ; ici, BiLe”âM ne l’ignore pas, mais YHWH n’est pour lui qu’une idole parmi d’autres ! Raison pour laquelle il ne le voit pas alors même que l’ânesse — c’est à dire Israël pour qui YHWH est le Dieu Unique — alors même, donc, que l’ânesse, elle, Le reconnaît. Une manière plaisante de dire : « Tu te prends pour un grand prophète, mais tu n’es même pas capable de voir Dieu qui est juste devant toi ! »

Alors maintenant, revenons un peu à BâLâQ et posons-nous la question : quelle est, en définitive, cette bénédiction en faveur d’Israël qu’il voudrait tant contrer par une malédiction ? Il ne s’agit pas d’une bénédiction qu’Israël « aurait » ; il ne s’agit pas d’un « avoir » mais d’un « pouvoir », non pas au sens d’un pouvoir qu’on « aurait » puisque ce serait à nouveau retomber dans le fantasme de l’avoir, mais d’un « pouvoir » au sens d’une CAPACITÉ, d’une dynamique ! Comment dire ? Vous prenez ‘AVeRâHâM : ce qu’il vit témoigne de la bénédiction de YHWH : il entre dans une dynamique de vie et d’emblée, le récit montre que les nations en sont jalouses. C’est encore plus vrai en ce qui concerne YiTseRâQ : quand il s’installe chez les Philistins, à un moment, ils lui disent : « Ça va, ça suffit, tu es “trop” béni, ça marche trop bien pour toi, va-t’en ! » C’est en Gn 26, v. 16. Du coup, on est obligé de se poser la question : de quelle bénédiction la ToRaH parle-t-elle ? Ça n’est pas une bénédiction qui dirait : « Voilà, vous allez tout réussir, vous serez toujours puissants, toujours les meilleurs, etc. » Ça n’est pas, encore une fois, de l’ordre de l’avoir comme si la bénédiction consistait à avoir en soi une sorte d’ « objet bon ». C’est plutôt un rapport à l’être divin qui se transmet au fil des siècles et qui fait que dans ce rapport, celui qui est béni trouve des points d’appui, des points d’amour. Même dans la détresse, dit la bénédiction, il y aura du rebond, il y aura de la ressource. Voilà, c’est ça la bénédiction de YHWH, et c’est juste prodigieux parce que ça n’a rien à voir avec cet assistanat qui demeure le fantasme d’un esprit plus superstitieux que véritablement religieux : combien de fois ai-je vu dans certaines familles la statue d’un saint tournée face contre mur parce qu’il n’avait pas répondu à la prière que la famille lui avait faite ? Et je ne vous parle même pas du XXe siècle, mais du XXIe ! C’est tout ce qui fait la force d’Israël aujourd’hui, ne serait-ce que culturellement parlant : là où pendant deux millénaires, les Bédouins n’ont pas changé leur mode de vie d’un seul poil et n’ont jamais travaillé la terre qu’ils avaient sous leurs pieds — ça n’est pas un reproche : c’est qu’ils n’avaient justement pas cette ressource intérieure qui leur permette d’espérer faire jaillir la vie en plein désert en retroussant les manches — ; eh bien là, sur ce même MiDeBaR, aujourd’hui les forêts repoussent parce qu’elles ont été plantées ; des champs, des vignes, des cultures poussent en plein désert, pourquoi ? Parce qu’Israël se sait revêtu de cette bénédiction de YHWH, qui encore une fois n’est pas un « avoir » mais une force tout entière tournée vers la Vie. Ça ne fait pas d’Israël un peuple « meilleur » que les autres, on l’a dit ; mais ça fait d’Israël le témoin d’une bénédiction contre laquelle tous les BâLâQ et tous les BiLe”âM de la terre ne pourront rien faire parce que cette bénédiction n’est pas manipulable : personne ne manipule YHWH dont la Parole, encore une fois, est souveraine ; une parole qui donne la vie, qui rend vivant ; une bénédiction qui fait voir ce que les nations ne voient pas ; qui fait espérer ce que les nations n’espèrent pas, et qui met en marche vers une destination de vie que les nations n’imaginent pas. Dit autrement : les nations rêvent d’installation, Israël, lui, espère une élévation. Voilà la bénédiction qui rend ce peuple tellement vivant que les nations le trouvent arrogant, insupportable et qu’elles ne rêvent que de détruire pour ne pas avoir à suivre qui que ce soit d’autre qu’elles-mêmes. C’est la dimension douloureuse du messianisme véritable : on retrouve là tous les ingrédients qui feront mettre le Christ Jésus en Croix.

Toujours est-il que YHWH ouvre les yeux de BiLe”âM qui voit enfin l’ange, le messager, et qui lui dit : « Je ne savais pas que tu étais là ! » Tu parles d’un devin ! On voit bien que le rédacteur se moque de lui. Alors le Messager lui répond : « C’est moi qui suis sorti en SsâTâN car la route s’effondre vers moi ! », c’est-à-dire qu’elle s’arrête à lui ; pas question pour BiLe”âM de faire un pas de plus dans la direction qu’il se sera lui-même donnée ! Le SsâTâN, dans la Bible, c’est l’accusateur au sens de celui qui éprouve, sans que ce soit nécessairement négatif : en l’occurrence ici, il est au service de YHWH et d’Israël son peuple ; il parle même au nom de YHWH, c’est dire ! Et BiLe”âM de lui répondre : « D’accord ! Si ça te déplaît que j’aille, je vais retourner ! » Là, on entend le magouilleur, le roublard qui joue au soumis alors qu’il n’en fait qu’à sa tête ! Alors le Messager lui répond en reprenant les paroles mêmes de YHWH : « Non, tu iras, mais tu feras la parole que je te parlerai. » au v. 35. Et bing, encore un coup sur BiLe”âM : « Tu croyais parler à ‘ÈLoHîM en personne lorsque tu étais chez toi ? En réalité, ce n’était qu’un de ses Messagers, comme celui qui se présente devant toi et qui te barre la route à présent ! Pour qui tu te prends ? » Donc là, on nous dit simplement que si YHWH lui a donné la route, comme on dit en Afrique, ça n’est pas pour un blanc-seing. Les Messagers ont tout pouvoir pour l’arrêter dès que nécessaire, alors attention ! Le voilà prévenu ! Sur ce, la route lui est redonnée jusque vers BâLâQ.

Alors évidemment, en attendant, BâLâQ s’impatiente : « Qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt ? », et BiLe”âM de lui rétorquer : « De quoi tu te plains ? Je suis là maintenant, mais les paroles que ‘ÈLoHîM mettra dans ma bouche : voilà ce que je parlerai » et rien d’autre ! Le lendemain, le roi offre des sacrifices qu’il partage avec tous ses chefs avant de monter avec BiLe”âM sur la hauteur — un lieu-dit : BaMoT-Ba“aL, c’est-à-dire les Hauts-Lieux de Ba“aL, manière de laisser entendre que le véritable combat sera entre Ba“aL, l’idole, et le vrai Dieu, YHWH. Voilà : tout est en place. Le premier oracle va tomber que nous verrons la prochaine fois. D’ici là, je vous souhaite une bonne lecture de cette deuxième partie du ch. 22 du livre des Nombres. Je vous remercie.
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