15-04-2020

[Dt] Pas de peuple sans mémoire

Deuteronomy 1:9-19 par : le père Alain Dumont
Beaucoup de choses nous sont dévoilées dans ces dix versets qui rappellent la mise en état de marche du peuple avant de quitter le Mont HoRèV. En particulier le serment du peuple à suivre les directives inspirées de Moïse ; serment qui n’engage rien de moins que toute son histoire à venir.
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous poursuivons la lecture du 1er ch. du Deutéronome à partir du v. 9. Ce v. 9 est très important : juste après avoir rappelé ce que YHWH avait dit, voilà que Moïse prend la main : « Je vous ai parlé ainsi en ce temps-là : “je ne peux pas, moi seul, vous porter.” » (Dt 1,9) Alors, à bien se souvenir, on avait eu le même problème en Ex 18 où YéTeRO, le beau-père de Moïse, lui avait conseillé d’instituer des juges pour l’aider à gérer les litiges. À un autre endroit, la même plainte était revenue devant YHWH en Nb 1, à l’origine de l’institution des 70 anciens chargés de veiller sur le peuple.

Alors c’est là où c’est intéressant parce que les v. 10 à 14 reprennent à la fois des éléments, et de la tradition d’Ex 18, et de celle de Nb 11 ; et c’est là où l’on voit le tissage qu’opère le rédacteur : il a à sa disposition deux traditions qu’il va tresser entre elles, parce que dans la pensée analogique, la question n’est jamais de ne retenir qu’une seule version sélectionnée contre toutes les autres — une version “vraie”, quelque part, qui rendrait toutes les autres “fausses” —. Toutes les traditions, qui viennent de diverses sources, ont leur pierre à apporter à l’édifice, aussi la pensée analogique préfère-t-elle toujours faire en sorte de les associer, de les tisser entre elles ; et pour ça, rien ne vaut la composition d’un RÉCIT, encore et toujours, de sorte que ces traditions puissent être MÉMORISÉES, et soutenir de la manière la plus riche possible la MÉMOIRE de TOUT ISRAËL.

Redisons-le tellement c’est essentiel : avec l’avènement des Lumières, cette forme de pensée analogique s’est vue systématiquement entachée de suspicion, au point de devenir complètement étrangère à notre intelligence occidentale forgée, par CHOIX, sur le SEUL principe de l’analyse. C’est pourtant la pensée portée par ce qu’on appelle l’ORALITÉ, fondatrice entre autres de la pensée sémitique comme de toutes les sociétés familiales, claniques, souvent nomades, mais pas seulement. Il ne faut donc pas s’étonner que dans une société comme la France, purement rationaliste, la famille soit une notion qui n’ait plus aucun sens ! La transmission étant exclusivement déléguée à l’école, la famille n’est plus que le lieu d’un élevage de marmots et du bien-être qu’on vend à des couples en les rassurant : « ne vous en faites pas, si ça ne marche pas, vous n’aurez qu’à divorcer ! » Et les blessures de la MÉMOIRE que cette négligence de la famille, du clan, du peuple entraîne ? Mais nos élites ne savent même pas de quoi on leur parle en évoquant ces traumatismes ! « Ils n’ont qu’à aller voir un psy ! » Tu parles !

Et là, il faut peut-être se rappeler qu’on doit ce réflexe rationaliste en grande partie à Galilée et à notre Descartes national qui découvrent l’analyse possible, respectivement géométrique et mathématique, du réel. C’est juste formidable ! Sauf si vous en concluez que le réel, désormais, se réduit à ce que ces analyses en disent. Et là, je vous lis un passage du philosophe Michel Henry dans l’un de ses rares propos relativement compréhensibles — c’est un grand philosophe, un vrai maître à penser, mais c’est vrai qu’en règle générale, il faut s’accrocher pour le lire. « Il s’est produit au début du xviie siècle une immense rupture dans l’histoire des sciences. Jusque-là les hommes croyaient que le monde est le monde sensible, le monde réel : avec des couleurs, des odeurs, des sons. Puis Galilée […] est venu affirmer que les corps n’ont pas de couleur, pas d’odeur, ne sont pas sonores mais qu’ils sont matériels, étendus, qu’ils ont des formes. Or pour connaître ces formes, il existe un savoir qui est la géométrie. Cela suppose que la connaissance sensible n’a aucune valeur, tout au plus un intérêt pratique dans le sens où elle vous permet de ne pas vous brûler lorsque vous approchez la main de la flamme, mais les corps, eux, ne sont pas brûlants. La thèse de Galilée est donc qu’il n’y a de connaissance que non sensible du monde, qui ne saurait être connu que par la géométrie.

[…] Descartes a ajouté que la connaissance géométrique des corps matériels pouvait être exprimée mathématiquement. C’est un progrès décisif qui a déterminé la science moderne et lui a permis de faire un bond en avant considérable. […] À la suite de Descartes, il y a eu bifurcation. Ceux pour qui le savoir est contenu dans la connaissance géométrico-mathématique des corps matériels ont mis entre parenthèses le savoir […] de la conscience par elle-même, de la vie, tout savoir “pathétique” — où l’homme éprouve vraiment qui il est, et l’analogie fait partie de ce processus où l’homme parvient à se dire et à s’élever — qui fait l’homme. » Michel Henry, Entretiens, Sulliver 2007, p. 137-138.

Et c’est vrai qu’on a des textes de Descartes étonnants, comme dans ce passage de ses Règles sur la direction des esprits où il exprime ce que représente, pour lui, être philosophe : « Nous ne deviendrons jamais philosophes, si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d'Aristote, et que nous sommes incapables de porter un jugement assuré sur les sujets qu'on nous propose ; dans ce cas, en effet, ce ne sont point des sciences que nous aurions apprises, semble-t-il, mais de l'histoire. » (René Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, iiième règle, 1628).

Alors attention, toute la proposition de Descartes n’est pas fausse : inutile effectivement de posséder un savoir encyclopédique s’il ne permet pas de réfléchir par soi-même. Mais là où Descartes pèche, c’est sur son mépris de l’histoire — et de fait, on ne trouve nulle part chez lui de réflexion sur l’histoire. Dans un autre texte, le Discours de la Méthode, il compare l’étude de l’histoire à un voyage dans les pays lointains qui fait oublier la vie concrète. Ce qui veut dire que pour lui, tout ce qui relève de la mémoire est frappé de déconsidération, et rejeté sans autre forme de procès.

Or à partir de là, exit la Bible et la foi au profit de la seule raison autonome, de la rationalité pure. Tout ce qui ne rentre pas dans le cadre de la rationalité analytique est insignifiant parce qu’inefficace ; et on arrive ainsi aux portes des Lumières qui se répand jusqu’à aujourd’hui comme la pensée dominante. Non que le rationnel soit à rejeter — comme le dit Michel Henry, les sciences pratiques sont toutes nées à partir de là ; il serait donc stupide de le nier. Mais ce qui est grave, c’est d’avoir interdit à l’homme, à partir de ce fondement, de pouvoir réfléchir sur une autre base qui lui est pourtant essentielle, à savoir l’ANALOGIE, et de lui retirer violemment les récits qui en sont la forme. Un pur analyste est incapable de raconter quoi que ce soit autrement que sous la forme documentaire ou processuelle ! Et c’est juste mortifère ! C’est ce qui conduit au Meilleur des Monde de Huxley dont on a déjà parlé.

Tout ça pour dire quoi à propos du Deutéronome ? Eh bien pour réaffirmer que l’ANALOGIE — pardonnez-moi de tant insister, mais le Deutéronome, je crois, nous est vraiment donné aujourd’hui pour nous faire une piqûre de rappel — l’ANALOGIE donc, est vraiment ESSENTIELLE à la pensée, non plus seulement rationnelle, mais RAISONNABLE. Or la pensée RAISONNABLE est SAGESSE en ce qu’en s’appuyant sur l’héritage d’une histoire RACONTÉE ; assimilée par la MÉMOIRE, elle sait prendre soin du présent et maintenir ouvert l’avenir des peuples — ce dont ne se préoccupe absolument pas le rationalisme pur, si ce n’est à travers la notion très discutable de « progrès ». On ne revient sur cette question, on en a déjà suffisamment parlé par ailleurs.

Tout ça pour bien montrer que quand le Deutéronome convoque à faire MÉMOIRE, ce n’est pas simplement par effet de style, mais bien pour féconder le présent et engager l’avenir de TOUT ISRAËL dans une trajectoire d’élévation portée de génération en génération ; chaque génération prenant soin des précédentes qu’elle écoute, et des suivantes pour lesquelles elle travaille. C’est là toute la tragédie de la génération d’après guerre qui a décidé qu’elle profiterait de l’instant présent en rejetant l’enseignement de ses pères et en rejetant ses gaspillages sur les générations suivantes qui allaient être chargées de payer l’addition. Or comme je vous parle au moment de la crise économique provoquée par la pandémie du Covid-19, l’enjeu est juste essentiel : si on veut repartir sur des bases saines, il faudra revenir à cette mémoire, d’une manière ou d’une autre ! Et là, je ne vois pas comment dire plus clairement comment la TORâH nous montre le chemin de la vraie vie, comment elle nous montre le Christ dont le Deutéronome est la mémoire, donc la nôtre… Le Deutéronome est une MATRICE qui nous est donnée pour nous encourager, par la voix de Moïse, à faire mémoire, encore et encore, sans jamais nous lasser. Ce faisant, il fait une œuvre de sagesse, de vie, et donc de salut. Et il touche la pensée en général à qui il offre de REVENIR AU SENS ! Et pour ça, pas d’autre chemin que l’écoute des anciens, pour leur emboîter le pas.

Pour le dire autrement, et encore pardon de tant insister, grâce à cette pensée analogique, les rédacteurs tissent le récit du Deutéronome à travers les traditions qu’ils recueillent. Mais c’est pour que chacun d’entre nous ose à son tour se donner pour tâche de raconter sa propre histoire enracinée dans le terroir qui le précède. C’est pour nous ouvrir l’accès à notre propre histoire que le Deutéronome déroule la sienne par la bouche de Moïse ; notre histoire non pas comme une compilation rationnelle d’archives mais comme la REPRISE des événements relus et racontés à la lumière de la mémoire de nos anciens. Une REPRISE qui devient en nous une HISTOIRE SAINTE, c’est-à-dire unifiée, pleine de sens et dont le tissage en un récit va présider notre tempérament, notre caractère et donc nos pensées et nos actes de chaque instant. Savoir se raconter, c’est savoir s’approprier les événements de sa propre vie, non pour le seul plaisir de mieux se posséder soi-même mais pour pouvoir TRANSMETTRE à nos enfants, notre clan, notre famille et notre peuple, l’histoire d’une humanité dont chaque génération se découvre ainsi LIÉE aux autres et à YHWH ; LIÉE, c’est-à-dire EN ALLIANCE ! Ce que la psychologie rappelle comme essentiel à toute croissance personnelle, en termes d’attachement.

Alors poursuivons la lecture. Simplement remarquer au v. 10 l’expression : « YHWH, votre ‘ÈLoHîM » typique du rédacteur ; une expression qui reviendra plus de 45 fois au fil des chapitres.

Par ailleurs, concernant la multiplication du peuple devenu « aussi nombreux que les étoiles du ciel », la référence est celle de la prière de Moïse en Ex 32,13, mais fait surtout allusion à la bénédiction prononcée par YHWH en faveur d’‘AVeRâHâM, en Gn 15,5 ; précisément le chapitre où YHWH tranche une ALLIANCE avec le patriarche. Comme pour nous dire que cette initiation de l’Alliance trouve, avant même l’entrée en KaNa“aN, un premier accomplissement : ce n’est pas sur le sol de KaNa“aN que le peuple s’est multiplié, mais avant, dans le Désert. Donc la bénédiction promise à ‘AVeRâHâM n’est pas liée au sol. Autrement dit, ce n’est pas l’habitation sur le sol de KaNa“aN qui est signe de l’ALLIANCE, mais bien cette aptitude spirituelle à faire mémoire, où que vous soyez, et même en Exil évidemment ! C’est cette aptitude spirituelle qui FAIT LE PEUPLE et le fait s’accroître ; qui fonde sur le ROC la maison d’Israël. Autrement dit, c’est cette aptitude spirituelle qui marque charnellement la descendance d’AVeRâHâM, et que saint Paul appellera la FOI. Une FOI qui, par greffage, va marquer à son tour la CHAIR des nations par le Christ Jésus ; des nations qui, par la FOI donc, recevront ‘AVeRâHâM pour père : « Vous êtes fils de Dieu à travers la FOI en Christ Jésus ; vous tous, en effet, qui avez été baptisés en Christ, c’est le Christ que vous avez revêtu. Il n’existe pas de Juif ni de Grec ; il n’existe pas d’esclave ni d’homme libre ; il n’existe pas d’homme ou de femme. Vous tous êtes UN en Christ Jésus. Si alors vous êtes du Christ, par conséquent, vous êtes de la semence d’‘AVeRâHâM, héritiers selon la promesse. » (Ga 3,26-29)

Cet accomplissement, énoncé dès le début du livre, rappelle au peuple que malgré les épreuves traversées, YHWH est fidèle. De sorte que raconter l’histoire de TOUT ISRAËL au moment où le peuple va prendre un nouvel essor, ne saurait se dispenser de faire mémoire de cette ALLIANCE. C’est par exemple l’objet du Magnificat de la Vierge, en Lc 1,46-56. Marie ne fait rien d’autre, en une magnifique composition très finement ciselée, que de tisser l’histoire en rappelant notamment la bénédiction d’AVeRâHâM en sa descendance ; une descendance qui, par sa MÉMOIRE, assume l’ALLIANCE jusqu’à donner naissance au Messie de YHWH ! Et donc, à l’image de Marie, il convient à tout chrétien de relire sa propre histoire à la lumière de cette ALLIANCE dont il se trouve être bénéficiaire par son baptême ! Et là, c’est un bon exercice auquel nous convie le Deutéronome : à savoir prendre le temps de discerner quelles sont les promesses de l’ALLIANCE qui, dans notre existence, ont été portées à leur accomplissement ; redécouvrir par là ce que bénit le Seigneur en nous, et décider de l’avenir en fonction du sens qui s’éclaire à la lumière de cette REPRISE de notre histoire. Quand on fait une retraite de discernement par exemple, ce type de REPRISE en constitue l’un des exercices essentiels.

Alors pour en revenir à notre chapitre, Moïse pose donc comme principe que ce qu’a promis YHWH s’est accompli dans une première phase : le peuple s’est multiplié. C’est lourd à porter, mais le poids du fardeau ne doit pas cacher que cette multiplication du peuple est une bénédiction, précise le v. 11 : « Puisse-t-Il vous faire croître mille fois plus ! » Et ça, aujourd’hui, pour un Juif, c’est une parole d’or : toute la fierté des femmes juives un minimum pieuses ne consiste pas tant à “avoir” des enfants qu’à DONNER des enfants à son peuple en signe de la bénédiction de YHWH. Et là, il y a de quoi réfléchir pour tous.

Ceci dit, Moïse revient sur le poids de la charge, mais ici, la construction du texte est décisive à percevoir. L’inclusion est évidente entre le v. 9 et le v. 12, ce qui signifie que le point essentiel ici n’est pas que la charge pèse sur Moïse mais, comme l’exprime le v. 11 entre les deux, que cet accroissement du peuple soit une réelle bénédiction ! Et dans le cadre de l’Oralité, ça fonctionne très bien !

Ensuite, le v. 13 reprend l’idée d’Ex 18,21 : « Tu distingueras d’entre tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes sûrs, ennemis du gain. » (Ex 18,21) On est ici sur une notion de justice ; tandis que notre v. 13, lui, est plus sur des propos de sagesse, qui est le signe d’une rédaction plus tardive : « Désignez-vous des hommes sages, intelligents et éprouvés pour chacune de vos tribus et je les mettrai à votre tête. ». Autant, si vous voulez, jusqu’à l’Exil, on préfère parler du JUSTE ; autant, après l’Exil, sous l’influence notamment de la culture perse, on s’orientera vers le SAGE. Mais l’idée est la même. Si je vous précise tout ça, c’est pour qu’on perçoive qu’il a fallu du temps pour élaborer ces textes. Et selon qu’on va fixer tel ou tel récit à une époque plutôt qu’une autre, les concepts vont évoluer, quand bien même le substrat du récit demeure.

Le v. 14, lui, relève d’un style assez typique du Deutéronome, à savoir le dialogue : « J’ai parlé ainsi », au v. 8 / et ici : « Vous avez parlé ainsi ». Et de fait, la ratification de la parole de Moïse par le peuple semble être un autre souci de l’auteur : par cette parole — entre autres… je pense aussi à Ex 19,8 : « Tout ce qu’a dit YHWH, nous le ferons ! » ; et puis encore en Ex 24,7 : « Tout ce qu’a dit YHWH, nous le ferons et nous l’écouterons ! » ; tout ça c’est la même veine deutéronomiste — Par ces paroles, donc, le peuple s’est engagé, au sens où il s’est CONSACRÉ à YHWH dès le désert ; de sorte que ces paroles, prises à témoin, deviennent un élément du procès d’ALLIANCE qui marque les interventions prophétiques en Israël. Une pensée prophétique qui habite profondément l’auteur du Deutéronome, en substance : « Avec Moïse, on s’est consacré à YHWH — soyez saints/consacrés parce que Moi, Je suis saint — ; voilà notre tradition, notre raison d’être ! Alors YHWH a le droit de nous mettre en procès, non pour nous condamner mais pour faire appel à notre fidélité. » Il faut bien comprendre que cette consécration dans le désert, surtout à partir de l’Exil où Israël en prend plus que jamais conscience, ne constitue ni plus ni moins que sa plus grande fierté ; sa NèPhèSh, c’est-à-dire son âme, sa vie ! »

Alors on poursuit : le peuple s’organise comme une armée ! C’est sûr que si on avance en désordre, on n’ira pas bien loin face à la résistance des habitants du sol de KaNa“aN. C’est alors que paraissent des personnages nouveaux, en tout cas jamais vus auparavant dans les récits de la TORâH, mais qui auront du succès puisqu’on les retrouvera à l’époque du Christ Jésus : voilà donc paraître les fameux « SCRIBES » ! Un par tribu, nous dit-on — ce qui n’est pas grand-chose, mais qui signifie tout de même, à tout le moins, que chaque tribu est considérée comme administrativement autonome. Alors là, il y aurait sans doute beaucoup à dire parce qu’au dire des historiens, on ne peut véritablement parler de SCRIBES au sens institutionnel qu’à partir du ve siècle avant J.-C., c’est-à-dire la période perse. Mais dans la mesure où une écriture existait depuis la fin du iie millénaire, inspirée de l’écriture phénicienne, on ne peut pas rejeter totalement l’idée que des scribes aient officié dès les premiers royaumes qui composaient Israël et Juda. Ne serait-ce que d’un point de vue administratif. Reste néanmoins que l’institution, elle, date bien de l’époque perse ; alors que les Judéens ont adopté cette fois l’alphabet carré consonantique qu’on connaît aujourd’hui et qu’un Moïse, lui, n’a jamais pratiqué. Cet alphabet a été adopté et généralisé par l’Assyrie sur tout son empire. C’est ce qui a donné l’Araméen dont l’hébreu — comme l’arabe du reste — est un dialecte particulier. Il y a d’ailleurs bien des chances pour que, lorsque Josias découvre le rouleau du Temple à partir duquel la TORâH est née, il ait été rédigé en alphabet araméen.

Toujours est-il que cette évocation des scribes rejaillit sur chaque tribu que le récit, quand bien même ce soit anachronique, constitue en région à la manière perse ; au sein donc d’une fédération, avec son administration propre dont les scribes seront les hauts fonctionnaires.

Les v. 16 à 18 inscrivent quant à eux l’interdit de corruption pour un gouvernement JUSTE au sein de chaque tribu à une époque où, après l’installation sur le sol, les dossiers les plus lourds seront entendus par la plus haute juridiction, au lieu choisi par YHWH. Ceci dit, en ce qui concerne le Royaume du Nord d’avant l’invasion par l’Assyrie, la juridiction suprême était répartie dans plusieurs grands centres sanctuarisés comme SéKhèM, BéYT-‘ÉL, ShîLoH et plus tard DâN ; mais quand les réfugiés d’Israël rejoindront le Royaume de Juda pour se mettre sous sa protection, c’est Jérusalem qui prendra la relève, de sorte que la tradition pourra dire que ce que visait Moïse, de manière voilée, c’était l’éclosion de Jérusalem. Ce que sous-entend le v. 18, tout simplement, sous le couvert de ce que Ex 18 a déjà développé concernant l’institution des juges du peuple sur le conseil de YéTeRO, le beau-père de Moïse.

Une fois cette base constituée, le peuple peut alors quitter l’HoRèV jusqu’à QâDéSh-BaReNé“a, soit les 11 jours de marche précisés au v. 2, de sorte qu’on a avec le v. 19 une inclusion qui délimite l’INTRODUCTION du premier ensemble du livre, jusqu’à la fin du ch. 3. En substance : « Faites-face et partez vers vous, peuple désormais consacré à YHWH ! »

Est-ce que ça a été simple pour autant ? Pas vraiment, et c’est ce que va nous rappeler la suite, que nous verrons la prochaine fois. Je vous souhaite une bonne lecture de ces versets introductifs.

Je vous remercie.

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