25-08-2018
[Foi 1.5] - Débuts du ministère de Jésus
par : le père Alain Dumont
Après l’épisode des tentations de Jésus au désert commence véritablement son ministère auprès d’Israël pour annoncer l’avènement du Règne de DIEU.
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PLAN :
– Les noces de Cana (Jn 2,1-11)
– Les vendeurs chassés du temple (Jn 2,13-17)
– Jésus et Nicodème (Jn 3,1-21)
– Jésus rencontre la Samaritaine (Jn 4,1-42)
Duration:32 minutes 13 secondes
Tous droits réservés.Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,
Après l’épisode des tentations de Jésus au désert commence véritablement son ministère auprès d’Israël pour annoncer l’avènement du Règne de DIEU. Alors pas comme un royaume terrestre : Jésus n’est pas là pour fonder un empire. Il est là pour qu’en Lui, DIEU communique la joie de la vie éternelle à l’humanité à travers leurs épousailles. Ça ne peut donc pas se faire en mettant un sabre sous la gorge des gens pour qu’ils se convertissent ! Jésus, fidèle au témoignage de l’histoire de son peuple, opère exactement comme DIEU de l’Alliance avec les patriarches : il appelle, un par un ! Réponde qui veut, librement !
Or c’est précisément comme ça que Jésus appelle en premier lieu ses disciples pour constituer un cercle rapproché de 12 hommes qu’on désigne du nom d’« Apôtres », un terme qui signifie en grec : les « envoyés ». 12 Apôtres donc qui représentent les 12 tribus d’Israël dans la mesure où Jésus est venu annoncer le Règne de DIEU d’abord aux siens — aux Juifs donc — et à partir de là aux païens que nous sommes. Les 12 étaient des gens simples pour la plupart ; entre autres des pécheurs de la Mer de Galilée, mais aussi un collecteur d’impôts, un docteur de la ToRaH, un Zélote, etc.
Autour de ce groupe existe un cercle plus large, avec d’une part des amitiés fortes comme avec Marthe, Marie et Lazare qui habitent non loin de Jérusalem, à Béthanie ; et d’autre part des gens peut-être moins proches mais qui ont été touchés par son enseignement, par le rayonnement de sa présence, dont de nombreuses femmes. De ce point de vue d’ailleurs, Jésus opère une vraie rupture avec son temps où les rabbins enseignaient exclusivement à des hommes. Par ailleurs, Jésus est un prédicateur itinérant. Il n’a ouvert aucune école dans un endroit fixe où viendraient le rejoindre ses disciples.
Pour mieux le connaître, il vaut la peine de suivre ses premiers pas. On va se mettre à l’écoute de l’évangile selon saint Jean qui est le plus fiable historiquement parlant. Même si c’est très rapide, ça nous donnera une petite vue d’ensemble. Or voilà, nous raconte saint Jean, que le premier signe que Jésus va opérer après son baptême s’est déroulé au cours d’un mariage… Étrange.
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LES NOCES DE CANA (Jn 2,1-11)
Jean-Baptiste conduisait ses disciples au désert. Jésus, lui, préfère emmener les siens à des noces qui ont lieu dans un petit village du nom de Cana, non loin de Nazareth…
Alors si on se rappelle que tout le projet de salut consiste à mener les chrétiens au festin des Noces éternelles avec DIEU où nous fêterons l’accomplissement de notre divinisation, l’accomplissement de toutes nos potentialités humaines élevées au rang d’éternité, on comprend que ce premier « signe » de Jésus à l’occasion de ce mariage soit d’emblée très parlant : ainsi, la trajectoire est ouverte dès le départ ; inscrite non pas hors du monde mais au cœur de ce qui, DANS le monde, est le plus réjouissant par la promesse de vie qu’il représente : un MARIAGE. N’oublions jamais que ce qui intéresse DIEU, c’est la joie ! Or le signe de la joie dans la Bible, c’est le VIN. « Le vin qui réjouit le cœur de l’homme » comme dit le Ps 104.
Que ce vin vienne à manquer — ce qui est le cas pour ces noces auxquelles Jésus s’est rendu — et c’est la désolation ! Ici, on pense au prophète Isaïe et à sa vision de la terre ravagée : « Les habitants de la terre diminuent : il n’en reste qu’un petit nombre. Deuil pour le vin nouveau : la vigne a dépéri ! Tous ceux qui avaient le cœur en fête se lamentent. Elle a cessé, l’allégresse des tambourins ; il a pris fin, le joyeux vacarme ; elle a cessé, l’allégresse des cithares ! Ils ne boiront plus de vin en chantant ; la boisson forte est amère aux buveurs. La cité-du-néant est en ruine, chaque maison est fermée, nul ne peut y entrer. Dans la rue, on réclame du vin ; toute joie a disparu ; l’allégresse est bannie du pays. » (Is 24,6-11) Wow ! Du coup, on comprend que si le vin vient à manquer à l’occasion de noces, c’était vraiment mauvais signe ! Or voilà que Jésus, voyant de grandes urnes qui contenaient l’eau nécessaire aux ablutions des Juifs pour leurs purifications rituelles, les fait remplir d’eau à ras bord, dit aux serviteurs d’en porter à boire au maître du repas ; or voilà qu’entre temps, l’eau s’est transformée en vin, et du meilleur qui plus est !
Alors dans un premier temps on se réjouit pour les jeunes mariés, certes ; sauf qu’à bien y réfléchir, voilà un épisode bien étrange : partout ailleurs, quand Jésus opère un miracle, c’est toujours pour enseigner quelque chose, pour faire avancer ses disciples ou les foules d’une manière ou d’une autre ; mais là, non : les noces terminées, on nous dit que Jésus repart pour son QG à Capharnaüm et c’est tout ! Vraiment bizarre pour quelqu’un d’un peu accoutumé à la lecture de la Bible !
À moins ce que premier signe — saint Jean ne parle jamais de miracle : il parle des « signes de Jésus », c’est-à-dire d’événements qui renvoient à une autre réalité, à la fois plus essentielle et plus mystérieuse qu’il s’agit de discerner — À moins donc que ce PREMIER signe ne renvoie au TOUT DERNIER, ce qui est très fréquent dans la Bible qui aime se faire correspondre le début et la fin pour manifester que ce qui est donné à terme était déjà en germe dès le départ. C’est en fait un procédé universel pour raconter une histoire : on a ça jusqu’à aujourd’hui dans tout bon film qui se respecte : prenez AVATAR, un film qui a marqué sa génération. Commencement du film : le héros ouvre les yeux, il sort d’un long sommeil ; l’aventure va commencer et dès les premières images, on sent qu’on entre avec lui dans une nouvelle phase de son histoire. Fin du film : son esprit passe dans un nouveau corps — pourquoi pas ? — mais quoi qu’il en soit, dès que son nouveau corps ouvre les yeux, on sait d’instinct que le film se termine et de fait, la boucle est bouclée : le générique apparaît sans autre forme de procès. Tout le monde comprend spontanément ce rapport du commencement et de la fin : on connaît ça dans les récits du monde entier, des plus anciens au plus récent, et la Bible, essentiellement composée de récits, ne fait pas exception.
C’est ce qui fait qu’on peut donc légitimement penser que le premier signe de la vie publique de Jésus renvoie au dernier, c’est-à-dire au transpercement de son côté après sa mort sur la croix : « Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. » (Jn 19,33-34) Vous entendez ? D’un côté l’eau changée en vin ; de l’autre, le sang mêlé à l’eau… Alors vous me direz : « Quel rapport ? » Eh bien : le rapport est dans le sens du vin pour la Bible qui, plusieurs fois, dit que « le vin est le sang de la vigne » ! Et le sang, c’est la vie : « La vie de la chair est dans le sang » dit DIEU dans le livre du Lévitique (Lv 11,17).
De fil en aiguille, le vin et le sang offrent alors les indices qui appellent à lire les Noces de Cana à la lumière du signe de la croix, et inversement ! Dans les deux cas, la mort se manifeste : comme une menace à Cana, comme un fait à Jérusalem. D’un côté, un vin offert par le Christ pour marquer les noces humaines du signe de la joie ; de l’autre, le propre sang du Christ offert comme le vin véritable les Noces éternelles tout imprégnées de joie. La Passion serait donc le lieu où, à travers le jaillissement de son sang, DIEU laisse en fait jaillir le vin des Noces éternelles ? C’est renversant !
Dès lors, entre ces deux signes, tout le ministère du Christ se révèle être comme l’approche du fiancé et de la fiancée assoiffés de se tenir dans les bras l’un de l’autre. On songe ici au Cantique des cantiques : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! Car ton amour est meilleur que le vin. Oui tes parfums ont une senteur suave, ton nom est un parfum qui s’épand ; voilà pourquoi t’aiment les jeunes filles. Entraîne-moi à ta suite, courons ! Le roi m’a fait entrer dans ses appartements. Jubilons et réjouissons-nous à cause de toi ; plus que le vin célébrons ton amour, ils sont dans le droit, ceux qui t’aiment ! » (Ct 1,2-4) Vous entendez ? L’amour et le vin son indissociables comme les deux signes conjoints du don inconditionnel de soi à l’autre que célèbrent dans la joie les Noces éternelles !
Par ailleurs, pour confirmer ce lien entre le premier et le dernier signe qui encadrent la vie publique du Christ, il y a la réponse de Jésus à sa mère lorsqu’elle Lui dit : « Ils n’ont plus de vin » Ce à quoi Jésus rétorque : « Mon Heure n’est pas encore venue ! »
L’Heure, dans cet évangile, désigne le moment où Jésus « passe » de ce monde à son Père, donc le moment de l’offrande de sa vie sur la Croix pour racheter les hommes de la mort ! Or les deux seuls épisodes, dans l’évangile de Jean, où l’on retrouve Marie sont les Noces de Cana et la Croix ! Comme si Marie, au pied de cette croix, était là pour redire à son Fils : « Ils n’ont plus de vin ! » Entendons ici : « la mort menace les noces éternelles ! ». Et cette fois, en réponse, Jésus offre son sang aux hommes comme un signe de victoire de la vie sur la mort qui se vérifiera dans la joie de sa résurrection trois jours plus tard. Depuis, en célébrant l’eucharistie à travers le signe du vin, les chrétiens font mémoire du jaillissement de ce sang jaillissant du cœur du Christ, du cœur de l’Époux comme de cette semence lancée par DIEU Lui-même pour féconder la chair de l’Église, son Épouse ! C’est assez bouleversant et ouvre un horizon de vie absolument infini !
Donc, à lire un peu profondément l’évangile, dès le premier signe se profile l’avènement de cette victoire à travers l’eau changée en vin, comme pour nous dire : attention, ce qui se passera sur la Croix n’est pas un accident de parcours mais l’acte même par lequel DIEU, en la personne de son Verbe, prévoit de nous racheter, de nous sauver de la mort !
Alors on pourrait en dire infiniment plus sur ce premier épisode de la vie publique de Jésus, mais on va s’arrêter là pour ce qui nous concerne et lire la suite, toujours dans l’évangile selon saint Jean. On sait à tout le moins quelle trajectoire est tracée.
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LES VENDEURS CHASSÉS DU TEMPLE (Jn 2,13-17)
L’histoire se poursuit — éclairée par l’élan des Noces de Cana — et Jésus, dit l’évangile, se rend à Jérusalem. Il entre dans la cour du Temple et voilà qu’il en chasse les vendeurs de gros et de petit bétail, qu’il renverse les comptoirs avec tout l’argent des courtiers ! Vous voyez le contraste avec ce qu’on vient juste de nous raconter à Cana ! Alors on s’interroge : Pourquoi une telle rage, d’autant que tous ces étalages ne sont jamais là que pour permettre d’offrir les offrandes pour qu’Israël ne cesse de s’élever vers DIEU en obéissance à la ToRaH de Moïse. Oui mais voilà : le cœur de l’homme pécheur est tel que sous prétexte d’une œuvre bonne, il cherche à en tirer profit ! Et c’est alors l’argent — encore lui — qui se positionne à travers tout ce trafic, au centre du culte… C’est vraiment impressionnant de voir à quel point le cœur du pécheur est habile de perversité !
Toujours est-il qu’après cet épisode, non sans avoir annoncé que le sanctuaire de pierre, si prestigieux qu’il soit, serait abattu pour laisser place au vrai sanctuaire qui est le Christ en personne, Jésus se retire… Au demeurant, ces paroles du Christ mettent en lumière une autre dimension de sa mission : faire advenir le vrai Temple de DIEU où il ne s’agira plus d’offrandes animales ou même végétales, mais de s’offrir soi-même ! À nouveau : on vise la Passion, on vise la Croix ! C’est comme ça qu’il faut lire l’évangile : tout ne se comprend en profondeur qu’en référence à la Passion et à la Résurrection du Christ ; ce qui est d’ailleurs valable aussi pour les actes de charité que nous posons dans notre propre histoire. On y reviendra en son temps.
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JÉSUS ET NICODÈME (Jn 3,1-21)
Jésus, par la suite, rencontre un pharisien bienveillant — les pharisiens étaient un groupe influent de l’époque, qui avait le souci d’instruire le peuple de la ToRaH de DIEU ; les rabbins d’aujourd’hui sont leurs successeurs. Donc Jésus rencontre un pharisien appelé Nicodème pour discuter de la ToRaH, mais il achoppe lorsque Jésus lui dit : « À moins de naître de nouveau, on ne peut voir le règne de Dieu » (Jn 3,3) Vous entendez ? DIEU ne se trouve pas au terme d’un raisonnement mais d’une seconde naissance. Toujours cette mystérieuse dynamique de VIE qui relève le primat de la CHAIR sur la raison !
Dire un truc pareil aujourd’hui est un scandale pour la raison qui cherche à triompher de tout, et je suis même à peu près certain qu’en entendant que la CHAIR doit primer sur la raison, vous n’êtes vous-mêmes pas complètement à l’aise… comme Nicodème ! Comprenons bien : il ne s’agit pas d’abandonner la raison, mais d’abdiquer sa prétention à tout régenter ! « Peu importe ton QI pour participer à la VIE de DIEU ! » Les plus pauvres y ont accès autant, sinon plus, que les riches ou les savants ! « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » (Mt 11,25), dit Jésus dans l’évangile selon saint Matthieu.
Or qu’est-ce que naître sinon accepter de quitter un milieu familier pour être accueilli dans un nouvel univers ? Nous naissons une première fois en traversant les eaux maternelles et, nous dit Jésus, voici qu’il nous faut naître une seconde fois en passant cette fois par les eaux PATERNELLES ; les eaux libératrices des conséquences mortifères du péché — ce dont le jaillissement de l’eau conjointement au sang du Christ en croix est sans doute le signe ! Allez : on garde les yeux fixés sur la Passion, même ici. Sachant que de l’autre côté de cette nouvelle naissance, c’est encore de vie qu’il est question !
Notre angoisse vis-à-vis de la vie éternelle est un peu la même que celle qui habite l’embryon : que dire à un embryon qui refuserait de quitter les entrailles maternelles sous prétexte qu’il ne sait pas ce qu’il y a de l’autre côté ? Qu’il ne sait pas si quelqu’un saura l’accueillir et lui donner ce que la matrice amniotique lui procure à chaque instant ? La même chose que Jésus à Nicodème : si tu ne nais pas, si tu refuses d’être accueilli par un autre que toi, tu mourras. Ainsi en va-t-il, analogiquement, pour la seconde naissance : il s’agit de se laisser accueillir par un autre, par le Tout Autre pour vivre de la vie éternelle dès aujourd’hui ! Ce qu’offre précisément le Baptême par l’Eucharistie à laquelle il conduit. Là encore : l’eau baptismale renvoie au sang eucharistique. Toujours ce même couple qui s’avère indissociable, comme devrait l’être d’ailleurs la vie et la joie !
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JÉSUS RENCONTRE LA SAMARITAINE (Jn 4,1-42)
Suite à ces épisodes qui se déroulent en Judée, c’est-à-dire au Sud de la Palestine, Jésus remonte en Galilée en passant par la Samarie, c’est-à-dire la région du centre du pays alors même que cette route, pour des juifs, est loin d’être sûre. Il y a en effet un litige séculaire entre les Samaritains et les Juifs qu’il serait trop long d’expliquer ici.
Toujours est-il que Jésus, atteint par la fatigue, s’assied au bord d’un puits — le puits étant, dans ces régions, un lieu privilégié de rencontre à certaines heures du jour, en particulier le matin et le soir. Et quelque part, il n’est pas indifférent pour nous de savoir que Jésus, à ce moment, est fatigué. Ça nous permet de ne pas faire de Jésus un héros purement formel et sans âme : tout DIEU qu’Il soit, Jésus est un homme, en sueur sans doute à ce moment du jour, qui s’assoit d’épuisement, ce que les vieilles hymnes de la liturgie chrétienne ont aimé reprendre avec émotion en chantant, dans l’ancien office des morts : Quærens me sedisti lassus, qu’on pourrait traduire par : « alors que tu me cherchais, fatigué, tu t’es assis. » Un DIEU qui nous cherche jusqu’à l’épuisement ! Y a-t-il plus puissante marque d’amour ?
Toujours est-il que Jésus s’assoit, à une heure tellement chaude que le lieu est déserté par les puiseuses quotidiennes, sauf… par une femme dont on ne connaîtra jamais le nom ici-bas, que l’évangile de Jean désigne simplement comme : « une femme de Samarie ».
Pourquoi vient-elle à cette heure que les autres fuient ? Mystère. Certains pensent qu’il devait s’agir d’une femme de mauvaise vie comme on dit, que les autres femmes ne voulaient pas fréquenter. Au moins, à cette heure-ci, personne ne risque de lui cracher à la figure… Et voilà que Jésus engage le dialogue : « Donne-moi à boire ! — Comment, répond-elle, toi, un Juif, tu me demandes à boire à moi, une Samaritaine ? » (Jn 4,9-10) Mais Jésus veut arriver à un autre plan : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vivante. » (Jn 4,11) ici, la femme ne comprend pas —l’eau vivante, c’est tout simplement l’eau des puits : l’eau, vous vous souvenez, qui donne la vie et qui étanche la soif. Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? — Quiconque boit de cette eau, répond Jésus, aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » (Jn 4,12.14) Ah voilà : une eau qui ne fait pas que donner la vie au jour le jour, mais la VIE ÉTERNELLE, la vie même de DIEU ! Alors la femme, qui entend bien ces propos, se moque gentiment : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. » (Jn 4,15) Elle n’a pas compris ! Elle n’est pas dans la trajectoire ! Donc Jésus va l’atteindre à un endroit où elle ne peut plus faire semblant : il l’atteint là où elle est précisément vulnérable : « Va, appelle ton mari, et reviens. — Je n’ai pas de mari… — Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. » (Jn 4,16-18). La voilà percée à jour ! Alors comme vous, comme moi, elle détourne la conversation : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !... Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. » (Jn 4,19-20) Jésus lui répond : « Ni sur cette montagne ni à Jérusalem. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » (Jn 4,21.24) Voilà : le véritable sanctuaire, c’est l’esprit par lequel une relation existe entre l’homme et son DIEU. C’est LÀ que le Vrai DIEU, qui est Esprit et Vérité, nous attend. Au demeurant, on comprend ici un peu mieux pourquoi Jésus a chassé les marchands du Temple de Jérusalem et prédit sa destruction.
Toujours est-il que la Samaritaine est émue. Au point qu’elle lâche sa cruche et court vers le village pour dire : « Cet homme m’a dit tout ce que j’ai fait ! Ne serait-il pas le Christ ? » Et voilà que les habitants convergent vers le puits pour rencontrer ce personnage exceptionnel ! Jésus demeure avec eux plusieurs jours, tant et si bien qu’à la fin, ils disent à la femme : « Ce n’est pas à cause de toi que nous croyons mais parce que nous l’avons vu et entendu. » (Jn 4,26).
Je ne sais pas si vous entendez, mais le moment est vraiment décisif : la véritable religion n’est pas une question de lieu — que ce soit Jérusalem, la Mecque, le Gange ou Rome. C’est en esprit que l’homme se connecte à DIEU, par la foi, c’est-à-dire la confiance et la fidélité en DIEU qui donne la VIE et offre à l’homme de transmettre cette VIE à son tour. Un peu plus tard, Jésus criera dans le Temple : « “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive.” En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il ne pouvait y avoir l’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié. » (Jn 7,37-39)
Eh oui : en ceux qui ont la foi est ouverte une source vive, vivante, une source de VIE ÉTERNELLE ! Ce qui signifie que le formidable secret de la fécondité est à l’INTÉRIEUR de nous ; une fécondité à laquelle nous n’accédons que grâce à un dialogue EN ESPRIT avec DIEU qui nous mène au plus intime de nous-mêmes ; là où les noces sont possibles. C’est déjà ce que disait la ToRaH de Moïse dans le livre du Deutéronome : « Ce commandement que je te commande aujourd’hui n’est pas impossible pour toi ni hors de ta portée. Il n’est pas dans le ciel pour qu’on dise : “Qui montera pour nous au ciel nous le prendre et nous le faire entendre afin que nous le mettions en pratique ?” Et il n’est pas par-delà la mer pour que tu dises : “Qui passera pour nous au-delà de la mer nous le prendre et nous le faire entendre afin que nous le mettions en pratique ?” Non : c’est tout près de toi qu’est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique. » (Dt 30,11-14) Voilà : ce que DIEU disait à Israël par Moïse 1000 ans plus tôt, Jésus le dit à la Samaritaine, c’est-à-dire à une femme étrangère au peuple juif ; une femme qu’aucun Pharisien n’aurait voulu toucher ! Le DIEU qui s’est donc d’abord révélé à Israël pour pétrir l’humanité comme un levain au milieu des nations aveugles, voilà qu’Il se révèle à présent à ces mêmes nations pour qu’elles se greffent sur la racine juive et que la sève de VIE ÉTERNELLE irrigue les cœurs du monde entier ! Là est l’apport crucial, unique et absolument nécessaire de Jésus au monde.
Reste que pour découvrir ce Ciel intérieur à nous-mêmes, il faut savoir laisser venir l’ombre à la lumière, comme ici les désordres d’une Samaritaine ; plus tard les égarements d’un saint Augustin et les larmes de sa mère, la vie libertaire d’un Charles de Foucauld, etc. ; une ombre que rejoint Jésus sur la route épuisante qui le mène jusqu’à nous pour qu’enfin ce merveilleux trésor intérieur soit découvert ; ce trésor caché au plus intime de nous-mêmes, cet esprit qui nous attache au Christ pour que nous puissions rayonner dans le monde de la joie que procure cette rencontre, ces noces enfin rendues possibles au plus intime de notre CHAIR.
Voilà donc comment, de Cana à la Samaritaine, saint Jean nous résume l’essentiel de la mission de Jésus : Il est venu accomplir le mystère nuptial annoncé dès les premiers temps de la révélation ; Il est celui qui dénonce le péché pour le renverser ; il est celui par qui nous advient la grâce de la divinisation par la renaissance du baptême ; il est enfin celui qui, au terme d’un chemin fatigant, nous attend sur la margelle d’un puits d’eau vive — songeons ici aux sacrements, pour rejoindre tout homme et toute femme au plus intime d’eux-mêmes, là où se trouve notre trésor spirituel qui, sans le Christ, reste à jamais prisonnier de notre ombre, nous en interdisant tout accès. Alors peut-être que l’individualisme contemporain nous fait miroiter, à travers diverses techniques de développement personnel, de pleine conscience et j’en passe, que l’homme peut s’en sortir tout seul… Mais toutes séduisantes que soient ces techniques, elles ne sont jamais que des idoles. Elles nous ferment à la nécessité de nous laisser rejoindre par le Christ sur la margelle du puits de nos soifs les plus profondes ; ces techniques laisseront toujours un goût amer à force de nous garder autocentrés sur nous-mêmes sans jamais autoriser personne à nous rejoindre là où nous attendons pourtant de rencontrer celui qui parlera à notre cœur, au point que nous n’aurons de cesse, à l’image de la Samaritaine, de proclamer son Nom au monde entier !
Bien. Il me semble qu’avec tout ça, vous avez déjà pas mal de grain à moudre avec votre accompagnateur. Que le Christ Jésus vous garde en sa bénédiction.
Je vous remercie.
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