01-02-2015

[Ex] 1 - Moïse, quels enjeux ?

par : Père Alain Dumont
Attention : Erreur à 1‘18“. L’auteur de la citation n’est pas saint Augustin mais bien Saint Jérôme. Mille pardons… 

Moïse occupe les 4 derniers livres du Pentateuque. Pourquoi cette figure est-elle tellement importante?
Duration:15 minutes 1 sec
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Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/moise-quels-enjeux.html )

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Bonjour,

Nous avons pris le temps de lire l’histoire des patriarches du ch. 12 au ch. 50 de la Genèse, et après avoir accompagné Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, voilà que nous attaquons le “gros” du morceau, c’est-à-dire Moïse ! Moïse dont il sera question jusqu’à la fin du Deutéronome : cette figure occupe 4 livres sur les 5 que compte la Torah. Et comme la Torah constitue le fondement de toute la Bible, on peut dire que Moïse y est présent partout, en forme de fondation : dans les livres historiques ; les livres prophétiques, les livres Sagesse, jusqu’au NT !

La figure de Moïse est cruciale pour les chrétiens, d’une part parce que sans lui, il n’y aurait tout simplement jamais eu Jésus ! Et d’autre part parce que ne pas connaître la figure et l’enseignement de Moïse, c’est se condamner à ne rien connaître de la personne et de l’enseignement du Christ ! Rappelons-nous encore saint Augustin : « Ignorer les écritures, c’est ignorer le Christ ».

Personnellement, je ne vous cache pas que j’aborde cette figure avec tremblement quand je pense aux enjeux qui se présentent. Parce qu’il ne suffira pas de connaître l’historiographie de Moïse, l’histoire extérieure ! Il faudra connaître Moïse de l’intérieur ; il faudra qu’il habite notre mémoire la plus charnelle. Plus Moïse fera partie de notre histoire, personnelle et collective, et mieux nous serons à même de recevoir Jésus, que ce Patriarche a annoncé en mettant son peuple en route.

Ah voilà : le mot est lâché : il s’agit de prendre une ROUTE. Et vous voyez qu’on reste dans la lignée d’Abraham : Lekh Lekha, va vers toi ! Alors pourquoi ? Pourquoi se mettre en route ? Parce que pour découvrir le Christ, il faut d’abord prendre le temps de marcher avec Moïse. Pour nous, la chose n’est pas si facile, parce que nous avons perdu l’habitude de prendre la route. On monte dans le TGV ou dans l’avion à un endroit et on en redescend à un autre… Entre les deux, ce qui s’est passé ne nous intéresse pas une seconde, surtout si nous avons les yeux rivés sur nos tablettes informatiques ! Alors que là, avec Moïse, il y a bien un départ et une arrivée, mais le plus important est précisément ce qui se passe entre les deux ! Et il faudra donc nous armer de patience, car en réalité, tout est dans l’endurance du chemin. Pourquoi ? Parce que, comme le dit très bien la philosophe Marguerite Léna, les plus grands bouleversements sont ceux qui se vivent dans la durée. Entre la graine de platane et le platane, le bouleversement est total, mais il a fallu du temps : un platane peut en effet croître et vivre jusqu’à 1000 ans !.

La Bible invite donc à PRENDRE LE TEMPS. Mieux : à BÂTIR le temps ! Dans une civilisation technique, on part à la conquête de l’espace, et c’est sans doute très bien. Sauf que pour y parvenir, nous sacrifions l’une des composantes les plus essentielles de l’existence : le TEMPS. Dans l’ordre de l’espace, on cherche à « avoir davantage » ; mais « avoir davantage » ne signifie pas « être davantage »… Ce que va nous apprendre cette mise en route, c’est que le temps est le cœur de l’existence. Il existe un Royaume du temps, où le but n’est pas d’avoir mais d’être ; non pas de posséder mais de donner ; non pas de régner mais de partager ; non pas de vaincre, mais de croire. Or c’est dans ce Royaume du Temps que DIEU règne et qu’il va convoquer son peuple.

La Bible voit donc le monde selon les dimensions du temps, raison pour laquelle elle s’étend sur les générations bien plus que sur les territoires ; elle s’intéresse à l’HISTOIRE bien plus qu’à la géographie. Et c’est pour nous redonner accès à cette dimension existentielle de nous-même. Scruter l’Écriture n’est possible qu’en gardant en mémoire que le temps possède sa signification propre et son autonomie, pour nous faire grandir en humanité et nous permettre de nous rebrancher sur la Source originelle de la Vie qu’est DIEU. La Thora, ici, est une Thora de vie. Pas seulement un document pour se cultiver sur l’Antiquité.

Nous allons donc ouvrir ces nouvelles pages, mais attention de ne pas les tourner trop vite ! Ne pas aller tout de suite à la fin ! Le livre, pour nous, est un espace, un volume… « J’ai une bible ». Sauf qu’en l’ouvrant, nous entrons dans une autre dimension. Dans la 4e dimension : la dimension du Temps qui n’est rien de moins que la dimension, non pas de DIEU, mais de notre RENCONTRE avec DIEU. Et pour cela, il faut entrer dans le temps de la marche avec le peuple des fils d’Israël à la suite de Moïse, et ça ne peut pas se faire en quelques minutes…

Bien. Ce n’est pas tout… Car se mettre en marche à la suite de Moïse, c’est aussi accepter de tourner le dos à l’Égypte — et quand la Bible parle de l’Égypte, elle ne parle pas seulement de l’Égypte géographique ! MiTzRaïm — c’est le nom de l’Égypte en hébreu — vient de la racine TsaRaR, qui signifie : « être à l’étroit », et donc, par extension, « être affligé ». Donc quand la Bible parle de l’Égypte, de MiTzRaïm, elle parle de ce monde qui nous séduit, mais nous maintient à l’étroit ; qui nous donne apparemment la sécurité du bien-être — l’avoir —, mais nous refuse toute identité propre — il nous interdit d’être —. Autrement dit, il nous offre le bien-être à condition que nous renoncions à être pleinement… Et ça, ça s’appelle l’ESCLAVAGE ! J’espère que vous voyez combien cette problématique reste actuelle ! « Vendez-nous votre identité, nous nous chargeons de votre bien-être ! » pourrait être le slogan de l’idéologie consumériste à laquelle nos sociétés occidentales ont fait allégeance ! Le consumérisme et tout ce qui lui est attaché, voilà le MiTzRaïm contemporain. Et donc Moïse prend ici une dimension étonnamment pertinente, d’autant plus qu’il nous conduit au seul Sauveur capable de nous libérer de cette tentation de l’avoir pour nous réconcilier avec notre être profond : le Christ Jésus.

Donc, suivre Moïse, c’est vraiment décider de quitter avec lui les assurances de l’avoir pour prendre le chemin de la liberté ; un chemin, il faut bien le dire, sec et aride qui nous fera parfois regretter l’esclavage ancien — on verra que le peuple vacille et regrette les oignons de l’Égypte : « D’accord on était esclaves, mais au moins on mangeait tous les jours ». C’est donc un chemin qui se présente comme une véritable AVENTURE ! Et là, je ne vous parle pas des aventurettes des sportifs qui tentent d’atteindre des sommets ou de traverser des océans ; ce ne sont pas des aventuriers, ce sont des recordmen : ce n’est pas la même chose ! Je ne vous parle pas non plus des héros cinématographiques qui sauvent le monde en 180 minutes ! Je vous parle de la VÉRITABLE AVENTURE, celle qui me décide à prendre la route en sachant que je ne reviendrai jamais en arrière ! En sachant que tout ce qui faisait mes assurances d’autrefois aura disparu. Fini ! Terminé ! L’aventure, c’est quand je décide d’entreprendre ma vie ; de prendre les risques qui me feront éprouver charnellement mon existence ; qui me mettront dans un état de non-retour, de sorte que là, je découvrirai ce que signifie non véritablement être libre — libre des consolations de l’avoir —, mais aussi, corollairement, ce que signifie entrer dans la joie. La vraie joie. La joie de DIEU que le Christ Jésus veut nous transmettre ! Rappelez-vous : « Je vous ai parlé ainsi afin que ma joie soit en vous ! » (Jn 15,11).

Pour comprendre de quelle aventure il s’agit, j’ai trouvé un jour un texte splendide de Charles Péguy, où il explique à un ami que la seule et unique aventure qui mérite ce nom, c’est la PATERNITÉ ! Facile de partir sur des voiliers pour faire le tour du monde : dans le fond, on ne risque que soi-même, dit-il ! Le père, lui, risque la vie de tous ceux qu’il a en charge ! Pas si facile de lancer un enfant dans l’existence en sachant qu’on ne pourra pas le lâcher au milieu de sa route ! Voilà l’aventure. La vraie. Je vous mets ce texte en document joint.

Alors vous me direz : qu’est-ce que Claudel vient faire ici ? Eh bien : Péguy nous permet de mettre le doigt sur l’histoire sainte comme une histoire de Paternité ! Une histoire où DIEU se révèle comme Père avant que d’être Roi. Pourquoi ? Parce qu’en créant le monde, DIEU ne risque pas que sa vie à Lui, mais la vie de tous ceux qu’Il engendre ! Quand Il crée, il en accepte les conséquences : Il se fait comme l’esclave volontaire de tous ceux qu’Il convoque à vivre, et qu’il lui est absolument interdit d’abandonner en route pour quelle que raison que ce soit ! Le premier, Il se soumet aux lois de la Paternité dont Il est la Source.

Dit autrement, DIEU, dès les premières millisecondes de la Création, part le premier dans l’aventure de la Vie. S’il était plus Roi que Père, ce que croient nos frères juifs, il pourrait créer en gardant la possibilité, le cas échéant, de tout annuler par décret. Or quand DIEU crée, et quand il sauve avec acharnement son peuple, il n’y a pas de retour possible ! Pas de plan “B” ! Et c’est ce qui nous fait reconnaître que DIEU sauve son peuple avec l’acharnement d’un Père. Pas pour sa gloriole personnelle ; pas pour montrer qu’il est plus puissant que Pharaon. Ça n’aurait aucun intérêt ! Surtout, ça ferait de DIEU une divinité parmi d’autres. C’est à ce substitut de dieu que croient les Francs-Maçons. Alors que le Mystère qui est inscrit dans la Thora est infiniment plus profond : c’est parce que DIEU est Père et que Pharaon ne l’est pas que ce dernier a déjà perdu d’avance, avant même que ne commence la bataille. Si on a compris ça, on a des chances de mieux saisir les enjeux des pages qui vont maintenant s’ouvrir et que Jésus va illuminer avec une clarté aveuglante !

Alors voilà : c’est ça, Moïse. C’est celui qui, le premier, au nom du DIEU Père, prend la route pour sortir le peuple des fils d’Israël de l’esclavage d’Égypte, sans jamais regarder en arrière.  Si vous acceptez de partir avec lui, ça va être long, ça va être aride, mais ça va en valoir la peine. Vous allez apprendre un milliard de choses essentielles, dans l’ordre de l’être, qui vous prépareront à recevoir Jésus. Cela suppose des règles : raison pour laquelle on parle de la LOI de Moïse qui est une LOI de Vie. Et la Bible nous raconte l’histoire de tout ces hommes et ces femmes qui nous précèdent, qui ont éprouvé la vérité de cette Torah dans leur chair et qui nous disent : « Allez-y ! La Vie n’est pas ailleurs ! » Et là où est la Vie, là est DIEU ! D’ailleurs, c’est précisément sur ce thème que se termine le Deutéronome : Le Seigneur parle ainsi à son peuple : « Vois, je mets devant toi vie et bonheur ; mort et malheur. Choisis la vie ! » (Dt 30,15) Vous voyez : tout ce chemin est absolument nécessaire pour être capable, enfin, de faire le choix de la vie ! L’enjeu n’est pas petit !

Et Moïse, lui, va donc donner le ton ; il va donner l’impulsion initiale du Big-Bang spirituel que constitue l’avènement de la Torah. Lui qui était un Prince d’Égypte, il va accepter de tout perdre, et ce n’est qu’une fois dépouillé totalement des paillettes de l’or et de l’argent de l’Égypte, sans retour possible, qu’il pourra écouter DIEU pour être la figure éternelle qu’il est devenu. Il Lui obéit et marche dans les mêmes conditions que le peuple. Ce n’est pas un gourou. Il est un exemple pour le peuple parce qu’il est HUMBLE, « l’homme le plus humble que la terre ait porté » dira le livre des Nombres (Nb 12,3) et avec lui, les fils d’Israël vont commencer leur longue épopée à la lumière du DIEU d’Abraham, Isaac et Jacob.

Donc vous voyez qu’on a affaire là à un géant des figures bibliques, qui est d’autant plus grand qu’il est l’homme le plus humble que la terre ait porté. Il n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un “patriarche”, puisqu’il fait déjà partie de leur descendance : il est un fils de Lévi. Il n’est pas non plus seulement un “législateur”. Non, il est, parmi les fils d’Abraham, Isaac et Jacob, celui que DIEU a choisi pour révéler aux hommes un chemin :

– 1. un chemin prophétique qui manifeste que la Vie est victorieuse sur la mort qui menace de toute part ; victorieux de tout esclavage pour nous faire goûter à l’aventure de la vraie liberté ;

– 2. un chemin sacerdotal, car il s’agit d’apprendre à offrir sa vie à DIEU pour s’ouvrir à une rencontre possible avec Lui. Lui qui, le premier, nous a aimés et, en Jésus, s’est offert pour nous. C’est cela, le sacerdoce : le lieu d’une rencontre enfin possible entre DIEU et l’homme, par l’élan réciproque de deux offrandes dans la foi , l’amour et l’espérance. L’offrande du DIEU Père à l’homme et l’offrande filiale de l’homme à DIEU. On a là déjà, en germe, tout le mystère de l’Eucharistie.

– 3. un chemin royal enfin, puisque marcher sur cette route s’accompagne d’une Loi sur laquelle DIEU non seulement veille, mais à laquelle Il se soumet pour amener son peuple à la liberté des enfants de DIEU.

Vous voyez : il ne s’agit pas de n’importe quel chemin, mais d’un chemin tracé par DIEU comme une trajectoire où l’homme rejoint son Créateur et, ce faisant, découvre sa valeur infinie. Et en définitive, la Torah montre le chemin, mais elle n’est pas le chemin. Le véritable chemin, c’est le Christ ! « Je suis le chemin, la vérité et la Vie ! ». Donc ce que montre la Torah de Moïse, ce qu’elle annonce, c’est bel et bien le Christ jésus !

Bon, en attendant, il va tout de même  falloir une sacré dose d’espérance et de foi, et c’est Moïse a qui est confiée la charge d’ouvrir la voie à travers le désert pour ce qui est désormais plus qu’un simple clan : un véritable peuple, qui s’est multiplié au sein de l’Égypte et qui porte sur les épaules le salut de tous les peuples de la terre…

Nous verrons cela la prochaine fois.

D’ici là, vous pouvez déjà aller lire le ch. 30 du livre du Deutéronome ; un chapitre que tout chrétien devrait connaître par cœur, tellement il est essentiel !

Je vous souhaite une bonne lecture.

Je vous remercie.