13-01-2015

[Gn] 38 - La descente de Juda

Genèse 38 par : Père Alain Dumont
Curieux chapitre sur Juda, auquel on ne s’attend pas vraiment, et pourtant...
Rubrique :Joseph
Duration:13 minutes 33 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/la-descente-de-juda.html )

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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article


Bonjour. 

Gn 38

Curieux chapitre, donc, sur Juda, auquel on ne s’attendait pas vraiment... Mais n’oublions pas que la suite de l’histoire du peuple d’Israël sera comme une recherche éperdue d’une réconciliation entre les deux frères à travers leurs descendants qui revendiqueront chacun la souveraineté : Juda régnant par David à Jérusalem, et les dix tribus se prévalant de Joseph après le schisme. Il y aura toujours un conflit de pouvoir entre les deux. Donc qu’on nous parle de Juda n’est peut-être pas si étrange qu’il y paraît à première vue.

Que nous raconte cet épisode ? Juda épouse une Cananéenne. La chose est étrange… Comment est-ce possible ? Comment un fils d’Abraham peut-il s’autoriser à épouser une fille étrangère, d’autant qu’Abraham et Isaac avaient mis en garde fermement leurs fils pour que ne soit pas perdue la promesse ? Alors là, il faut bien suivre le texte pour comprendre.

Vayérèd Yehuda mé’ét ‘èhayv… = Et il descendit, Juda, de chez ses frères… Le verbe est le même que pour Joseph qui descend en Égypte. On nous raconte donc une histoire de descente. À partir du moment où Joseph descend, toute la famille descend, ce qui nous est raconté à travers Juda, qui se sépare de ses frères… Voyez, comme si la séparation forcée de Joseph allait entraîner la désagrégation de toute la fratrie, à commencer par Juda, celui qui est l’instigateur de la séparation de Joseph : c’est lui qui a suggéré de le vendre ! Et d’une certaine manière, voici que cette séparation retombe sur lui !... C’est une déchéance qui nous est racontée : Juda quitte la tradition de ses pères : il épouse une cananéenne, dont on ne nous dit même pas le nom ! C’est terrible ! Et le Targum, la traduction araméenne de la Torah, va même en rajouter : Juda perdit tous ses biens et il se sépara de ses frères… Cependant, le Targum rétablit l’équilibre en précisant : il vit la fille d’un marchand — le mot hébreu peut signifier en effet soit cananéenne, soit marchand, mais cela ne change pas grand chose : il épouse tout de même une étrangère — Il vit la fille d’un marchant dont le nom était Shua. Il en fit une prosélyte et il alla vers elle. » Ouf ; l’honneur est sauf. Il n’empêche… La suite va poursuivre la déchéance, parce que les fils qu’il va avoir de cette femme auront un destin funeste :

Il aura donc avec cette femme trois fils : Ér — qui signifie stérile —, Onân — qui signifie endeuillé — et Shélah — qui se rapproche de la racine shaloh qui signifie illusion —, qui naît de plus dans un endroit qui s’appelle Kériv, qui signifie mensonge, déception Déception parce que Juda n’aura pas d’autre fils ! Il faut sentir ici le tragique qui se profile ; le drame qui habite Juda. Avec la vente de Joseph, quelque chose de grave a été brisé, et Juda le porte dans sa chair ! Comme s’il tentait de fonder une nouvelle descendance, mais il échoue ! 

Alors, tout est perdu ? En tout cas, la vente de Joseph, vous voyez, ne peut pas être rangé dans les oubliettes. Pas de clivage possible qui permettrait de refouler ce moment douloureux pour faire comme si rien ne s’était passé. Tu as fait le mal ? Tu l’as invoqué à ton service ? Le mal se saisira de toi et sera plus fort que toi. C’est là une leçon essentielle de la Bible qui reviendra régulièrement. On la retrouvera par exemple avec le Pharaon : il se fait le bras de l’exterminateur pour assassiner les enfants mâles d’Israël ; eh bien : l’exterminateur le dépassera et assassinera les premiers-nés mâles de l’Égypte ! DIEU, Lui, ne pourra que préserver les premiers-nés d’Israël et se manifestera comme Sauveur. Vous voyez ? La dynamique est la même.

Bref. L’histoire des fils de Juda va être tragique. Ér épouse à son tour une Cananéenne nommée Thamar — nom qui signifie palme, et qui évoque sa beauté —. Mais Ér déplaît au Seigneur — on ne sait pas pourquoi — et il meurt. La loi — qu’on appellera plus tard la loi du Lévirat — oblige son frère Onân à la prendre pour femme, mais il meurt à son tour… vous irez voir par vous-mêmes pourquoi DIEU le fait mourir. Voyez comme le sort est sournois : lui qui a fait passer Joseph pour mort auprès de son Jacob, voilà qu’à son tour, il va faire l’expérience de la mort de ses propres fils ! Est-ce que DIEU voudrait ici le sanctionner ? Peut-être, mais pas au sens où l’on pourrait le croire. Car Thamar, ici, va tenir son rôle de femme, c’est-à-dire de gardienne de la Sagesse au service du plan de DIEU, toute cananéenne qu’elle soit.

Car ici, la tradition est assez claire, qui remonte à Philon d’Alexandrie : oui, Thamar est une idolâtre, MAIS elle s’est convertie ! La suite le montre : elle croit au DIEU-Un, et, un peu comme tous les convertis, elle va mettre toute son énergie à servir le DIEU d’Abraham, Isaac et Jacob. 

Ceci dit, on comprend que Juda hésite à donner à Thamar son troisième fils, quand bien même la Torah l’y oblige… Tant et si bien qu’il ne trouve pas de meilleur moyen que de renvoyer Thamar chez les siens, vers Bethlehem.. 

Et voilà que Juda devient veuf à son tour, et vient un jour à passer dans la région de Bethlehem. Et Thamar d’envisager un stratagème — vous voyez : on est toujours dans les stratégies… — : elle se déguise en prostituée, le séduit et couche avec lui, non sans lui demander des gages en attendant qu’il puisse la payer : il lui donne son anneau à cachet, le cordon avec lequel il le portait et son bâton, ce qui signifie à tout le moins qu’il avait gardé un vrai pouvoir de chef.

Et voilà qu’elle est enceinte ! Elle fait savoir à Juda qui, ignorant le stratagème, ordonne de faire brûler Thamar ! Charmant !!! Il reste dans une dynamique mortifère ! 

Mais elle lui fait porter les insignes de celui qui l’a mise enceinte et évidemment, Juda les reconnaît. Et là, il loue la sagesse de cette femme : « Elle est plus juste que moi ! », s’exclame-t-il ! C’est là qu’on voit qu’elle est belle, comme une palme ! Et de fait, elle enfante deux jumeaux dont Pérèç, nom qui signifie « brèche » : comme si une brèche avait été percée pour permettre à l’Alliance de ne pas se refermer sur elle-même. Pèrèç, sera l’ancêtre de David.

Voilà le nœud ! Ayant porté la mort parmi les fils de Jacob, Juda a lui-même été frappé par la mort de ses propres fils. Comme si quelque chose de la fécondité de l’Alliance avait été rompu ! Il a donné la mort et voici que la mort le frappe ! Et la Bible nous montre comment une femme, une étrangère de surcroît mais qui a rejoint la lignée d’Abraham — ouvre une brèche dans cette descente infernale, redonne la vie et réinscrit Juda dans l’Alliance !

Thamar a un peu le tempérament de Rébecca : là où la matriarche a développé tout un stratagème pour assurer la pérennité de la bénédiction paternelle à Jacob, celui de ses fils qu’elle juge en être le plus digne, Thamar, elle, va manifester qu’on ne se moque pas impunément d’une femme qui s’est attachée à la descendance d’Abraham ! Et la Bible va même vanter sa vertu : quand Boaz épousera Ruth, les habitants de la ville la béniront en disant : « Que ta maisonnée soit comme la maisonnée de Péreç, celui que Thamar a enfanté à Juda ! » Ruth, cette Moabite qui avait épousé l’un des fils de Noémie qui à son tour épousera l’Alliance pour que son mari ait une descendance — nous le verrons lorsque nous lirons le lire de Ruth —. Et pas n’importe quelle descendance, s’il vous plaît : Ruth sera l’arrière grand-mère de David ! Et comme par hasard, à la fin du livre de Ruth, la généalogie de David part de Pérèç, le fils de Thamar ; passe par Booz et Ruth, qui engendrent Obed, qui engendre Jessé, qui engendre David ! 

Voyez : c’est ainsi que joue la Bible : aux hommes l’élection, mais aux femmes de la garder dans les moments où elle est la plus menacée. C’est cela, être gardienne de la Sagesse. Thamar est même tellement dans son rôle qu’elle sera mentionnée dans la lignée de Jésus, en Mt 1,3. C’est au point que, même si les matriarche ont joué leur rôle, aucune d’elles n’est mentionnée dans cette généalogie qui compte trois femme : Thamar, Ruth et Bethsabée, la femme de Urie le Hittite — nous parlerons de cette histoire en son temps —. Les femmes ne sont nommées que dans la mesure où, par elle, quelque chose d’exceptionnel a dû intervenir pour préserver l’Alliance et lui permettre de s’accomplir… Étonnant, non ?

Donc l’Alliance, malgré le crime des frères, est maintenue vivante ! Ouf, nous dit le ch. 38 ! Ceci posé, on peut donc revenir à Joseph et voir jusqu’où nous mènera cette saga prodigieuse. Mais ce sera pour la prochaine fois !

Je vous remercie.