31-01-2018

[Nb] 47 - Un nouveau recensement avant de conquérir la Terre Promise

Numbers 26:1-64 par : le père Alain Dumont
Voilà le peuple en face de Jéricho, une génération après celle qui avait refusé d’entrer par le Sud : il est temps de songer à refaire un recensement et de songer à la répartition des tribus une fois le sol conquis.
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Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,
Nous ouvrons à présent le ch. 26 du Livre des Nombres et nous retrouvons le même genre de recensement qu’au ch. 1, signe qu’une nouvelle étape est en train de se franchir, ne serait-ce que parce qu’il s’agit de recenser une nouvelle génération des Fils d’Israël. Alors d’accord, ça n’est pas ce qu’il y a de plus stimulant à lire, mais enfin, on va essayer d’en décrypter quand même quelques éléments. L’objectif est toujours le même, bien que 38 ans plus tard : organiser la conquête de la terre de KaNa“aN non plus tant seulement sous l’aspect militaire — souvenons-nous au ch. 1 : on avait recensé ceux de 20 ans et plus, tous aptes à guerroyer — ; non plus tant seulement sous l’aspect militaire donc que sous celui, à présent, de l’OCCUPATION DU SOL. Il ne s’agit pas de faire la guerre pour faire la guerre : il faut ensuite habiter et administrer les territoires, sans quoi c’est une guerre injuste, une conquête de gloriole, pour le goût du pouvoir qui a peut-être motivé les guerres européennes au moins depuis la Révolution Française jusqu’aux guerres mondiales du XXe siècle — toutes exclusivement laïques soit dit en passant, comme quoi quand on nous rebat les oreilles d’une origine purement religieuse de la violence humaine, ça fait sourire… — mais cette notion de guerre idéologique est complètement étrangère à la ToRaH. Israël ne conquiert pas pour que les nations lui soient soumises et adoptent sa vision du monde, mais pour pouvoir RENDRE UN CULTE à YHWH sur LE lieu, HaMMâQOM en hébreu, que YHWH a Lui-même mystérieusement choisi. Un lieu qui va devenir, dans la tradition orale, celui vers lequel convergent tous les patriarches, depuis ’AVeRâHâM avec la ligature de YiTseRâQ jusqu’à Ya“aQoV lors du songe de Bethel ; pour ne rien dire de la Création elle-même dont la tradition veut qu’elle ait précisément commencé LÀ, avec ce LIEU qui n’est autre que le MONT SION, le mont de Jérusalem dont le sommet est ce fameux rocher recouvert par le Dôme islamique aujourd’hui. Ceci pour visualiser un peu les affaires.
Maintenant, on peut aussi entendre que, n’étant plus militaire, ce recensement est aussi celui des rescapés, des sauvés après près de 40 ans d’errance dans le désert. De ce point de vue, il fait penser à la liste des rapatriés de Babylone au temps de Zorobabel (Esd 2) : on est dans le même registre — et n’oublions pas que le livre des Nombre est rédigé pendant l’Exil ! Établir ces listes officielles — dont on peut croire qu’elles n’ont pas été rédigées sans avoir été d’une manière ou d’une autre authentifiées — ; Établir ces listes officielles donc permet de légitimer les questions de propriété au moment des litiges, on va y revenir un peu plus loin. Par ailleurs, ce recensement des sauvés fait aussi penser à celui des élus dans l’Apocalypse où l’on retrouve, avant la foule des nations, chacune des tribus d’Israël listées ici (Ap 7, v. 5-8). Et dans une lecture de foi, on se rend compte que le recensement du Livre des Nombres prépare mystérieusement le dénombrement ultime de la fin des temps, au moment où il s’agira d’entrer dans la véritable Jérusalem, la Jérusalem éternelle ; cette Jérusalem qui reste LE LIEU, la Montagne d’où tout a commencé et où tout doit s’accomplir.
Alors évidemment, maintenant, ça n’est plus à Moïse et ‘AHaRoN que Dieu parle puisque ‘AHaRoN est mort, donc c’est désormais à Moïse et ‘ÈLé”âZâR, le fils de ‘AHaRoN d’une part et d’autre part le père du fameux PîNeH.âS du chapitre précédent. Pour la toute première fois, le v. parle de YeRiH.O, Jéricho — enfin pas tout à fait puisque la cité a été mentionnée au ch. 22, mais maintenant, ça y est : on est tout près ! Juste au-delà du Jourdain ! Ceci dit, le Jourdain était beaucoup plus que le mince filet d’eau qu’il est aujourd’hui : c’était une vraie rivière, et sans doute le redeviendra-t-il dans les années à venir quand il sera moins nécessaire de pomper l’eau de la Mer de Galilée pour irriguer Israël grâce à la mise en place, entre autres, d’usines de désalinisation. Mais bon, c’est un autre problème.
Toujours est-il que hop, c’est donc parti pour le recensement avec le v. 4 et jusqu’au v. 51 : la liste suit l’ordre du premier chapitre, avec des chiffres de même grandeur, sans être complètement identiques — on est tout de même 38 ans plus tard ! Je vous ai fait ce petit graphique pour voir la différence d’un seul coup d’œil. On est vraiment dans les mêmes valeurs, si ce n’est l’effondrement du clan de ShiMe“ON. Il faut dire que cette tribu n’a pas bonne presse dans la mémoire d’Israël depuis, rapporte la tradition, l’affaire de Dina, la fille de Ya“aQoV violée par la maison de Sichem et que ShiMe“ON et LéVî avaient vengée par le glaive. Ya“aQoV en avait été profondément contrarié — vous irez lire ça à la fin du ch. 34 de la Genèse, à partir du v. 25. Toujours est-il qu’au moment de la bénédiction des 12 tribus, en Gn 49, ShiMe“ON et LéVî sont frappés de malédiction : « Maudite leur narine : oui, elle est violente ! Et leur emportement : oui, il est cruel ! Je les répartirai en Jacob ! Je les disperserai en Israël ! » (Gn 49,7) C’est au point que Moïse ne mentionnera même plus ShiMe“ON dans sa bénédiction du ch. 33 du Deutéronome ! Alors on peut se dire : oui, mais LéVî était aussi son complice ! Certes, et c’est en partie la raison pour laquelle il n’aura, pour sa part, aucun territoire en héritage. Reste cependant que LéVî, dans cette histoire, s’est racheté de sa conduite puisque sa descendance a été la seule à être fidèle à YHWH lorsque toutes les autres tribus, y compris ShiMe“ON, s’étaient tournées vers le Taurillon d’or !!! En même temps, ça ne signifie pas que le clan de ShiMe“ON ait été banni d’Israël : d’une part parce que la bénédiction collective d’Israël demeure, ShiMe“ON compris ; d’autre part parce qu’au final, ShiMe“ON recevra bien une part d’héritage dans le livre de Josué au début du ch. 19, mais dans la région la plus aride qui soit et totalement incluse dans le territoire de Juda qui l’absorbera à terme. Et quoi qu’il en soit, cette tribu ne disparaîtra jamais de la mémoire d’Israël : rappelons-nous simplement le nom du vieillard qui vient accueillir le tout premier la sainte famille lors de la présentation de Jésus au Temple : ShiMe“ON, comme s’il y avait un paradoxal retournement de l’histoire : le patriarche avait vengé le viol de sa sœur Dina, mais dans la mesure où l’honneur de la famille était en jeu, il n’y a pas non plus que du mauvais chez ShiMe“ON ! Du coup, dans ce lointain descendant qui porte son nom et qui, par le fait même, renvoie inévitablement au patriarche, voici que ShiMe“ON accueille une Vierge et son fruit ; il ne s’agit plus d’un viol mais d’une naissance divine… C’est comme si, par YéHOShou”a, par Jésus, ShiMe“ON avait été guéri de sa violence pour revenir dans le concert des tribus. Alors on ne peut pas en dire plus ici, mais c’est comme ça que fonctionne la Bible et c’est très savoureux de se laisser porter par ces vagues successives qui finissent toujours, à un moment ou à un autre, par ramener sur la rive tel ou tel qui aurait fait mine, au fil de l’histoire, de se noyer en chemin… Mais enfin bon, restons-en au livre des Nombres.
Suit alors, du v. 52 au v. 56, la répartition du territoire au prorata, nous dit le récit, du nombre des membres recensés de chaque tribu, ceci pour l’étendue des territoires ; quant à leur position, poursuit le texte, il sera fait par tirage au sort — sans doute les fameux OuRîM et TouMMîM. Bon, là, on voit bien qu’on a affaire à une histoire mythique, mais qui est d’autant plus importante qu’elle légitime les revendications des expatriés qui reviennent au moment du retour d’Exil. À qui en définitive appartient telle ou telle terre ? Celui qui l’occupe depuis presque deux générations après la déportation à Babylone ou à ceux qui reviennent en disant : mon père occupait cette terre ??? La question, vous le sentez, est on ne peut plus actuelle depuis le Plan de Partage de la Palestine en 1947 ! Toujours est-il qu’au retour d’Exil en 538, par exemple, il faudra produire des preuves d’une ascendance patriarcale au nom de la ToRaH qui, précisément, établit ici la régularité de la répartition. Sinon, qu’est-ce que vous voulez, c’est la guerre fratricide au moment précis où on doit pourtant reforger une unité nationale ! Or ce qu’on nous dit ici, c’est qu’une telle unité n’est possible que si elle est fondée EN MOÏSE, jusqu’au plus concret, comme le partage des terres établi non par la force des baïonnettes mais selon une justice fondée en YHWH et transmise de génération en génération de sorte que cette mémoire fasse force de loi. De quelle manière ? Difficile à dire, mais enfin, le principe est là.
Ceci dit, vient à partir du v. 57 au v. 62 le recensement de la “13e” tribu, pourrait-on dire, celle de LéVî, à l’instar du ch. 3. Ici, le nombre passe de 22 000 à 23 000 et en quelques versets, on nous résume ce que fut l’histoire de cette tribu et par qui elle est composée. Là, c’est à lire calmement, quand bien même tous les noms ne nous soient pas familiers. De toute manière, c’est compliqué ; il y a bien toute une science numérique très élaborée qui rend compte de tous ces chiffres kabbalistiques — ce qui montre à tout le moins que les rédacteurs étaient loin d’être des imbéciles ! —, mais pour nous, ça nous dépasse complètement et ça n’est pas de première utilité. Ce qui importe, et le rédacteur y insiste à partir du v. 63, c’est de bien entendre que de tous ces recensés, aucun n’appartient à la génération qui a refusé d’entrer par le sud quand l’occasion s’en présentait. Et ça renvoie évidemment à la question de l’Exil : si YHWH, à l’époque royale, a voulu que nous quittions la terre d’Israël, c’est que nous avons refusé d’y rester en désobéissant aux commandements de la ToRaH de Moïse ! Pour revenir, il est donc normal que la génération qui a été exilée pour infidélité reste en Exil pour laisser à la génération qui suit le soin de revenir. Et de fait, on vient de l’évoquer, le retour d’exil se fera deux générations après celle qui sera partie en déportation à Babylone. Donc le contexte est similaire avec la seconde génération du désert, ce qui permet au récit du livre des Nombre de fournir un soubassement légal aux revendications des exilés lors de leur retour en Judée, sur la base de ce que la mémoire a retenu de l’installation en KaNa“aN dans le temps fondateur de Moïse. C’est donc un cadre qu’offre notre chapitre 26 ! Un cadre mythique, comme tous les cadres, qui fonde les décisions et tranche les litiges ; cadre mythique sans lequel tout ne serait qu’anarchie et loi du plus fort ! Exactement ce qui est visé depuis les années 1970, en France à tout le moins : on déconstruit la mémoire mythique pour mieux manipuler les foules qu’on flatte en invoquant : « le peuple français ». Mais un peuple sans histoire, c’est juste un hall de gare ! Et la ToRaH est là pour nous dire d’ores et déjà quelle sera la suite : le peuple sera déconstruit, certes, mais demeurera un petit reste d’où tout pourra reprendre. En attendant, que de douleurs pour les petites gens comme vous et moi ! L’aristocratie des hauts fonctionnaires, elle, fait tout pour s’en préserver, après eux le déluge ; qu’ils en profitent tant qu’ils peuvent. Justice un jour sera prononcée, je n’ai aucun doute sur la question !
Pour le fun, remarquons qu’on a avec le v. 63 un magnifique exemple tout simple d’inclusion avec le v. 1 à travers la mention de Moïse et ‘ÈLé”âZâR ; inclusion qui manifeste bien l’unité de tout ce chapitre. C’est juste en passant. En tout cas, on voit bien que l’installation n’est pas simple. Dans notre imaginaire ignorant des Écriture, on se dit que tout s’est passé comme sur des roulettes… Pas si sûr ! Par ailleurs, et c’est le plus important, on s’aperçoit que même des textes aussi obscurs que des listes à n’en plus finir ont toujours des choses à nous apprendre sur notre propre histoire et ses fondements ! Ça n’est pas rien, mais évidemment, ça n’est donné qu’à ceux qui acceptent de se mettre à l’étude. Alors si certains d’entre vous se sentent inspirés pour aller encore plus loin, encore plus profond dans la symbolique du texte, pourquoi pas ? Il y a les universités pour ça, ou alors les YeShiVot si vous être Juif.
En attendant, comme le disait encore mon vieux professeur : « Avant de dépasser, il faut déjà atteindre ». Donc je vous souhaite d’abord une lecture féconde, à notre niveau, de ce chapitre 26 du Livre des Nombres avant que nous n’ouvrions le suivant la prochaine fois. Je vous remercie.
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