17-01-2018

[Nb] 46 - Se préserver des nations alentour !

Numbers 25:1-17 par : le père Alain Dumont
Voici un court chapitre assez violent mais aux enjeux essentiels : le peuple peut-il manger et sacrifier aux idoles de MO’âV ? Et que faire lorsque jaillit un anarchiste qui nargue brutalement Moïse au su et au vu de toute la communauté en prière ?
Duration:30 minutes 49 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons le ch. 25 du Livre des Nombre, un ch. assez court et d’une violence certaine, mais en même temps livrant des éléments assez cruciaux concernant la vie et la pérennité du peuple d’Israël. D’abord le récit des v. 1 à 5. Il touche au problème de fond qui accompagnera Israël pendant toute son histoire à partir de Salomon. Alors je vous rappelle : autant David reste le Roi fidèle au Dieu de Moïse, autant Salomon, alors même qu’il aura bâti le temple de YHWH — sur les instructions de son père, s’empresse de préciser l’auteur sacerdotal des Livres des Chroniques pour qui il n’y a eu en tout et pour tout qu’UN SEUL véritable roi fidèle, à savoir David — ; donc autant David reste le Roi fidèle au Dieu de Moïse, autant Salomon va tomber dans l’idolâtrie, fut-ce pour des raisons tout à fait légitimes d’un point de vue purement diplomatique à l’époque. Ce sera d’ailleurs aussi le problème de Shâ’OuL, le tout premier roi d’Israël : YHWH lui demande une chose, il en fait une autre pour des raisons politiquement légitimes et hop : il est mis de côté au profit de David ! Et puis évidemment, il y aura le problème de l’Exil ! Pourquoi, au VIe siècle avant J.-C., Babylone va-t-elle être victorieuse au point de rayer de la carte ce qui restait d’Israël après le passage des Assyriens, à savoir le royaume de Juda : YHWH aurait-il brisé l’Alliance avec Moïse ? Et si c’est le cas, pourquoi, sinon parce que le peuple se prosternait devant les idoles du pays ? Or on sait que dès Salomon, ces idoles ont été introduites par l’intermédiaire de femmes étrangères dans le peuple ! À part deux ou trois exceptions, la plupart des rois qui ont suivi n’ont pas été fidèles à YHWH, et les divinités païennes ont pollué la vie du peuple qui s’est peu à peu détourné de YHWH, d’où l’Exil ! Et une fois qu’on a été déporté, qu’est-ce qu’on va faire ? Eh bien on va écouter la mémoire, notamment à travers des prophètes comme Ézéchiel, ou Osée, et on va faire en sorte que le peuple revienne à YHWH. Comment ? Eh bien PAR L’EXEMPLE ! Par les CHEFS, précisément, de sorte que le peuple à son tour s’engage sur le chemin de la conversion. Et c’est ainsi qu’au moment du retour, quand Esdras revient à Jérusalem, première chose : en tant que Chef attaché à la ToRaH de Moïse, il casse les mariages mixtes qui ont pu être contractés pendant les 50 années de crise ! Non pas parce qu’il serait méchant, mais parce que la mémoire de la ToRaH vit en lui et qu’il sait qu’il faut couper dans le vif de l’idolâtrie si on veut avoir quelque chance de ne pas perdre une nouvelle fois la grâce de YHWH qui a permis ce retour d’Exil ! Or cette mémoire, nous dit le rédacteur du Livre des Nombres, s’enracine en Moïse. Dès les premiers temps, donc, la question s’est posée, non sans douleur.

Et là, autant admettre que les termes sont d’une rare violence : on pend les chefs — YâQa“, c’est pendre et non pas “empaler” comme on lit dans certaines traductions ; quoiqu’en même temps, ça ne soit pas tellement moins cruel : il s’agit de pendre au sens où on disloque la tête du reste du corps ; c’est une peine de mort exceptionnelle : on ne le croise pas plus de trois fois dans toute la Bible, c’est dire la gravité de l’événement —. Alors pourquoi pend-on ces chefs ? Mais parce que là où vont les chefs, là va le peuple ! C’est comme ça dans TOUTE l’Antiquité, y compris l’antiquité biblique ! Et ça marche dans tous les sens : si un chef païen se convertit à YHWH, tout le peuple se convertit à YHWH ; et si un chef d’Israël se met à adorer Baal, tout le peuple dont il a la charge se met à adorer Baal ! On aura ça bien plus tard encore avec Clovis : Clovis devient chrétien, et toute sont armée devient chrétienne ! Et ça ne pose aucune difficulté ! Donc ici, puisque le peuple fornique avec les filles de MO‘âV, la responsabilité retombe les chefs ! Rien de plus normal ! Donc on pend les chefs au su et vu de tout le peuple et on passe en jugement tous les hommes qui ont préféré le joug du Ba“aL -Pé“OR, du Maître de Pé“OR, c’est-à-dire de la montagne où BâLâQ a emmené BiLe”âM pour la troisième tentative d’imprécations contre Israël, au ch. 23 ; ou si on le lit dans la tradition du prophète Osée : le Ba“aL, c’est l’Amant de Pé“OR, c’est-à-dire celui qui a fait commettre l’adultère à Israël que YHWH aime comme un Époux aime son Épouse, c’est-à-dire est fidèle au contrat d’Alliance tranché avec elle. Et cette fois, pas question pour YHWH de susciter l’intercession de Moïse ! C’est aussi enflammé que pour le taurillon d’or, sauf peut-être qu’ici, seule une partie du peuple est engagée !

Alors on se dit : Wouaille ! C’est violent ! Et YHWH, c’est un Dieu comme ça ? Comment peut-il être le Dieu dont parlera Jésus comme d’un Père ? Est-ce qu’on ne tombe pas dans le fanatisme qui élimine tous les opposants pour le seul motif qu’ils ne pensent pas comme Moïse ? Difficile question, et même inextricable si on lit ce texte comme du journalisme ! Encore une fois, bis repetita, one more time : ces récits sont des récits fondateurs, des récits MYTHIQUES non pas au sens où ce serait une légende mais au sens où ils posent le cadre de vie du peuple : sortez du cadre et vous périrez comme périssent les nations ! Voilà ce que dit le texte ici ! Et à nouveau, la ToRaH est CHARNELLE : elle touche à la chair ! Si vous êtes révoltés, voire même effrayés à la lecture de ce chapitre, tant mieux : c’est le but ! Parce que comme ça, en particulier si vous êtes un fils d’Israël des générations à venir, vous ne vous amuserez pas à jouer avec les Baals, avec les amants qui entraînent loin de YHWH ! Et tant pis pour les « saintes-nitouches » qui rêveraient d’un dieu complaisant, débonnaire ou tout ce qu’on veut ; bref un dieu qui n’en serait pas un et qui ne donnerait aucun cadre : là est donné avec sévérité le cadre de la vie et celui de la mort : tu sors du cadre qui donne la vie = tu meurs, point final. Et tant qu’on n’est pas choqué charnellement, traumatisé presque, par la menace de cette mort programmée dès le moindre petit arrangement entre amants, c’est sûr qu’on partira flirter avec elle à la moindre occasion : c’est tout le rêve de mai 68 qui a transformé l’Occident en guimauve inconsistante en l’espace de deux générations, mais qui couve aujourd’hui une violence qui, faute de cadre, déborde dans l’anarchie la plus furieuse à côté de quoi la brutalité de notre chapitre fait office d’amateur ! Donc : vous êtes choqués par ces quelques versets ? Tant mieux, c’est fait pour : « Je mets devant toi la vie et la mort, choisis la vie ! » (Dt 30,19), dira la toute fin de la ToRaH ! Eh bien le ch. 25 du livre des Nombre explicite clairement ce que mourir veut dire, et ça n’a rien de drôle !

Et ça n’est pas fini : à partir du v. 6, voilà un épisode que tous les Juifs connaissent par cœur avec l’intervention du fameux PîNeH.âS, petit fils de ‘AHaRoN, alors même qu’un Fils d’Israël enragé dans le style des “femen” des années 2010 vient provoquer Moïse ALORS MÊME qu’il est en train de pleurer avec toute la communauté pour implorer la miséricorde de YHWH ! Il amène une femme madiânite du nom de KâZeBî, dévoile le v. 15, et entre dans son alcôve, dit pudiquement le texte : sauf que QouBâH, en hébreu, est le la même racine que QéVaH, le bas-ventre : dit autrement, pardonnez-moi la trivialité du propos, mais il la baise devant Moïse ! Là, on est au sommet de la provocation la plus agressive qui soit et j’espère que l’épisode vous saisit aux tripes comme elle saisit aux tripes PîNeH.âS au point qu’il prend une lance et transperce d’un seul coup les deux copulateurs, précisément au niveau du bas-ventre, là même où ils s’unissent ! Pffffui ! Or on s’aperçoit que c’est ce geste de PîNeH.âS qui fait cesser le fléau ; un fléau qui n’est pas nommé mais dont on peut imaginer que c’est celui d’un peuple qui sombre dans l’anarchie la plus totale, du style de la terreur de la Révolution Française : là il n’y a pas à tergiverser : il faut frapper au plus charnel pour enrayer ce mouvement de folie populaire qui entraîne dans la mort quelque 24 000 âmes, nous dit-on ! STUPÉFACTION ! 24 000, c’est le nombre requis pour bâtir le temple et pour défendre la terre, dira le Livre des Chroniques, comme si le peuple était en train de perdre toutes ses forces vives !!!

Alors maintenant, comment expliquer que le geste de PîNeH.âS fasse cesser le fléau ? L’expression est la même qu’au ch. 17, v. 12 où l’on nous disait que ‘AHaRoN avait dû courir au milieu de l’assemblée pour mettre l’encens sur un brasier de l’autel et faire le rite d’expiation : comme si ici le rédacteur nous disait que PîNeH.âS avait accompli un acte sacerdotal ! Alors non pas au sens d’un sacrifice puisque la ToRaH ne tolère pas les sacrifices humains, et de toute manière, le deux protagonistes étaient dans l’impureté la plus totale, donc sous tous les points de vue, aucune offrande n’est envisageable ici. Mais il n’empêche : c’est bien en tant que prêtre que PîNeH.âS intervient, et les v. 10-11 assimilent son acte à une intercession rendue d’autant plus nécessaire que toute la communauté était menacée ! Et ce geste fera que, de toute la descendance de ‘AHaRoN par son fils ‘ÈLé“âZâR, la lignée de PîNeH.âS obtiendra le sacerdoce à perpétuité : le premier livre des Chroniques en fera même l’ancêtre de TsâDOQ, au ch. 5. TsâDOQ, c’est le grand prêtre de l’époque de la fin du règne de David à partir de qui, en fait, l’office de Grand-Prêtre devient historiquement héréditaire. Sauf que pour fonder cette dynastie, eh bien on fait remonter l’ascendance de TsâDOQ jusqu’à ce fameux PîNeH.âS, c’est-à-dire jusqu’à la période mythique du désert avec Moïse. On y reviendra en son temps si Dieu nous prête vie. En tous les cas, le sacerdoce du Grand-Prêtre est vraiment présenté ici comme le rempart contre toute dérive idolâtrique, en lien avec le Roi et les prophètes dont il n’est ici pas encore question évidemment.

Alors c’est vrai que PîNeH.âS est en général complètement inconnu des chrétiens. Pourtant, il fait partie des figures essentielles de la tradition juive, au point qu’il sera plusieurs fois encore question de lui dans la mémoire d’Israël : on peut dire par exemple le Ps 106,21.24.28-31 : « Ils oublient le Dieu qui les sauve, […] Ils dédaignent une terre savoureuse, ne voulant pas croire à sa parole ; […] Ils se donnent au Baal de Pé“OR, ils communient aux repas des morts ; ils irritent Dieu par toutes ces pratiques : un désastre s'abat sur eux. Mais PîNeH.âS s'est levé en vengeur, et le désastre s'arrête : son action est tenue pour juste d'âge en âge et pour toujours. » Ou alors le grand panégyrique du Siracide (45,23-26) : « PîNeH.âS, fils d’Éléazar, est le troisième en gloire pour son zèle dans la crainte du Seigneur et parce qu’il a tenu bon, lors de la révolte du peuple, avec un noble courage ; c’est ainsi qu’il obtint le pardon pour Israël. C’est pourquoi le Seigneur conclut avec lui une alliance de paix : il l’établit chef du sanctuaire et du peuple pour qu’à lui et à sa semence appartienne à jamais la dignité de Grand Prêtre. Certes, il y eut aussi une alliance avec David, fils de Jessé, de la tribu de Juda. Mais l’héritage d’un roi passe à un seul de ses fils, tandis que l’héritage d’Aaron est pour toute sa semence. Que le Seigneur mette la sagesse en votre cœur, fils d’Aaron, pour juger son peuple avec justice, afin que les vertus de vos ancêtres ne disparaissent pas et que leur gloire se maintienne d’âge en âge. »

Alors maintenant, à propos de la question de la jalousie de YHWH, on en a déjà parlé à propos de l’épisode du Taurillon d’or en Ex 34 et à propos du ch. 5 du livre des Nombres. Rappelons seulement que cette jalousie est celle de l’Époux quand il est bafoué, à ne pas confondre avec le péché de jalousie qui consiste à manquer de confiance PAR PRINCIPE envers celui ou celle qui NE NOUS A PAS trompés ! Encore une fois, hors du cadre de l’Alliance et des Noces auxquelles prépare l’Élection, la jalousie de YHWH a toutes les allures d’un fanatisme ; mais remis dans son contexte et dans le but explicite de la joie à laquelle YHWH veut faire participer toute sa création, cette jalousie n’a rien de pécheresse, au contraire : elle est la condition d’un amour sérieux qui refuse de laisser l’autre se perdre en se rendant esclave volontaire de la mort en allant vers le premier amant qui se présente à lui. TOUT est en vue d’une vie qui se transmet de génération en génération, une vie porteuse de la mémoire d’un SALUT nécessaire et qui fait l’essence même de l’histoire de tout le genre humain convoqué à GRANDIR, et non à s’effondrer dans le mirage mortifère des idéologies d’un moment.

Du coup, évidemment, comme n’importe quel peuple qui tente de faire sa place au soleil des nations, eh bien on part faire la guerre aux Madiânites qui ont voulu perdre Israël sur le chemin des idoles ! Donnez des idoles à Israël et effectivement : en moins d’une génération, il se fondra dans le brouillard des nations et ce sera terminé ! Donc contre cette tentation, à l’époque mythique du désert, on mène combat ! C’est un combat spirituel qui se vit au plus concret de la chair de la communauté des fils d’Israël. Et attention de ne pas faire des Madiânites d’innocentes victimes ! Si ce n’est pas Israël qui gagne la guerre, ce seront les Madiânites qui gagneront et dans un cas comme dans l’autre, le perdant deviendra esclave ! Donc aucun de ces deux peuples n’est la victime de l’autre. Alors par ailleurs on sait que la belle famille de Moïse est Madiânite, et plus précisément des Qénites comme l’a rappelé le ch. précédent, sans doute pour marquer la différence et mettre ce clan à part de l’ensemble des Madiânites. Mais quoi qu’il en soit, ici, les Madiânites se sont comportés en idolâtres et en tentateurs : il n’en faut pas plus pour qu’une guerre soit déclarée, on a compris maintenant pourquoi : parce que c’est l’avenir qui est en jeu et c’est une véritable leçon de courage qu’en définitive, ce chapitre nous présente et présente aux générations qui suivront. Particulièrement évidemment les générations qui reviennent d’Exil et à qui le prêtre Esdras prendra le temps de proclamer l’ensemble de la ToRaH consignée désormais par écrit dans les rouleaux pour la lecture publique, une lecture d’autant plus nécessaire qu’elle façonne l’âme de cette communauté qui prend conscience qu’elle n’est pas seulement constituée de la foule réunie ici et maintenant, mais de toutes les générations qui la précèdent et qui lui succèderont, génération après génération.

Voilà, je vous souhaite une bonne lecture de ce petit chapitre. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie.
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