12-01-2015

[Gn] 32 - Quand l'Égypte convoque Joseph

par : Père Alain Dumont
La première question qui s’impose quand on lit l’histoire de Joseph, c’est : « Est-ce que cette histoire est vraie ? »
Rubrique :Joseph
Duration:23 minutes 31 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article


Bonjour,

Comme promis, pour mieux comprendre l’impact de la destinée exceptionnelle du patriarche Joseph, le fils de Jacob et de Rahel, nous allons prendre le temps de nous plonger dans l’égyptologie à la lumière de ce que nous apprend le professeur Joseph Davidovits que je vous ai présenté la dernière fois.

La première question qui s’impose quand on lit l’histoire de Joseph, c’est : « Est-ce que cette histoire est vraie ? » C’est une question légitime, car enfin, de deux choses l’une :

– soit la Bible ne fait que rédiger un roman fictif pour se faire mousser — mais alors on s’interroge aussi sur la crédibilité des histoires patriarcales qui précèdent — ;

– soit il y a réellement un substrat historique, mais alors celui-ci, vu l’immensité du personnage, a nécessairement laissé des traces dans l’historiographie égyptienne… Et alors, où trouver ce substrat ? Et c’est là que je nous propose de suivre la piste ouvert par le professeur Davidovits.

Cette piste s’ouvre sur la XVIIIe dynastie des rois d’Égypte — ces fameux rois que la Bible appelle « Le Pharaon », sans jamais préciser lequel ; un terme qui désigne en réalité, en égyptien, la « Maison Royale » —. Un roi en particulier retient l’attention : il s’agit de TOUTHMOSIS III qui règne en gros de 1458 à 1425 avant Jésus Christ.

Qui est TOUTHMOSIS III ? TOUTHMOSIS III est un des plus grands pharaons que l’Égypte ait connu. Lorsqu’il parvient sur le trône, les Hyksos ont été chassés depuis environ 70 ans. Le premier souci de TOUTHMOSIS est de garder à l’Égypte la première place dans le concert des nations du Moyen Orient. Le Napoléon égyptien si vous voulez, ce qui suppose de faire des campagnes guerrières. C’était monnaie courante à l’époque. Non qu’on fut tout le temps en guerre, mais il y avait des saisons où les rois, quels qu’ils soient, partaient avec leur armée  titiller les frontières histoire de manifester leur puissance — Attention : il n’y avait jamais de civil dans les troupes ! Et les batailles n’engageaient jamais que quelques centaines, voire quelques milliers de soldats pour les royaumes les plus puissants, mais pas plus ! La première guerre où sont engagés les civils est la fameuse bataille de Bouvines en 1214 après J.-C., et là, tout l’art de la guerre a vacillé, mais cela n’a rien à voir avec les guerres de l’Antiquité —. Certains créaient ainsi des empires, d’autres les perdaient, mais c’était le rythme politique de l’époque.



Dès son avènement donc, TOUTHMOSIS doit faire face à une coalition menée en Syrie par le prince de Qadesh et le roi du Mitanni, tout au Nord. Or il faut rétablir l’autorité égyptienne sur les frontières du Nord, ce qui va nécessiter pas moins de 17 campagnes militaires successives relatées dans les Annales de Thoutmosis III gravées dans le temple de Karnak.

Un fait intéressant concerne sa sixième campagne : THOUTMOSIS décide d'en finir avec le prince de Qadesh. Il s'empare de la ville, dévaste son territoire et ramène à cette occasion les fils des princes syriens comme otages pour les élever à la cour égyptienne avant de les renvoyer dans leur pays. C’est un véritable coup de génie, au oint que cette politique va devenir une constante en Égypte afin d’avoir des interlocuteurs privilégiés à la tête des différentes régions de l’empire.

Lors de la huitième campagne, THOUTMOSIS va franchir l’Euphrate, donc très au Nord !, grâce aux barges qu’il a apportées à travers le désert, traînées sur des chars à bœufs ! C’est vous dire ! Bref. En l’an 42 de son règne, l’Assyrie, les Hittites et même Babylone lui sont soumis ! Après la dernière campagne, la diplomatie reprend ses droits et les relations entre l’Égypte et le Mitanni se régularisent.

Mais ce n’est pas tout : THOUTMOSIS est aussi un Grand bâtisseur ! Il entreprend pendant son règne de vastes travaux à Karnak ; Il rénove, agrandit, construit de très nombreux monuments.

THOUTMOSIS III est enfin un homme d'esprit. Il aime la botanique et la littérature. Il établit à Karnak une liste d'ancêtres qui témoigne de sa piété et de son intérêt pour le passé, et c’est là que semblent se nouer les moments-clefs de l’histoire de Joseph.

On sait que TOUTHMOSIS est passionné de textes anciens. Il étudie les récits et l’œuvre d’un scribe fameux dont le nom a été rendu célèbre en France par Alain Chabat dans son film Astérix et Cléopâtre : IMHOTEP ! Même s’il s’en sert n’importe comment, c’est vrai que c’est drôle. Mais plus sérieusement, qui est IMHOTEP ?

IMHOTEP nous fait remonter très loin, à l’époque du Pharaon DJOSER, de la IIe dynastie, avant la dynastie des Khéops, c’est-à-dire 2700 ans avant J.-C., au début de l’Ancien Empire, dans la Basse Égypte. Cet homme est l’architecte du roi et l’inventeur de la première pyramide. Son souvenir est tel qu’on le célébrera pendant 3000 ans, jusqu’à même le déifier 2000 ans après sa mort. La base de la statue de Djoser livre ses titres : il était chancelier du roi de la Basse Égypte, Premier après le roi de la Haute Égypte, Administrateur du Grand Palais, médecin, Grand prêtre de ÔN, Architecte en chef de Djoser, et enfin sculpteur et fabricant de vases en pierre.

Cette dernière remarque est essentielle, car la pierre avait un rôle singulier en Égypte à cette époque. Savoir façonner la pierre relevait d’une connaissance secrète liée au dieu KHNOUM, le dieu majeur du panthéon égyptien d’alors. Pourquoi ? Parce que la pierre était, pour les Égyptiens de l’époque, symbole d’éternité — et elle l’est toujours d’une certaine manière pour les juifs d’aujourd’hui —. Tout passe, sauf la pierre. Pour la religion du Nord de l’Égypte, la pierre étant éternelle, elle était donc l’incarnation divine du dieu KHNOUM. De sorte que dans cette mythologie, l’âme humaine était en pierre ! Elle était donnée à l’homme par le dieu KHNOUM en même temps que l’homme lui-même était façonné à partir de l’agglomération de l’argile rouge du Nord de l’Égypte.

Vous comprenez alors que la pierre avait un caractère sacré ! Or c’est à ce propos qu’IMHOTEP va faire une découverte fantastique : il prend conscience des propriétés de différents calcaires, notamment certains calcaires siliceux d’une résistance à toute épreuve. Et il va s’apercevoir qu’avec de l’eau et différents éléments réactifs, on peut désagréger ce calcaire, en faire de la pâte de roche et façonner avec cette pâte de nouvelles pierres avec des moules en bois, comme on le faisait avec les briques, mais désormais pour bâtir des monuments d’une élévation exceptionnelle ! Et c’est ainsi que naît la première pyramide, dite de Djoser. La pyramide de pierre agglomérée — attention, il ne s’agit pas de béton, mais vraiment de la pierre reconstituée : à tel point qu’il faut être spécialiste pour voir la différence entre de la pierre naturelle et cet agglomérat — a donc une signification spirituelle : il s’agit de construire une pyramide éternelle.

Du coup, en fabriquant de la pâte de roche par agglomération, on matérialisait l’acte divin de création. On ne construisait donc pas n’importe quoi en pierre : on construisait les temples, les pyramides, les statues, mais jamais les palais royaux ou les maisons qui, elles, étaient en brique. Raison pour laquelle d’ailleurs il ne reste rien ou presque des constructions profanes, alors qu’il nous reste les temples et les pyramides millénaires.

Si on revient maintenant à THOUTMOSIS III, l’époque a bien changé. Suivez-moi bien :

– Les Hyksos ont été bannis et l’Égypte a reconquis les territoires jusqu’au Mitanni. Or cette conquête s’est faite sous l’égide du dieu de la Haute Égypte, AMÔN. La XVIIIème dynastie se place donc dès le début sous la protection de AMÔN, le dieu de Thèbes, qui se trouve ainsi promu dieu d'empire. Il est le "Roi des dieux et dieu des Rois", associé au dieu RÂ / RÊ, de  — le dieu solaire —, sous la forme d'AMON-RA.

À partir de cette époque, AMÔN, qui signifie "le caché", « l’inconnaissable », remplace le dieu KHNOUM. De plus en plus on le considère comme l'Un dans lequel le tout est contenu, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres dieux : la mythologie égyptienne compte une multitude de divinités secondaires, mais AMÔN est leur roi. D’autre part, AMÔN, devient le garant suprême du droit et de la morale, dont la volonté se manifeste par des oracles, notamment par ceux qu'il rend aux fidèles qui le consultent lors de ses sorties en procession les jours de grandes fêtes.

Ce qui est remarquable, c’est que c’est à cette période que se développe progressivement une nouvelle conception des rapports entre dieu et les hommes. On assiste en particulier, à partir de AMENOPHIS II, le fils de TOUTHMÔSIS III, à une religion qui n'existait pas dans les époques antérieures, faite de piété personnelle, qui enseigne une relation plus directe de l'homme avec son dieu. AMÔN devient celui qui sait écouter celui qui l'implore, qui sait pardonner, qui sait consoler. Il est désigné comme "celui qui secourt les humbles", "celui qui donne la force aux malheureux". On peut le prier, le fléchir, il pardonne les fautes si on peut justifier d'une conduite irréprochable si on a "suivi le chemin de la MA’AT ", la déesse de l’ordre, la justice.

Or c’est précisément l’époque où Joseph est à la tête de l’Égypte comme second personnage du royaume. Son influence sur la famille royale sera de tout premier ordre ! On peut tout à fait imaginer que, venant avec la religion de ses pères Abraham, Isaac et Jacob — qui précisément ont une relation tout à fait novatrice avec le DIEU de l’Alliance —, en tant que théologien en chef de la maison de Pharaon, ce soit lui qui soit à l’origine de l’évolution religieuse qui marque cette période.

Certains diront que c’est de la récupération, mais les faits sont là : cette théologie nouvelle est née lors de la gouvernance de Joseph, depuis le roi AMENOPHIS II jusqu’à AMENOPHIS IV, le futur AKHENATON qui ne fera qu’imposer cette théologie sous la forme du Dieu ATÔN dont nous reparlerons en son temps.



Un dernier point : AMÔN va, comme on l’a dit, prendre peu à peu la première place, comme le dieu libérateur et, à la place du dieu KHNOUM, comme créateur de l’homme. À cette différence près qu’il ne façonne plus l’homme à partir de l’argile rouge du Nord mais du granit et du grès des montagnes du Sud, autour de Thèbes.

Dans la mythologie du Sud, AMÔN est en effet identifié à une montagne, et s’il façonne l’homme, c’est en taillant chaque être dans une partie de lui-même. Donc le geste sacré ne consiste plus à reconstituer la pierre par agglomération pour monter des édifices pyramidaux éternels mais à tailler la pierre avec grand soin.

Avec le Nouvel Empire, on abandonne donc les pyramides — d’ailleurs, on ne dit nulle part que Joseph ait construit des pyramides —, et on va creuser des tombes sous la montagne, symbole du corps du dieu AMÔN. C’est la raison pour laquelle autour de Thèbes naît la vallée des rois dont les tombes sont creusées dans le corps de la montagne en signe d’éternité ; les temples sont construits en pierres taillées avec grand soin dans le corps de AMÔN, dont le plus bel exemple est le temple d’Abou Simbel. C’est aussi le cas des obélisques qui constituent le « doigt » de AMÔN, directement taillée dans le granit.

Voilà. Nous n’en dirons pas plus cette fois. Mais ces quelques donnés de base sur la mythologie égyptienne vont de manière surprenante nous permettre de mieux comprendre l’histoire de Joseph, que nous verrons la prochaine fois.

Je vous remercie.