03-02-2015

[Ex] 5 - Le Pharaon qui ne voulut rien savoir de Joseph

par : Père Alain Dumont
Que se passe-t-il en Égypte après la mort de Akhénatôn pour que, trois siècles plus tard, un Pharaon en vienne à renier l'héritage de Joseph-Aménophis ?
Duration:11 minutes 32 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/le-pharaon-qui-ne-voulut-rien-savoir-de-joseph.html )

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Bonjour,

Avant d’ouvrir enfin le livre de l’Exode, il nous reste à voir ce qu’est devenu le sanctuaire de Joseph-Aménophis après la chute du Pharaon AKHÉNATÔN.

D’abord, il faut se rappeler qu’à ce sanctuaire, qui était un haut lieu de formation pour les artisans et les scribes de l’école de Joseph-Aménophis, est assigné un important décret d’AMENHOTEP III, le père de AKHÉNATÔN qui l’avait fait bâtir. Ce décret nous est connu par une stèle de 81cm sur 62 qui est actuellement au British Museum de Londres, et qui fut découverte en 1838. Comme telle, c’est un des documents archéologiques les plus anciens de l’égyptologie. Que dit ce décret ? Il énonce les lois qui régissent le fonctionnement du sanctuaire de Joseph-Aménophis, et notamment, il interdit à quiconque de recruter, d’employer le personnel de la fondation funéraire, à savoir les prêtres, les artisans, les serviteurs autant que les paysans qui lui sont attachés, pour autre chose que la bonne marche du sanctuaire. Tous sont donc exempts de la corvée, c’est-à-dire de la mobilisation obligatoire pour travailler aux grands travaux, tels que l'entretien des canaux d'irrigation — mobilisation qui revenait après chaque crue du Nil — ; ou la construction de villes, ou de grands monuments. Une telle corvée pouvait être levée par Pharaon comme par l’administration régionale ou celle des Temples. Normalement, toute la population était corvéable. Et il faut dire que ce système n’avait pas que des inconvénients, puisqu’en Égypte, il rendait inutile le recours à l'esclavage. De plus, le décret d’AMENHOTEP III dit explicitement que le personnel du Temple ne peut pas être enrôlées dans l’armée. Au demeurant, cette exemption de corvée et de service militaire sera exactement le privilège des lévites dans la Torah. Retenons bien tout ça, parce que ça va nous être très précieux pour comprendre les événements bibliques.

Disons quelques mots sur la destinée du Sanctuaire-mémorial de Joseph-Aménophis. Autant dire tout de suite : elle fut unique. D’après les documents, ce sanctuaire a fonctionné sans discontinuer pendant la XVIIIe, la XIXe et la XXe dynasties, soit près de 300 ans. Ramsès III va même le restaurer, de sorte qu’à la fin de la XXe dynastie, le Temple est six fois plus grand qu’à l’origine. Il compte environ 3000 individus, ce qui peut paraître modeste, mais qui en réalité est phénoménal, dans la mesure où, si vous voulez, ce sanctuaire était en quelque sorte la « maison mère » de tout un réseau qui couvrait toute l’Égypte. Un peu à la manière des grands ordres bénédictins au Moyen-Âge, qui avaient des monastères et des prieurés un peu partout en Europe, tous affiliés qui à Cluny, qui à Cîteaux, etc. Ce sanctuaire gardait les secrets techniques qui permettait à l’Égypte de conserver son savoir-faire, et il constituait une référence essentielle de la tradition. Dès lors, son clergé comme ses intendants, en particulier le Grand-Prêtre et le grand Administrateur, avaient une position sociale parmi les plus élevées en Égypte.

Un événement important eut lieu néanmoins à la fin du règne de Ramsès III : la révolte des artisans de Deir El Medineh. Et il faut ici en dire quelques mots :

Vous vous rappelez que lorsque AKHENATÔN meurt, le clergé de AMÔN reprend les rennes avec rage et disperse les artisans qui ont œuvré à EL-AMARNA. Une partie d’entre eux émigre en Canaan : les isii-ir-iar ; une autre rejoint la basse Égypte où ils retrouvent sans doute leurs villages d’origine ; et une dernière partie enfin est déplacé vers DEÏR-EL-MEDINEH, le village artisan de la vallée des Rois pour travailler à l’entretien des monuments de la Nécropole : ces deux derniers ensembles sont ceux des UBRUS, les pestiférés. Sauf que ce village, pour le coup, est un ghetto. Connaissant l’emplacement des tombes royales et leurs trésors, les artisans et leur famille étaient sévèrement gardés, avec interdiction de sortir du village. Des caravanes leur apportaient quotidiennement l’eau de la citerne, les légumes, la viande, le bois, le matériel pour travailler, etc. Autant de livraisons en nature qui permettaient aux artisans de ne se préoccuper que de leur art.

Un scribe du nom de AMENAKHTE, rattaché au village, rapporte la chronique, au jour le jour, d’une révolte qui eut lieu, donc, à la fin du règne de Ramsès III. Les livraisons en nature des artisans de DEIR EL-MEDINEH avaient pris trois semaines de retard. On ne sait pas pourquoi, mais sans doute à cause de la corruption des fonctionnaires ou des dignitaires de l’époque. Toujours est-il que les ouvriers décident de marcher vers les Sanctuaires Royaux les plus proches, à savoir celui de Ramsès II, de Horemheb et Joseph-Aménophis, sur la même rive Ouest du Nil. Ils arrivent sur la place avec force et grand bruit. Les altercation durent toute une journée et au soir, les grévistes vont faire un sit-in à l’entrée du Temple de Horemheb. Les autorités viennent négocier — comme quoi vous voyez qu’on n’a rien inventé ! —, la protestation s’apaise et les grévistes se rabattent sur leur village. Ce n’était pas la première fois que de tels événements se produisaient. Déjà un an auparavant, une grande agitation avait eu lieu dans le village des artisans, et AMENAKHTE lui-même avait réussi à calmer les villageois. Il s’était rendu lui-même au temple de Horemheb pour obtenir du grain, il était revenu avec 46 sacs de blé et tout était rentré dans l’ordre.

Reste que cette fois, rien de tel, de sorte que dès le lendemain, les artisans reviennent pour faire retentir leurs revendications : « C’est poussé par la faim et la soif que nous sommes ici. Il n’y a plus ni vêtement, ni huile à friction, ni poisson, ni légume ! Écrivez à Pharaon, notre bon maître… et écrivez au Vizir, notre supérieur ! » Il faut ici se rappeler que, depuis Ramsès II, la cour avait déménagé vers la ville de Pi-Ramsès, dans le Delta du Nil, à 1000 km au nord. Ne restait à Thèbes que le Vizir de la Haute-Égypte.

Or il se trouve que plusieurs responsables des Temples prennent le parti des ouvriers. L’un d’eux, un certain MENTMOSE, chef de la police de Thèbes, les encourage à prendre les provisions disponibles pour les Temples. Il marchera même à leur tête devant le gouverneur, en visite au temple de SETI Ier le surlendemain… Il leur apportera du pain et de la bière et apaisera les grévistes. Néanmoins, les provisions étant en quantité réduite, les artisans sont contraints de revenir le lendemain, sauf que les réserves sont vides désormais.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il se rapatrient dans le village, mais c’est pour revenir quelques semaines plus tard, et là, les autorités ne peuvent pas les contenir. Le scribe note alors ceci : un de leurs chefs, Hay fils de Houy, l’ubru, déclara aux ouvriers : « Nous ne reviendrons pas au village ! Dites-le à vos chefs ! Ce n’est pas à cause de la faim que nous sommes sortis, mais parce qu’il s’est produit quelque chose de très mal ici. »… On ne sait pas de quoi il s’agit, mais on sent que la révolte prend un tour politique. À partir de ces grèves, on sait qu’une tension grave s’installe donc avec ces artisans dont l’Égypte ne pouvait néanmoins pas se passer…

Or c’est précisément dans un contexte similaire que Moïse peut trouver place. Car d’autres révoltes eurent lieu sous Ramsès IV, autour de 1150, puis sous Ramsès IX, vers 1108. Cette dernière entraîna le procès des ubrus de la Nécropole. Ce que nous allons dire est évidemment de la conjecture, mais non de la pure invention. De toute manière, quelles que soient les théories sur Moïse, elles relèvent toutes d’une conjecture. Disons que celle-ci, qui suit la thèse du professeur Joseph Davidovits, m’a parue la plus fondée. C’est d’ailleurs celle que répercutent plusieurs communautés juives françaises aujourd’hui.

Toujours est-il que Ramsès IX est excédé par ces révoltes, mais surtout par la puissance que représente le clergé du Sanctuaire de Joseph-Aménophis qui, nous le verrons la prochaine fois, prend leur défense. D’où la conséquence : non seulement Ramsès IX a des chance d’être ce fameux Pharaon qui n’a pas connu Joseph — attention, ce n’est qu’une hypothèse, et comme telle, discutable ! —, mais il ne veut surtout plus RIEN savoir de Joseph ; il veut ne plus en entendre parler ! Et le Targum, c’est-à-dire traduction araméenne de la Bible hébraïque qui traduit en explicitant le sens tel qu’il était reçu de la tradition orale à l’époque du Christ Jésus ; le Targum Néofiti, donc, écrit : « Alors se leva sur l’Égypte un nouveau roi qui ne voulut rien savoir de Joseph et qui ne marchait pas selon ses lois », et un autre Targum, le Targum Onkelos, écrit : « Un nouveau roi se leva sur l’Égypte qui ne considérait pas comme valide le décret de Joseph ». Quel décret, sinon le décret d’AMENHOTEP III ?

Voilà déjà de quoi bien méditer… Nous reviendrons sur ce passage lors de notre prochaine vidéo, au cours de laquelle nous ouvrirons résolument le livre de l’Exode.

Je vous remercie.