08-05-2020

[Dt] Mais à qui parle Moïse ?

Deuteronomy 2:1-25 par : le père Alain Dumont
YHWH ordonne à Israël de reprendre la marche vers KaNa“aN. La génération de mauvaise foi a laissé place à la nouvelle génération dont on peut espérer qu’elle saura, mieux que ses pères, écouter son Dieu. Mais est-ce pour autant mépriser la génération sortie d'Égypte ?
Transcription du texte de la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/mais-a-qui-parle-moise.html
Tous droits réservés.
Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
______________________________________________________________

Bonjour,

On a vu dans le ch.1 ouvrant le Deutéronome la question de l’importance de la foi pour recevoir — ou non, dans le cas de la mauvaise foi — l’héritage de YHWH, et nous entamons aujourd’hui la lecture du ch. 2. Alors ne vous en faites pas, on va cette fois aller beaucoup plus vite. Le ch. 1 posait des fondements, donc il fallait prendre le temps.

Donc : la narration se poursuit de sorte que le v. 1 se greffe sur l’ordre du v. 40 du ch. précédent : « Allez ! Faites face et partez pour le désert sur la route du YaM SouF — la Mer des Jonc où les eaux se sont écartées pour laisser passer le peuple. » (Dt 1,40) Et le v. 1 du ch. 2 de répondre : « Nous avons fait face, nous sommes partis pour le désert sur la route du YaM SouF. » (Dt 2,1)

Eh oui : ils venaient de dire qu’ils étaient mieux en Égypte, alors qu’ils y retournent pour voir !!! Vraiment la mauvaise foi dans toute sa splendeur pour ne pas répondre aux exigences de l’Alliance ! Ceci dit, vous et moi, on fait la même chose : quand on n’a pas envie d’entendre l’appel du Christ, on trouve toujours toutes les raisons du monde pour justifier une mauvaise foi ! Comme quoi le récit parle bien d’AUJOURD’HUI, de vous, de moi, de tout homme dont les faits et gestes s’enracinent profond dans la mémoire collective judéo-chrétienne ! Et c’est tant mieux, parce que ça nous éclaire sur notre propre fonctionnement, et ça nous permet de nous ressaisir, le cas échéant, par l’exercice de la foi en Christ.

Alors Moïse raconte le retour qui semble aller jusqu’au sud de ‘ÉDoM où TOUT ISRAËL erre pendant le temps d’une génération dont on ne saura strictement rien, puisque dès le v. 3, il s’agit de remonter vers le Nord en traversant ‘ÉDoM, dénommé ici le territoire de « vos frères, les fils de “ÉSsâW », Ésaü, une expression que reprendra le v. 8. L’injonction est la même qu’en Dt 1,6 mais adressée cette fois à la génération suivante que YHWH dirige ainsi sur les pas de ses pères.

Alors en soi, le récit est pour le coup assez différent de celui de Nb 20,14-21 puisque cette fois, il n’est question d’aucune inimitié entre Israël et les fils de “ÉSsâW, les ‘ÉDoMîYîM/Édomites. Sans doute le récit du Deutéronome est-il branché sur la même tradition que pour Gn 33 qui rapporte une réconciliation entre Ya”aQoV et “ÉSsâW — quand bien même une part de la tradition rabbinique voit en “ESsâW un être pervers pour tout un tas de raisons ; vous pourrez aller voir les vidéos qui concernent ce passage et où j’explique un peu tout ça. Par ailleurs, le livre des Nombres ne rapporte pas non plus d’affrontement entre les deux peuples, ce qui signifie à tout le moins que la mémoire retient qu’il y a entre ces deux peuples un lien qui leur interdit dans le même temps de se combattre et de s’ignorer. En tout cas, il est bien notifié que du sol de ‘ÉDoM, YHWH ne donne rien à Israël : ce sol appartient aux fils de “ÉSsâW. Or pourquoi cette précision, sinon pour sous-entendre qu’un don a été fait par YHWH à l’un comme à l’autre peuple, ce qui les constitue d’une part l’un et l’autre héritiers, donc frères ; et ce qui leur interdit d’autre part d’empiéter sur leurs héritages respectifs.. Enfin quoi qu’il en soit, Moïse raconte simplement qu’Israël s’écarte par prudence.

Un autre pacte de non-agression est réitéré aux v. 9 et 19, au regard cette fois de MO’âV, qu’on connaît bien maintenant. MO’âV qui est désigné par le rédacteur comme fils de LOT, le fameux “neveu” de ‘AVeRâHâM de la tradition patriarcale. Alors là encore, c’est un tissage : la tradition orale a gardé en mémoire un lien entre ces deux peuples dont les cultures et les langues sont très proches. Il est alors normal que, dans une pensée analogique, on les articule à partir de leurs origines. On a deux peuples affiliés ; deux patriarches en lice, avec deux histoires de fondation. Au moment de la rédaction du Deutéronome et de la Genèse, JUDA est devenue la tribu protectrice du reste d’Israël ; et comme c’est son histoire que la TORâH raconte, il est normal que le patriarche principal de la tribu de Juda prenne la place de père. Comment, dès lors, qualifier le lien avec MO’âV, qui n’est pas du même ordre qu’avec les clans répartis sur le territoire d’Israël ? On ne peut pas donner à LOT le statut de fils. On lui donnera alors celui de neveu de ‘AVeRâHâM. On associera leurs histoires : même origine, solidarité dans les moments de crise ; mais en même temps, on ne taira pas les différences, voire les animosités. Et là, il faut bien admettre qu’Israël ne porte pas les fils de LOT dans son cœur. Des fils issus d’une histoire sordide, puisque le ch. 9 de la Genèse rapporte que l'aînée des filles de LOT, inquiète de ne pas trouver d'hommes dans le pays, enivre son père pour s'accoupler avec lui à son insu ; et pour ne pas en rester là, elle incite sa sœur à faire la même chose, si bien qu’elles tombent toutes les deux enceintes de leur père ! L'aînée donnera naissance à MO’âV, l’ancêtre des MO‘âVîM/Moabites ; et la cadette donnera naissant à Ben-Ammi, l’ancêtre des “AMMoNîM/Ammonites. Ceci dit, au Moyen-Orient, désigner un peuple comme la descendance d’un inceste, c’est carrément le traiter de fils de chien !!! Donc on peut vraiment dire que ce n’est pas le grand amour ! Mais attention : YHWH est aussi le dieu tutélaire de MO’âV — du moins d’après le rédacteur deutéronomiste, parce que dans les tablettes de l’époque, les MO‘âVîM nomment leur divinité KéMoSs. Reste que d’après la Genèse, LOT vénérait la même divinité que ‘AVeRâHâM ; donc ça n’est pas parce que les MO‘âVîM le nomment KéMoSs qu’il s’agit obligatoirement d’une autre entité —. Enfin, quoi qu’il en soit, d’après la TORâH en tout cas, c’est YHWH qui leur a conféré leur territoire ; donc au nom de cet héritage, pas question pour Israël de le revendiquer pour lui !

Alors on pourrait se dire : c’est quoi, l’intérêt de raconter tout ça ? Eh bien l’intérêt, c’est qu’on touche une dimension essentielle de la conquête d’Israël, à savoir qu’il ne s’agit pas de remporter des victoires pour le plaisir de remporter des victoires et asseoir un empire à la manière de l’Égypte ou de l’Assyrie. Il s’agit uniquement, mais impérativement, d’habiter le sol que YHWH a destiné au peuple élu comme son héritage, ceci afin de Lui rendre le culte qui Lui convient et dont Moïse parlera à partir du ch. 5. Et l’histoire deutéronomiste — les Livres de Samuel et des Rois — se chargera de bien montrer qu’à chaque fois que des rois de Juda ou d’Israël auront manigancé des alliances politicardes nauséabondes, YHWH enverra des prophètes comme garde-fous : « Israël N’EST PAS une nation comme les autres ! », diront-ils sur tous les tons ! Israël doit d’abord et avant tout tenir sa place dans le cœur de YHWH ! Une place que le prophète du Nord, Osée, qualifiera de NUPTIALE ; ce qui ne changera rien de moins que toute la physionomie de la Bible ! Se savoir épousée par YHWH devrait dispenser Israël de vouloir guerroyer pour étendre un pouvoir dont le nerf consisterait à manipuler l’Époux divin pour Le réduire au rang de faire-valoir des intérêts étriqués d’un peuple médiocre et insignifiant. Ça, YHWH ne le laissera jamais advenir, et l’auteur deutéronomiste en a pleinement conscience : c’est à une GRANDEUR singulière qu’est appelé Israël, comme le spécifiera le ch. 4 : « Vous obéirez et vous ferez [les décrets et les règles de YHWH], car c’est là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples qui entendront parler de tous ces décrets et parleront ainsi : “Ce ne peut être qu’un peuple sage et intelligent que cette grande nation !” Quelle est en effet la grande nation qui ait des ‘ÈLoHîM aussi proches d’elle qu’est YHWH, notre ‘ÈLoHîM, à chaque fois que nous L’invoquons ? Et quelle est la grande nation qui ait des décrets et des règles aussi justes que toute cette TORâH que je place devant vous aujourd’hui ? » (Dt 4,6-8) Donc voilà : la grandeur d’Israël ne se mesure pas à l’étendue inconsidérée d’un territoire qui ne refléterait qu’une mégalomanie pathétique de conquérants pervers. La grandeur d’Israël tient dans son ÉLECTION NUPTIALE qui lui fait demeurer de plein droit sur le sol reçu en héritage afin de rendre un culte à YHWH, son Époux ; au sein d’une ALLIANCE appelée à rayonner sur toutes les nations en vue de l’illumination de la multitude ! Il faudra du temps pour qu’Israël reçoive CHARNELLEMENT cet appel, mais c’est vraiment là le projet divin qui ne motive rien de moins que la CRÉATION tout entière ! C’est vous dire !

Alors pour en rester à notre texte, les v. 10 à 12 se présentent comme une mini-chronique historique qui manifeste que lorsque YHWH donne un sol, ce n’est jamais sans que les bénéficiaires y mettent du leur pour le recevoir — ça, j’espère qu’on commence à bien le comprendre. Et en l’occurrence, il a fallu que les fils MO’âV et ceux de ‘ÉSsâW conquièrent pour les mêmes raisons le sol qui leur revenait en héritage. Or, nous dit-on, ils ont dû pour ça combattre le peuple imposant des RePhâ‘îM qui l’occupait jadis — on parle d’eux en Gn 14 à propos de la campagne de ‘AVeRâHâM pour aller libérer LOT emmené en captivité —. Et revoilà les fameux géants qui paraissaient comme des demi-dieux dans la mémoire des clans de la région. Ils ont reçu différents noms : Juda les appelait les ‘ANaQîM ; MO’âV, les ‘ÉNîM ; “AMMON, les ZaMZouMîM. Je vous dis tout ça parce que ces noms sont dans le texte et encore un peu plus loin — on les a par ailleurs déjà trouvés en Gn 14 — ; donc si on n’est pas un tant soit peu informé, tout ça passe au-dessus de la tête. Maintenant, à quoi cette peuplade primitive de géants correspond historiographiquement, on n’en sait trop rien. En lien avec des fragments ougaritiques qui parlent aussi de RePhâ‘îM, il semble qu’il ait eu dans l’Antiquité un culte rendu à des morts à qui l’on reconnaissait la vertu de “revivifier”, c’est-à-dire de redonner la fécondité ; et donc par extension, ces morts ayant nécessairement vécu à une époque ou à une autre, la mémoire en rattache l’origine à cette peuplade singulière de géants… Bon. En soi ça n’est pas très important pour nous, mais c’est en tous les cas le fait, pour MO’âV et ‘ÉDOM, d’avoir consenti à les combattre au Nom de YHWH qui leur immunité est acquise, tout adultère que fut leur fondation qui les rattache malgré tout, par LOT, à la parenté de ‘AVeRâHâM ; immunité que même Israël, donc, ne saurait violer.

Restent enfin les H.oRîM qui se rattachent aux Hourrites, un peuple venu du Nord de la Mésopotamie ; mais bon, là, on n’en dira pas plus.

Donc vraiment, Moïse cadre son peuple. En substance : « Tu n’es pas comme les autres nations ; tu n’es pas là pour étendre ton pouvoir ; et la bénédiction de YHWH en ta faveur ne se mesurera pas à proportion de l’étendue de ton sol. L’important est D’OBÉIR pour déjà aller prendre possession de l’héritage qui te revient, point final ! », ce qui est bien plus difficile que de fanfaronner en faisant péter les muscles face aux autres peuples pour les impressionner. Tous ceux qui ont fait ça ont régné un temps puis ont disparu, et ceux qui le feront à leur tour passeront de la même manière. Or la vocation d’Israël n’est pas de passer. Il faut donc bien pérenniser son statut.

Du coup : Allez, maintenant, il faut y aller ; et Moïse de raconter l’injonction de départ intimée par YHWH. À ce moment, en tant que lecteur, on se demande si Israël va enfin obéir dans la mesure où dans cette obéissance, c’est NOTRE vie même qui est en jeu ! Ceci dit, la colonne du peuple s’ébranle et passe le torrent du ZèRèD. Ouf.

Les v. 14-15 font quant à eux un bilan de la génération de mauvaise foi. Avec le franchissement du torrent, une étape est franchie : on relit donc rapidement la page précédente avant de la tourner, ne serait-ce que pour bien entériner les affaires : encore une fois, la génération de la sortie de MiTseRaYîM n’a pas été purement et simplement éradiquée ! Suite à sa mauvaise foi, elle a certes dû subir une sanction — et là, les termes sont violents, mais au moins la leçon, vraiment charnelle, ne risque pas d’être oubliée — ; reste qu’elle n’en demeure pas moins celle par qui Israël peut entrer aujourd’hui sur le sol promis. Malgré tous les déboires traversés, YHWH n’a pas choisi un autre peuple ! La génération qui se met en branle prend donc en charge la même promesse ; elle traversera d’ailleurs des épreuves similaires qui signeront à leur tour la vocation d’Israël de mener l’élection à son accomplissement.

Quant aux v. 16 à 23, ils reprennent les mêmes thèmes que les v. 4 à 13, ce qui forme donc une inclusion qui met au centre les v. 14-15. Ce qui montrera que le nœud de cet ensemble est vraiment le passage d’une génération à l’autre.

Toujours est-il qu’on poursuit la progression vers le Nord pour rejoindre le territoire des fils de “AMMON. À nouveau, pour les mêmes raisons que MO’âV et ‘ÉDOM, “AMMON reçoit l’immunité — on remarque la même note ethnologique qu’aux v. 10 à 12, ce qui manifeste explicitement l’inclusion et confirme que le message central est bien aux v. 14 et 15. Là encore, la tradition marque le lien qui solidarise les fils de ‘AVeRâHâM avec ceux de LOT, par l’adoration commune vouée à YHWH. On rencontre une dernière peuplade : les “AWîM, inconnus par ailleurs — sauf une mention en Jos 13 — qui ont été remplacés par les KaPheToRîM, autre nom pour désigner les Philistins. Or remarquons que cette fois, il n’est pas dit qu’ils ont reçu leur territoire de YHWH, ce qui laisse immédiatement pressentir qu’il y aura entre eux et Israël une guerre territoriale ; guerre qu’Israël, au demeurant, ne remportera jamais.

Toujours est-il qu’à partir de maintenant, commence véritablement une CONQUÊTE des territoires. Les propos qu’on va alors lire sont assez choquants pour notre mentalité occidentale post-moderne. C’est ce qui fait qu’on prendra le temps de s’arrêter un peu sérieusement sur cette question la prochaine fois.

Pour l’heure, retenons que le passage du torrent du ZèRèD marque nettement la FIN de l’Exode : 38 années révolues, nécessaires néanmoins pour que la génération du désert se renouvelle, non pas simplement formellement mais bien spirituellement : il s’agit d’établir définitivement en qui Israël met sa FOI, et d’en accepter les injonctions : la VIE de TOUT ISRAËL en dépend.

Je vous souhaite une lecture féconde de ces versets.

Je vous remercie.
______________________________________________________________